Estudios
Le statut juridique des étrangers dans l’Union européenne: Le cas des ressortissants camerounais
Paix et Sécurité Internationales – Journal of International Law and International Relations
Universidad de Cádiz, España
ISSN-e: 2341-0868
Périodicité: Anual
n° 8, 2020
Résumé: : Les ressortissants des pays tiers dans l’UE sont soumis à des variétés de régimes juridiques sur la base des accords que celle-ci a pu établir avec les pays d’origine. Cependant, dans l’ensemble de ces accords qui octroient plus ou moins de droits aux étrangers, on observe que certains régimes sont plus développés que d’autres d’où il s’en suit l’intérêt ici de déterminer la question de savoir comment s’articule le statut des ressortissants des pays ACP dans le droit des étrangers dans l’UE en prenant un exemple de référence qui est celui des camerounais en tant pays qui d’accueillit la signature des premiers accords entre les Communautés Européennes en leurs temps et les pays ACP, mais aussi comme exemple prototypique d’un État ACP dont les ressortissants sont les destinataires non seulement des dispositions conventionnelles entre l’UE et leur pays d’origine, mais également en vertu d’accords bilatéraux entre ce pays et un État membre.
Mots clés: Droit de l’immigration dans l’UE, étrangers dans l’UE, Groupe d’États d’Afrique, Caraïbes et Pacific (ACP), statut juridique des ressortissants des pays ACP, statut juridique des ressortissants camerounais.
Resumen: Los nacionales de los países terceros en la UE están sometidos a una variedad de regímenes jurídicos en base a acuerdos que se hayan podido establecer entre la UE y sus Estados de origen. Sin embargo, en el conjunto de esos acuerdos que suelen otorgar más o menos derechos a los extranjeros se observa que ciertos regímenes son más desarrollados que otros; de ahí que surja un interés en determinar la cuestión de saber cómo se articula el estatuto de los nacionales de países ACP tomando como ejemplo de referencia los nacionales de Camerún como Estado que acogió la firma de los primeros acuerdos entre las Comunidades Europeas, en su momento, y los Estados ACP, pero también como ejemplo prototípico de un Estado ACP cuyo nacionales no sólo son destinatarios de algunas disposiciones convencionales entre la UE y sus Estados de origen, sino también en virtud de acuerdos bilaterales entre ese Estado y un Estado miembro de la UE.
Palabras clave: Inmigración en la UE, extranjeros en la UE, grupo de Estados de África, Caribe y Pacifico (ACP), estatuto jurídico de los nacionales de Estados ACP, estatuto jurídico de los nacionales de Camerún.
Abstract: Third-country nationals in the EU are subject to a variety of legal regimes based on the agreements that have been established between the EU and their country of origin. Nonetheless, in this collection of agreements granting more less rights to foreigners, we can observe that certain regimes are more developed than others; this explains the interest in answering the question on how the status of ACP nationals is articulated in the immigration law of EU, while taking as a reference the status of Cameroonian nationals as a State in which the first agreements between the European Communities at the time and the ACP countries where signed; and also as a prototypical ACP State whose nationals are the addressees of some rights based on agreement not only between the EU and their State of origin, but also between their State of origin and an individual member State.
Keywords: Immigration law in the EU, foreigners in the EU; African, Caribbean and Pacific Group of States (ACP); legal status of ACP nationals, legal status of the nationals of Cameroon.
I. INTRODUCTION
Le statut des étrangers dans l’Union Européenne est une question qui aujourd’hui encore suscite débat au sein des cercles d’analystes. S’il a semblé clair que la première priorité en matière de droit des étrangers dans l’UE a été la définition du statut des nationaux des états membres il n’en est pas moins demeuré que la poursuite de cet objectif a mis à découvert un autre problème sous-jacent qui est celui de la place à attribuer aux ressortissants des pays tiers. Étant donné le statut particulier qu’octroyait l’Accord d’Ankara de 19632 et
son protocole additionnel de 19703 aux ressortissants turcs, c’est-à-dire, une association progressive à la libre circulation des personnes, l’intérêt n’en a été qu’accru dans les études spécifiques au détriment de l’analyse du statut d’autres ressortissant de ces pays, notamment celui des ressortissants des pays ACP. Dans ce dernier cas, pratiquement aucune étude de profondeur n’avait essayé de percer le mystère de la définition des contours de la position juridique de ces personnes dans l’UE, quand on sait bien qu’un grand nombre d’accords entre ce groupe de pays et l’UE ont ostentoirement prévus des dispositions sur les migrations. D’où il s’en suit donc l’intérêt ici de déterminer la question de savoir comment s’articule le statut des ressortissants des pays ACP dans le droit des étrangers dans l’UE en prenant un exemple de référence qui est celui des camerounais en tant pays qui d’accueillit la signature des premiers accords entre les Communautés Européennes en leurs temps et les pays ACP, mais aussi comme exemple prototypique d’un État ACP dont les ressortissants sont les destinataires non seulement des dispositions conventionnelles entre l’UE et leur pays d’origine, mais également en vertu d’accords bilatéraux entre ce pays et un État membre. L’on s’attèlera dans cet exercice à établir si la situation du camerounais est véritablement singulière au regard du traitement qui est accordé à dautres ressortissants des pays non-membres de l’UE d’une part, et, d’autre part, à examiner la mesure dans laquelle on pourrait affirmer que le statut du camerounais au titre de ressortissant du groupe d’États ACP contribue au raffermissement ou alors à la négation même de la cohérence et viabilité du droit des étrangers dans l’UE. En d’autres termes, peut-on sans un questionnement rigoureux considérer comme certains auteurs que les ressortissants ACP constituent une catégorie marginale, et pour autant un non- objet d’étude, en cela que son statut relève de ce qu’on est convenu d’appeler les « étrangers non-privilégies »4 ? Peut-on sous-entendre que leur importance et ascendant sur le droit de l’UE relatif aux étrangers et le droit de l’UE en général est perçu comme peu significatif, peu digne d’intérêt ?
Ces questions sont d’autant plus intéressantes au regard de l’évolution
récente du droit de l’UE et en particulier du Droit des étrangers qui a subi
des transformations remarquables non seulement du fait des changement de paradigmes apparus depuis Les Traités d’Amsterdam et Lisbonne. Ces traités, on le sait, ont créé et renforcé las bases juridiques pour l’action de l’UE en matière de politique d’immigration. Par conséquent, ils ont permis un renforcement du dispositif normatif y relatif. L’intérêt de la question tient également, au retentissement qu’a eu la jurisprudence sans cesse dynamique de la Cour de justice quant á l’interprétation du statut des ressortissants des pays tiers.
De plus, l’on doit également préciser comme intérêt fondamental de ce travail l’exploration du statut juridique des ressortissants des pays ACP qui est soi une nouveauté. C’est également l’occasion de réfléchir un tant soit peu sur l’intérêt des régimes particuliers qui s’établissent sur le plan bilatéral entre États membres et les pays tiers. La clé pour l’exploration de ce régime des ressortissants ACP sera donc fournie par l’étude du cas des camerounais, comme cas concret. Il s’agit aussi de se saisir de ce tremplin qu’offre cette étude pour réfléchir également sur la situation plus générale des ressortissants des pays tiers dans l’UE.
Ce travail aborde d’une part la détermination de la nature juridique des accords ACP-UE, comme premier pallier de la définition du statut du camerounais dans l’UE, mais uniquement comme travailleur. D’autre part, il aborde l’évolution du traitement des migrations dans ces Accords. Ensuite, il analyse le principe de non-discrimination dans le Droit de l’UE et dans l’association ACP-UE et les implications pour le statut du camerounais. A l’occasion, le statut à l’entrée dans l’UE et au regard du séjour légal et illégal sont interrogés.
II. CONTEXTUALISATION JURIDIQUE DES ACCORDS INTERNATIONAUX DE L’UE AVEC LES PAYS TIERS ET LES ACP
Il est nécessaire ici d’apprécier la portée, la capacité de ces accords à produire des droits invocables par les individus, la volonté d’assurer des droits de libre circulation de personnes comparables à ceux des ressortissants des États membres, la portée des actes des institutions de l’Association sur le statut juridique du ressortissant de pays ACP.
La complexité du cadre juridique qui supporte la conclusion d’accords aussi complexes que sont les Accords ACP-UE est suggérée du fait de la variété des
matières qu’ils contiennent dans leurs champs d’application. Non seulement ils abordent des questions économiques commerciales, techniques, financières, et de coopération au développement entre autres, mais aussi des questions telles que la détermination du statut des personnes physiques et juridiques. De plus, dans les plus récents d’entre eux ont a assisté à une mise en exergue importante et progressive d’une dimension politique qui comprend des questions tout aussi intéressantes que sensibles comme sont par exemple les droits de l’homme, la paix et la sécurité, la gestion et préventions des conflits. C’est au regard de leur nature juridique et capacité à créer des droits individuels qu’ils devraient être appréhendés, dans un premier temps.
1. Bases et nature juridiques
Les accords entre l’UE et les pays tiers sont des accords qui ressortent au droit international, et leur régime doit être fixé par les règles de droit international général. Ce constat ne doit pour autant pas faire oublier comme la Cour de justice l’a rappelé dans l’Affaire Costa c. Enel que les traités constitutifs de l’UE ont introduit un ordre juridique propre intégré aux systèmes juridiques des États membres5. C’est dans ce cadre que l’UE s’est dotée d’institutions propres avec des pouvoirs attribués issus d’une limitation de compétences souveraines pour doter de moyens juridiques lesdites institutions en vue d’atteindre les objectifs de l’organisation.
L’épisode de la controverse sur la personnalité juridique de l’UE, n’aura pas empêché que l’UE et avant elle les Communautés établissent une tradition consolidée de signature d’accords internationaux avec les autres sujets du Droit International y compris donc avec les pays tiers.
Au-delà du problème de la personnalité juridique de l’UE et donc de sa capacité à être titulaire entre autres attributs d’un treaty-making power, la question des limites des compétences de l’UE a fait l’objet également de débats. On sait aujourd’hui que la personnalité juridique de l’UE est avérée et même confirmée de manière formelle par le Traité de Lisbonne. A l’’occasion de l’inéluctable débat sur la question de la division des compétences entre les États membres et l’UE, la Cour de justice a saisi l’opportunité offerte par l’affaire AETR pour
préciser la portée des compétences extérieures de l’UE en rapport avec les compétences des États membres6.
Si l’on s’en tient à la base juridique de l’art 217 TFUE, l’accord ACP- UE constitue un “accord d’association” qui permet à l’UE de conclure «avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales des accords créant une association caractérisée par des droits et obligations réciproques, des actions en commun et des procédures particulières ». Cependant, l’énoncé de cet article ne dit rien sur une quelconque «spécialité» des liens entre l’UE et les pays tiers qui fonderaient la conclusion de cette catégorie d’accord. De plus, en mentionnant dans la clause les «organisations internationales», cette formulation suggère également que cette notion «d’accord d’association » est une catégorie générique qui ne reflète plus forcément le caractère spécial qui manifestaient la profondeur des liens entre l’UE et les pays tiers et qui faisait de cette catégorie un instrument uniquement réservé à des situations effectivement très spéciales comme par exemple les accords de préparation de l’adhésion—pré-adhésion― de nouveaux États membres. C’est d’ailleurs dans ce sens que l’on doit interpréter le propos du Professeur Liñan Nogueras qui disait que «los acuerdos de asociación constituyen la actividad conventional más significativa que puede desarrollar la Comunidad con terceros Estados y organizaciones, siendo superadas únicamente por los acuerdos de adhesión que, por su caracter integrubernamental pertenecen a una categoría distinta»7. En effet le contenu de la dénomination des accords internationaux de l’UE a évolué aujourd’hui et est variée dans la pratique. Par ailleurs, la caractérisation d’un accord comme «accord de coopération» marque néanmoins toujours un
certain degré de limitation de l’importance des accords comparés aux autres dénominations.
Il est aussi important de remarquer que les bases juridiques sur lesquels se fondent l’association entre les ACP et l’UE ont généralement bénéficié d’une stabilité d’un point de vue historique. L’UE s’est appuyée pratiquement sur la même base dans le passé pour conclure des accords certes d’association mais aux objectifs hétérogènes. Sous le régime du Traité de Rome cette base juridique était constituée par l’art. 238 TCEE, et à ce jour son contenu équivalent dans le Traité de Lisbonne n’a pas substantiellement changé, mis à part les détails institutionnels et procéduraux insérés à la fin dudit article et qui le différencie de l’art 217 TFUE. Il est à noter également que le Traité de Communauté Économique Européenne prévoyait une autre base juridique, en plus de l’art. 238 TCEE. Il s’agissait de l’art. 131 TCEE qui portait sur l’association avec les Pays et Territoires d’Outre-Mer, c’est-à-dire des territoires pour la plupart dépendants à l’époque de l’élaboration du Traité de Rome.
Les accords qui bénéficient de cette couverture juridique de l’art. 217 TFUE sont des d’accords forcément instrumentaux, qui ne sont pas conclus de manière isolée, car ils sont au service des priorités stratégiques quant à l’établissement de liens particuliers dans les relations extérieures de l’UE avec certaines parties du monde, avec certains pays ou régions du monde. Les accords d’association qui se projettent sur un plan régional ne perdent pas ce caractère régional du fait de l’établissement des liens bilatéraux entre l’UE et des États en particulier d’un même ensemble régional—ou sous-régional— comme c’est le cas des Accords euro-méditerranéens avec la Maroc, La Tunisie, l’Algérie et les autres pays de la Méditerranée. L’art. 217 TFUE n’établit aucune limite quant à l’appartenance territoriale des États à associer. Grosso modo ces accords instituent généralement des avantages économiques et des liens politiques avec des ensembles ou groupes d’États extracommunautaires, comme un levier du système de projection extérieure de l’UE.
Le défi posé cependant par ce type d’accord comme on l’a dit plus haut tient à la question des compétences entre l’UE et les États membres. C’est d’ailleurs précisément pour contourner le problème délicat de circonscription des compétences que ces accords sont répertoriés comme des accords dits
«mixtes». La mixité est évoquée au regard de ce que leur contenu porte sur les compétences à la fois des États membres et celles de l’UE. Selon Heidemann
Robinson, par ailleurs, en principe tous les accords qui présentent des dispositions ou des règles sur l’activité des ressortissants des pays tiers sur le territoire de l’UE sont des accords mixtes8.
Comme s’il fallait s’en convaincre d’avantage, le Traité établit à l’art. 216.2 TFUE que les accords conclus par l’UE lient les institutions et les États membres. Il n’est cependant pas superflu de rappeler comme certains auteurs — Castillo De La Torre— que le régime de l’opponibilité des accords internationaux de l’UE s’apprécie au regard du droit de l’UE et non directement vis-à-vis des États membres, de telle sorte que la responsabilité internationale qui peut en découler sera à la charge de l’UE9.
Dans la jurisprudence Haegeman la Cour de justice a reconnu le caractère moniste de la réception des accords internationaux dans l’ordre communautaire, cette réception étant considérée automatique10. Il n’y pas de nécessité d’un acte de transposition pour garantir l’efficacité des instruments internationaux. De ce fait, il est suffisant que l’accord ait reçu le placet du Conseil qui le conclut sur la base de l’art. 218 TFUE. Une fois cette exigence procédurale remplie, l’accord déploie dans l’ordre communautaire tous les effets juridiques y attachés. Bien sûr, Eeckhout averti que les effets de l’accord dépendent de la nature et des dispositions de celui-ci11. Cet auteur s’attèle aussi à distinguer d’une part la transposition et l’exécution d’autres parts. Selon lui le fait qui n’y ait pas d’exigence de transposition d’actes internationaux ne doit donner lieu à considérer qu’il n’y a pas non plus de phase d’exécution de ce type d’actes. Si l’application correcte de l’acte ajoute-il, exige des mesures de mise en œuvre, ces mesures dépendent dans ce cas aussi de la nature et des dispositions de l’accord. De plus, il souligne que dans l’affaire Kupferberg, la Cour de justice a précisé que ces dispositions d’exécution devraient être adoptées par les
institutions et les États membres, en tenant que compte de l’État de l’évolution du droit communautaire du moment, dans les matières affectées par les dispositions de l’accord12. Que dire de la capacité de ces accords ACP-UE à créer des droits individuels ?
2. La capacité de créer des droits individuels
Le fait que les accords d’association sont capables d’établir des droits et obligations réciproques comme expliqué plus tôt est une caractéristique assez intéressante par rapport au statut des ressortissants des pays tiers dans l’UE. Cette spécifié implique que ces accords sont également à même de porter dans leur sein des dispositions sur les droits des particuliers. Ils constituent sans aucun doute une source de droits pour les ressortissants des pays tiers dans l’ordre communautaire. Cette particularité est très bien compréhensible et logique si l’on tient compte du fait que ces accords permettent au pays tiers une participation au moins partielle au régime communautaire. C’est ce qui a fait dire à Torrent que les accords d’association ouvrent, sur une base horizontale, les dispositions du traité et du droit dérivé, c’est-à-dire, en permettant donc cette participation extérieure au droit de l’UE13.
La capacité de ses accords à créer des droits et obligations en faveur des individus semble être consubstantielle à ces accords. Cependant, l’existence de droits reconnus dans les accords avec les pays tiers ne préjuge pas de leur capacité à être directement applicables. Les antécédents de la problématique de l’effet direct des traités remontent à l’Avis Consultatif de la Cour de Justice Permanente Internationale dans l’affaire des réclamations pécuniaires de Dantzig. Dans cette affaire, la Cour Permanente a souligné que s’il est admis en droit international que les accords internationaux ne créent en principe pas directement des droits et obligations au regard des personnes privées, on ne peut néanmoins remettre en question le fait que «l’objet même d’un accord international, dans l’intention des parties contractantes, puisse être l’adoption
par les parties, de règles déterminées, créant des droits et obligations pour le individus et susceptibles d’être appliqué par les tribunaux nationaux»14.
C’est probablement en ayant dans l’esprit cette trouvaille de la Cour de Justice Permanente Internationale que la Cour de justice des Communautés a reconnu pour la première fois dans les années soixante, dans l’affaire Van Gend Loos, le principe de l’effet direct des actes juridique communautaires, notamment des dispositions des traités constitutifs15. Son argumentation était assez simple et surtout assez similaire en termes de style et de méthode avec celle utilisée dans l’affaire Costa c. Enel précitée. Celle-ci rappelait en substance que le droit communautaire «crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique» et que par conséquent ceux-ci peuvent être directement invoqués par ces derniers devant les juridictions nationales16.
L’effet direct des actes juridiques conventionnels conclus par l’UE a été également reconnu dans plusieurs affaires débattues devant la Cour de justice de l’UE, en l’occurrence l’affaire Demirel et Sevince17. Dans la première affaire, la Cour a reconnu l’effet direct des clauses qui fixent le droit d’accès non limité au marché de l’emploi des ressortissants turcs au bout d’un certain nombre d’années d’emploi légal dans un État membre, et la portée de la clause de standstill introduite par l’art. 41 de l’Accord d’Ankara. La Cour n’a pas hésité à considérer qu’ils sont capables de produire un effet direct si l’on tient compte de leur formulation, objet et nature, en particulier lorsque les dispositions qui confèrent des droits aux particuliers sont rédigées en des termes clairs et précis et ne requièrent pour leur exécution ou alors pour produire des effets d’aucune mesure postérieure. Dans la seconde affaire, la cour est allée jusqu’à reconnaître l’effet direct des décisions du Conseil d’Association de l’Accord Turquie-UE, auxquels s’appliquent les mêmes conditions que l’accord d’association.
Dans tous les cas, la question de l’invocabilité directe des accords internationaux de l’UE n’a jamais été sans controverse. A cet égard on peut rappeler les objections des États membres, en particulier l’Allemagne au
sujet de l’affaire Kus18. Cet État membre n’était pas du tout favorable à ce que l’on reconnaisse un quelconque effet direct aux actes des institutions de l’association comme ce fut le cas au sujet de la Décision 1/8019.
En ce qui concerne le cas particulier des Accords ACP-UE, tous ces éléments évoqués peuvent leur être transposables, car au-delà des relations traditionnelles de coopération telles que dans le domaine de l’économie, le commerce, et l’aide au développement, ceux-ci dédient quelques paragraphes à préciser la statut de certaines personnes dont la protection apparaît essentielle, notamment dans l’art. 13 de la Convention actuelle de Cotonou qui établit une clause de non-discrimination envers les travailleurs20. Cette clause de non-discrimination cohabite avec une autre de réadmission des personnes qui séjournent de manière irrégulière sur le territoire des États membres. Historiquement ces accords ACP-UE ont en fait introduit des clauses de non- discrimination de diverses natures dont la portée sera examinée plus loin. Ils n’ont cependant pas été exemptés du questionnement sur leur capacité en général à produire des droits et obligations exigibles directement devant les tribunaux des États membres. A cet égard deux arrêts importants attirent notre attention à savoir : l’affaire Bresciani et l’affaire Chiquita21.
Dans l’Affaire Bresciani la Cour de justice a eu l’occasion de se prononcer sur l’interprétation de l’art. 13 TCEE et le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention de Yaoundé I du 20 juillet 196322. Cette interprétation visait à déterminer si l’imposition d’une charge pécuniaire sur les peaux de bovins importées en Italie en provenance des pays ACP, constituait une taxe d’effet
équivalent prohibée aussi bien par le Traité CEE que par la Convention de Yaoundé. En effet ces peaux de l’entreprise Bresciani furent soumises à un prélèvement pécuniaire en guise de droit d’inspection sanitaire prévu par la législation nationale. Par ailleurs, dans le même ordre d’idée, la Cour devait déterminer si au regard de l’esprit, du système et de la teneur littéraire de l’accord de Yaoundé on pouvait déduire que la disposition disputée pouvait être directement applicable.
La Cour a conclu que l’obligation de supprimer les charges d’effets équivalent imposée par l’Accord de Yaoundé était suffisamment claire, précise et sans réserve explicite ni implicite et conférait dès lors un droit aux justiciables à l’invoquer directement. De plus, la Cour a considéré que l’argument de la réciprocité sur lequel nous nous pencheront plus en détail ne pouvait conditionner la reconnaissance dudit effet, puisque le déséquilibre entre les d’obligations entre les parties assumé par la Communauté répond à la logique propre de l’accord et son caractère spécial23.
En ce qui concerne l’affaire Chiquita, la Cour de justice, au sujet de la Convention de Lomé IV a confirmé que les dispositions de cet accord et donc des conventions de Lomé en général étaient susceptibles de déployer dans l’ordre Communautaire un effet direct24. Dans ce cas précis l’affaire portait sur un impôt de consommation institué par l’Italie qui frappait certains fruits importés, notamment les bananes produites par les États ACP.
Il ressort donc de cette l’analyse de la jurisprudence de la Cour qu’il n’y a aucun obstacle de principe qui rendrait ces accords inaptes à produire un effet direct. La «nature» et «l’objet de l’accord» qui semblent être des éléments pertinents pour l’appréciation de la capacité d’un accord international à produire un effet direct a fait l’objet d’une très intéressante réflexion systématique de Holdgaard, à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice25. De manière très pertinente, celui-ci met en avant trois critères pour apprécier la nature et l’objet des accords et donc leur capacité à générer des droits et obligations immédiatement exécutables. Ces critères sont en effet la réciprocité des droits
et obligations, le caractère spécial des relations avec la Communauté, et le
critère de flexibilité des obligations légales26.
En ce qui concerne la réciprocité, il considére que les accords qui se fondent sur ce principe sont moins susceptible d’être invoqués directement. Cette observation se base sur le fait que la jurisprudence de la Cour de justice permet de distinguer entre une «réciprocité substantielle» et une «réciprocité formelle»27. Selon lui la réciprocité substantielle empêche généralement que l’accord puisse produire des effets directs, mais cependant tout dépendra dans ce cas précis de la question de savoir si les pays tiers ont entendu reconnaître un effet direct ou non aux dispositions de l’accord.
Pour ce qui est des «relations spéciales», l’auteur observe que les accords qui établissent ce type de relations sont plus propices en général à une possibilité d’invocation directe. Le problème lié à ce critère est que la Cour n’a pas défini ce qu’elle entend par «relations spéciales». Cependant Holdgaard considère qu’il s’agit d’un critère qui doit être entendu de manière négative, c’est-à-dire comme le contraire de la notion de réciprocité. Selon lui il ne peut avoir de «relations spéciales» dans un accord qui établit une réciprocité substantielle. Cela dit, les critères d’identification des «relations spéciales» son précisément l’existence d’une forme d’asymétrie ou d’inégalité entre les obligations substantielles d’une part, ou alors l’association du partenaire extracommunautaire à un domaine fondamental du système communautaire, d’autre part. Ces relations peuvent être expressément reconnues par les Traités eux-mêmes ou alors par les objectifs propres de l’accord entre l’UE et les pays tiers. De ce point de vu, on peut dire que les séries d’Accords de Yaoundé, Lomé et plus récemment de Cotonou illustrent et s’insèrent bien dans cette analyse de Holdgaard.
De façon plus pertinente encore, cette notion de «relations spéciales» est également applicable aux accords de l’UE avec les pays tiers qui préparent une adhésion future comme nouveaux États membres ou alors avec des accords qui s’établissent en raison des liens historiques spéciaux ou alors de la responsabilité spéciale de certains États membres au regard de certains territoires. Il peut aussi s’agir des relations qui bien qu’étant spéciales sont
pourtant moins étroites et moins préférentielles et portent sur les rapports de coopération, de développement économique et du commerce.
En ce qui concerne le dernier des critères, sur la flexibilité dans les obligations légales, Holdgaard considère également que plus l’accord est flexible dans sa totalité, moins il pourra être invoqué directement, car cette capacité à s’appliquer directement diminue de manière proportionnelle. Inversement, les accords internationaux qui contiennent des obligations claires et précises ont une meilleure probabilité de générer un effet direct28.
Le poids que représente la flexibilité au regard du respect des droits et obligations crées par un accord est très important. Cette flexibilité peut s’apprécier au regard donc de la précision des clauses de sauvegarde, des dérogations, des exemptions, du degré de sanctions en cas de violations des obligations, des mécanismes de solution des controverses et les possibilités de rétorsion.
En somme, il reste vrai que l’on ne saurait ignorer le fait que les accords internationaux sont susceptibles de transformation tout le long de leur vie. Ils peuvent passer d’une flexibilité originelle à une précision majeure à la faveur du travail de clarification et interprétation qui se réalisent dans les mécanismes de résolution des conflits au sujet de leurs dispositions. Reste à savoir à présent si les Accords ACP-UE ont entendu créer un droit général à la libre circulation de personnes au profit des ressortissants des États parties.
La notion de libre circulation de personne revêt une pluralité de dimensions dans le droit de l’UE. Ce caractère polyédrique est le fruit d’une construction partie par partie de son contenu à tel point qu’aujourd’hui l’on peut dire que sa signification n’est plus la même que celle des origines des Communautés Européennes. Parmi ses facettes les plus importantes, en ce qui concerne particulièrement les personnes physiques, on peut distinguer le travailleur salarié ou indépendant d’une part et le citoyen de l’autre. C’est d’abord vers les travailleurs, au regard la fonction économique importante qu’ils étaient appelés à réaliser dans le marché intérieur, que les Traités se sont tournés pour établir les garanties nécessaires pour la réalisation d’activités en dehors du territoire de l’État membre dont ils sont ressortissants. L’intention était que ces mouvements se fassent dans les conditions d’égalité en comparaison avec
les nationaux des États membres d’accueil. Ensuite, les Traités ont institué une nouvelle catégorie, le citoyen29. Celui-ci, à la faveur de l’interprétation hardie de la Cour de justice s’est progressivement libéré des atavismes économiques attachés au mouvement des personnes dans l’UE au point de devenir le statut fondamental des ressortissants des États membres dans l’UE30. Cette notion de statut fondamentale est d’autant plus significative qu’elle a fait du statut du citoyen la référence pour la mesure de toute concession de droits et obligations faites aux ressortissants de pays tiers dans l’UE.
L’incorporation du statut du citoyen dans les traités constitutifs n’a ce- pendant pas conduit à un renoncement complet à la dimension économique du traitement attribué aux personnes. Les différentes révisions de ces Trai- tés n’ont pas écorné la volonté du législateur de l’UE de continuer à faire une nette distinction entre le travailleur —art. 45 TFUE― et le citoyen—art. 20 TFUE―. Cette dimension économique demeure d’ailleurs très présente dans les accords internationaux conclue entre l’UE et les pays tiers, en ce qui concerne le statut de leurs ressortissants impliqués dans une activité écono- mique sur le territoire d’un État membre.
On sait aussi que le statut des ressortissants des États tiers excepté celui des bénéficiaires «naturels» du droit de l’UE, en particulier, le citoyen de l’UE et les membres de sa famille, et d’autres ressortissants de pays tiers avantageusement traités, varie substantiellement en fonction de l’étendu des droits accordés par les accords internationaux de l’UE avec les pays dont ils sont ressortissants. Néanmoins on observe aujourd’hui que de plus en plus de ressortissants des pays tiers tirent des droits non plus seulement des accords internationaux mais aussi du droit dérivé qui progressivement leur reconnaît certaines prérogatives, en les associant avec plus ou moins d’intensité au bénéfice des droits liés à libre circulations des personnes31.
La libre circulation des personnes a été d’abord interprétée comme un droit exclusif des ressortissants des États membres ou alors des citoyens de l’UE. Il existait à l’époque un intense débat doctrinal au sujet de la portée
de l’art. 45 TFUE (Ex 48 TCE), pour élucider la question de savoir si cet article incluait ou alors excluait totalement de son champ d’application les ressortissants des États tiers32. La contribution du droit dérivé, notamment le Règlement 1612/6833 tendait plutôt à nier ferment une possibilité d’inclusion de ces derniers. Cette posture était par ailleurs corroborée par la jurisprudence de la Cour de justice. Dans l’affaire Meade34, celle-ci avait adopté une position favorable à l’exclusion des ressortissants des pays tiers du bénéfice des droits liés à la libre circulation des personnes, même si plusieurs auteurs ont tenté de relativiser la portée de cette interprétation35.
En matière de sécurité sociale, l’inclusion des réfugiés et des apatrides dans le champ d’application personnel du Règlement 1407/7136, avait amené certains auteurs comme Guild à envisager que l’UE jouissait potentiellement de la compétence pour pouvoir régir la situation des ressortissants des pays tiers en la matière. En effet, l’extension formelle de l’application du régime de coordination en matière de sécurité sociale pour les ressortissants des pays tiers s’est faite au moyen d’une triple intervention législative. D’abord, le Règlement 883/200437 a étendu la coordination des systèmes de sécurité social aux ressortissants de l’Espace Économique Européen et la Suisse; ensuite le Règlement 1231/2010 à son tour a étendu les bénéfices des Règlements 883/2004 y 987/2009 aux autres ressortissants de pays tiers non couverts auparavant, dans le cas évidemment des situations qui ne se limitent pas uniquement au cadre d’un seul État.
Enfin, dans l’affaire Van der Elst et Rush38, la Cour a admis cependant la
possibilité que les ressortissants des États tiers puissent être bénéficiaires à un
certain degré des droits associés à la libre circulation de personnes, spécialement le droit d’entrer et de résider des travailleurs d’une entreprise qui se déplacent sur le territoire d’un autre État membre pour un durée limitée afin de fournir un service déterminé. Bien entendu, dans cette affaire il est resté au demeurant clair qu’il ne s’agissait pas d’une liberté de prestation de service qui appartenait à titre individuel au personnel de l’entreprise, mais plus tôt d’un droit qui se rattache à l’entreprise en question et non aux employés ressortissants de pays tiers qui n’en sont que les bénéficiaires subsidiaires.
De toute évidence le débat est loin d’être terminé. Il reste néanmoins que les accords de Schengen ont permis la reconnaissance progressive d’un droit limité de mouvement pour les ressortissants des pays tiers. Par ailleurs, si l’on tient que compte des avancées réalisées sur le plan du droit dérivé, de la jurisprudence de la Cour de justice et de la pénétration des principes de justice, d’équité et de sauvegarde des droits fondamentaux vis-à-vis des ressortissants des pays tiers, on peut affirmer que la donne est en train de changer profondément au regard de leur statut. On avance à notre sens vers une ampliation à pas décisifs des droits liés à la libre circulation en faveur de ces étrangers qui ne sont pas autant pleinement associés à la libre circulation de personnes que le sont déjà les ressortissants de l’Espace Économique Européen et la Suisse.
En ce qui concerne les ressortissants des pays ACP en particulier, et donc les camerounais, il ressort de la lecture et de l’interprétation de l’art. 13 de l’Accord de Cotonou, qu’un droit général à la libre circulation de personnes n’est pas prévu. Cela veut dire qu’il n’apparaît aucune d’intention de reconnaître un droit de participation à la libre circulation des travailleurs qui implique par exemple la jouissance dans les termes identiques à ceux des ressortissants des États membres, des droits établis par l’art. 45 TFUE. En revanche, l’on sait que l’assimilation est complète avec les ressortissants de l’Espace Économique Européen et la Suisse. Ces avantages, on le voit bien, sont réservés à certains catégories de ressortissants de pays tiers triés sur le volet.
Il existe clairement des domaines spécifiques dans lequel l’art. 13.3 oblige à assimiler le statut des ressortissants des États ACP avec celui des ressortissants des États membres. Cela concerne uniquement les conditions d’emploi, rémunération et licenciement. Il en résulte donc que cette assimilation doit s’entendre comme partielle et confinée aux aspects évoqués.
La non-discrimination dans les conditions de travail par exemple ne devrait pas être interprétée comme un droit d’accès général à une activité salariée sur le territoire d’un autre État membre tel qu’établi par l’article premier de la Directive 492/2011 sur la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union. Les ressortissants des États ACP ne sont pas titulaires d’un droit d’accepter une offre de travail dans un autre État membre, ni bénéficiaires du droit corrélatif au déplacement libre pour accepter ladite offre, et non plus du droit de demeurer sur le territoire de l’État membre concerné a la fin de la relation contractuelle. Même lorsque le droit de travailler dans un autre État membre leur est reconnu par certaines directives sur les ressortissants des pays tiers, ce droit reste encore extrêmement conditionné.
Le séjour des ressortissants des pays ACP dans l’UE se caractérise également par une absence d’un droit de résidence général. La possibilité de continuer à séjourner sur sur le territoire d’un État membre, dépend de la continuité de la relation légale d’emploi sur ledit territoire. À ce sujet d’ailleurs Peers, considère que le droit à l’égalité de traitement des ressortissants ACP en matière de conditions de travail doit être distingué du droit au maintien de la résidence pour cause d’emploi. Selon lui une l’interprétation analogique de leur situation avec les ressortissants des États tiers parties aux Accords euro- méditerranéens, à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice, suggère une prohibition aux États membres de mettre un terme à leur résidence pendant que la relation d’emploi subsiste sur le territoire dudit État membre39. Néanmoins, ce droit de résidence peut être remis en question pour des motifs d’ordre public, de sécurité publique, et de santé publique. Tout aussi pertinente nous paraît la question de savoir si les dispositions ou actes adoptés par les institutions de l’Accord ACP-UE ont un impact sur la condition juridique des ressortissants ACP.
4. Les dispositions institutionnelles et la portée des actes des organes de l’Association
Pour réaliser les objectifs de l’Association les parties se sont dotées d’institutions conjointes qui en termes quantitatifs sont moins nombreuses que celles de l’UE. L’Accord de Cotonou, distingue trois institutions majeures dont, le Conseil des Ministres, le Comité des Ambassadeurs, et l’Assemblée
Parlementaire Paritaire40. La Réunion des chefs d’États ou des gouvernements est aussi mentionnée, mais pas comme une institution commune proprement dite.
Le rôle général des institutions communes selon l’art. 14.2 de l’Accord de Cotonou est de «veiller à la coordination, la cohérence et la complémentarité, ainsi qu’un flux efficace et réciproque d’informations». Il s’agit là d’une tâche bien trop imprécise au regard de la complexité et diversité des domaines d’interventions de l’Accord.
Au sommet de l’échelle se trouve le Conseil des Ministres dont les attributions montrent qu’il s’agit d’une institution véritablement prépondérante. C’est lui qui a vocation à prendre des décisions contraignantes pour les parties. Il est composé d’une part par les membres du Conseil de l’Union Européenne et des membres de la Commission Européenne, et d’autres parts d’un membre du gouvernement de chaque État ACP.
Selon l’art. 15 de l’Accord, la présidence du Conseil de Ministres est exercée tour à tour par un membre du Conseil de l’UE et d’un membre du gouvernement d’un État ACP. Ses réunions annuelles donnent lieu à des consultations sur des sujets d’intérêt spécifique en appui aux travaux effectués par d’autres organes subsidiaires comme le Comité ministériel, le Comité commercial mixte, et le Comité ACP-CE de coopération pour le financement du développement. Le Secrétariat du Groupe ACP joue aussi un rôle intéressant dans le dispositif institutionnel, mais pas comme institution conjointe41.
Les fonctions du Conseil de Ministres sont celles d’animer le dialogue politique, adopter les orientations politiques, prendre des décisions pour l’exécution de l’accord, et dénouer les difficultés liées à son fonctionnement y compris en ce qui concerne le fonctionnement des mécanismes de consultation. Comme on l’a dit plus haut, les décisions du Conseil de Ministres sont obligatoires pour les parties, mais celui-ci peut également choisir de manifester sa volonté à travers des instruments non contraignants comme les Résolutions, Recommandations, et Avis42. Le Conseil de Ministres se prononce de «commun accord des parties». Les deux autres institutions du trio se chargent d’autres
fonctions moins décisives en comparaison avec le Conseil de Ministres. En effet, le Comité des ambassadeurs assiste le Conseil, et l’Assemblée Parlementaire Paritaire tient un rôle consultatif en ce qui concerne les matières liées aux processus démocratiques, le dialogue et concertation, les questions de développement et celles qui touchent au partenariat ACP-UE et aux améliorations institutionnelles43.
Sur les questions d’immigration, le rôle du Conseil de Ministres dans
l’Accord de Cotonou semble être confiné à l’examen des questions liées à
«l’immigration illégale en vue, le cas échéant, de définir les moyens d’une politique de prévention»—art. 13.5 a)―, dans le cadre du dialogue politique. Cela explique le fait qu’à ce jour nous ayons trouvé aucune trace d’une quelconque décision proprement dite du Conseil de Ministres sur l’’immigration et le statut des migrants similaire au modèle de la Décision 1/80 et 3/80 de l’Association Turquie-UE, même si, notons-le, des réunions de consultations sur l’immigration se tiennent régulièrement.
Il n’est pas de doutes que si les fonctions du Conseil de Ministres étaient perçues de la même manière que celles du Conseil d’Association des Accords d’Ankara, la Cour de justice ne se serait privée le cas échéant d’’interpréter les décisions qui eussent pu être adoptées sur le statut des migrants puisque celle- ci a affirmé dans l’affaire Sevince44 sa compétence à cet égard. Selon la Cour d’ailleurs, il s’agit de décisions directement connectées à l’accord principal auquel elles donnent effets, et, de la même manière que l’Accord lui-même, font partie intégrale à leur entrée en vigueur du droit Communautaire. Dans l’affaire Teflan-Met45, la Cour ne s’est pas dédite, elle a au contraire martelé que
«les décisions du conseil d’ association sont des actes arrêtés par un organe prévu par l’accord et pour l’adoption desquels cet organe a été habilité par les parties contractantes».
Puisqu’il est attribué au Conseil de Ministres un rôle d’exécution de l’accord qui, comme on le sait est très actif et prend très au sérieux ce rôle en ce qui concerne les matières commerciales, il ne pourrait donc pas avoir de difficultés substantielles à reconnaître à celui-ci la possibilité d’adopter des décisions s’il en était question en ce qui concerne la mise en œuvre des dispositions de
l’art. 13 sur la non-discrimination aux travailleurs, et en matière de réadmission des ressortissants ACP. Il faut dire aussi que les Déclarations Annexes sur les travailleurs et étudiants des Conventions antérieures à l’accord de Cotonou reconnaissaient déjà un droit de saisine par la Communauté ou le groupe d’États ACP «en cas de besoin» du Conseil de Ministres sur des questions y afférentes46. Dès lors, point n’est besoin d’attendre une interprétation authentique de l’art. 13.5a) pour contourner l’apparente limitation du rôle du Conseil de Ministres en matière d’immigration.
Une fois exploré le cadre juridique des accords ACP-UE, leur nature, importance, capacité juridique, volonté d’assimiler les ressortissants ACP aux ressortissants des États membres en matière de libre circulation des personnes, et portée des actes des institutions sur le statut des travailleurs, reste à présent à déterminer l’articulation dans ceux-ci les questions liées aux migrants.
III. EVOLUTION DU TRAITEMENT DES MIGRATIONS DANS LES ACCORDS ACP-UE
Il est connu de tous que les accords ACP-UE s’inscrivent dans une longue tradition de coopération entre les Pays d’Afrique des Caraïbes et du Pacifique et les Communautés Européennes, depuis le début des années soixante47. D’une certaine manière il fallait recomposer dans un nouveau contexte international d’indépendance d’anciennes colonies, les relations spéciales que les États métropolitains entretenaient avec les territoires auparavant dominés.
Ces accords sont fortement imprégnés par une caractéristique essentielle qui est celle de la continuité. Une continuité d’ailleurs que l’on peut observer si l’on tient compte de leur évolution depuis la Convention de Yaoundé I qui en est
le point de départ. Le champ de ces accords a également connu une évolution sensible, puisqu’au départ il était limité à l’établissement et renforcement des relations économiques et commerciales entre les parties. Les matières abordées se sont progressivement élargies au point d’inclure des questions plus politiques qu’économiques comme peuvent être entre autres les droits de l’homme, la bonne gouvernance, la garantie d’un environnent politique propice au développement, le terrorisme, la coopération dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massives. Il est donc correct d’affirmer que le cadre de coopération défini par ces accords est aujourd’hui extrêmement diversifié et sophistiqué. En outre, la question des migrations qui agglutine à elle seule des aspects aussi bien politiques, juridiques qu’économiques s’est imposée progressivement comme un élément incontournable, bien qu’ignorée par les accords initiaux.
Les migrations stricto sensu était totalement absentes des Accords de Yaoundé ─Yaoundé I et II─, et même du premier Accords de Lomé. On peut néanmoins observer dans ces accords précités la présence de clauses relatives au droit d’établissement des personnes physiques et personnes juridiques sur le territoire de l’un ou l’autre des États parties. Pour autant, à cette époque seuls les travailleurs indépendants étaient pris en compte mais pas en revanche les travailleurs salariés qui en étaient bien évidemment exclus. La protection garantie au regard du droit d’établissement par ces accords aux personnes physiques et juridiques portait sur le principe de non-discrimination basé sur la nationalité ─égalité─. Autrement dit, il était établi à l’égard des parties une obligation d’octroyer un traitement national aux entrepreneurs de l’une ou l’autre des groupes d’États participants aux accords48.
La prise au sérieux véritable de l’importance de la question des migrations des travailleurs salariés s’est manifestée dans un premier temps dans le deuxième Accord de la série de Lomé, en l’occurrence, l’Accord de Lomé II49. A cet égard, les dispositions relatives aux migrations ne furent intégrées dans ce nouvel instrument que par le truchement d’une Déclaration XV commune relative aux travailleurs ressortissants de l’une des parties contractantes résidant légalement sur le territoire d’un État membre ou d’un état ACP, établie dans
une annexe de l’Acte Final de la Convention, de telle sorte d’ailleurs que leur valeur juridique a été soumise à questionnement50.
En ce qui concerne la Troisième Convention de Lomé, deux Déclarations pertinentes au regard des migrations avaient été introduites également dans cet Accord. Comparativement, l’une de ces deux Déclarations semblait avoir une grande importance au regard de sa formulation en des termes qui généralement lèvent toute équivoque sur la capacité d’une disposition à produire directement des effets dans l’ordre juridique des États partie, notamment la Déclaration X annexée à l’Accord51. Le format choisi pour ce type de clause reflète bien les difficultés des parties à insérer dans la partie nucléaire du traité des dispositions totalement étrangères à ses objectifs et finalités qui comme on le sait étaient d’abord économiques, commerciaux et financiers et par ailleurs de promotion du développement des États ACP. L’importance de cette clause de la Déclaration XV justifie le fait qu’elle a été reconduites dans toutes les révisions postérieures des accords ACP-UE, y compris dans le tout dernier de Cotonou en 2010, mais pas en des termes tout à fait similaires.
L’Accord de Lomé IV quant à lui avait pour mission de renforcer la dimension politique de l’association et surtout d’insister sur la question de la protection des droits de l’homme au-delà des aspects traditionnels de coopération économique et financière entre les parties. En ce qui concerne les migrations, elles furent évoquées et prises en compte dans une Déclaration annexée à l’acte final de l’Accord, de manière similaire au modus operandi de la Convention de Lomé IIII. C’est au regard de la mise en relief dans cet accord de la question des droits de l’homme que l’art. 5.2 de la convention, destiné assurément à produire des conséquences certaines sur le statut des migrants, a été adoptée en consonance avec la Déclaration Annexe VI sur le statut des travailleurs ressortissants de l’une des parties contractantes, résidant légalement sur le territoire d’un État membre ou d’un État ACP52.
La dernière Convention de Lomé—Lomé IV-bis―, n’a pas été particulièrement innovante au regard des clauses qui portaient sur la situation des migrants. En effet, l’art 5.2 de l’accord de Lomé IV est repris in integrum dans l’art. 5.2 de la nouvelle Convention de Lomé IV bis. Par ailleurs les
Déclarations Annexes de l’accord antérieur furent entièrement reprises dans cette nouvelle convention, concrètement dans les Déclarations Annexes V et
VI. Cependant l’article 368 de ce dernier accord, établissait sans ambages que
«les protocoles annexés à la convention en font partie intégrante», comme pour balayer d’un revers de la main la valeur juridique des déclarations qui accompagnaient celle-ci.
Finalement, l’Accord de Cotonou qui est en vigueur actuellement s’est chargé de consolider l’acquis des Conventions antérieures en conservant en substance la formule contenue dans l’art. 5.2, et en compilant dans le même art. 13 de l’accord les dispositions des annexes antérieurs. Cette opération a supposé l’incorporation des dispositions de ces annexes dans le texte principal de l’accord, c’est-à-dire un changement de support ou de format. Un changement de format probablement salutaire pour la visibilité des clauses de non-discrimination, leur mise en valeur et reconnaissance de leur capacité à produire effets directs.
Les accords entre les pays ACP et l’UE couvrent également une nouvelle catégorie dite “Partenariat pour la Mobilité” dont l’examen ici aussi s’avère nécessaire53. Ce partenariat introduit également des instruments nouveaux au regard de la régulation des migrations dans l’UE avec les pays tiers. Les accords de facilitation de visa et les accords de réadmission constituent les deux modalités du Partenariat pour la Mobilité. Néanmoins ce type de partenariat suscite non seulement confusion mais aussi des interrogations. La modalité d’accord de facilitation de visas à notre sens pose le problème de l’existence en particulier de bases juridiques pertinentes dans le cadre de l’Accord de Cotonou pour la conclusion d’accords de cette nature.
Il est vrai que dans le droit de l’association ACP-UE, le titre de compétence pour la signature d’accords de réadmission ne pose aucun problème en principe, ou alors ne suscite aucun doute ou questionnement. En revanche les interrogations existent au sujet des accords de facilitation de visas comme c’est le cas de ceux conclus notamment avec le Cap-Vert, dont il est difficile d’identifier dans ledit droit de l’association le fondement légal d’une telle initiative conventionnelle.
La Déclaration commune II sur la migration et le développement introduite dans l’annexe de l’Accord de Cotonou révisé en 2010 ne peut constituer à notre avis une base juridique pour les Accords de facilitation de visas dans le cadre de l’Association ACP-UE54. A l’occasion de la révision évoquée Il eut été nécessaire que les parties accordassent une clause spécifique formulée en termes inéquivoques établissant l’intention des parties d’adopter ce nouveau type d’accords et probablement sans omettre d’évoquer les conséquences de ces accords sur le droit de l’association ACP-UE, et, en particulier sur le statut des migrants dans les accords y relatifs. Même à travers une procédure simplifiée de conclusion de traité—échange de notes par exemple― nous pensons que la question de la base juridique pour ce nouveau type d’accord aurait pu être résolue. Le problème qui se pose donc véritablement est celui précisément de la portée de ce nouveau type d’accords sur le régime de l’immigration et surtout des travailleurs ACP dans l’UE. Cela pose également le problème de l’impact réel sur la prévention des migrations irrégulières et la migration circulaire, c’est-à-dire la mobilité des compétences et des services.
À y regarder de près, on se rend surtout compte que ces accords de facilitation de visas sont des accords élitistes; réservé à des catégories de personnes qui pour la plupart jouissent déjà des facilités de mobilité vers et dans l’UE, dans le cadre de leurs activités—membres de gouvernements, journalistes, hommes d’affaires, etc.—. Dès lors, la question essentielle de la plus-value de ces accords se pose. Par ailleurs, le Partenariat pour la Mobilité contribue à disperser le régime applicable aux ressortissants de pays ACP et à instaurer des différences de traitement au sein du même groupe d’États. Cependant, l’élément le plus important de différenciation du traitement entre les ressortissants des pays tiers dans le cadre des accords d’association et de coopération de l’UE reste sans aucun doute le principe de non-discrimination.
IV. PRINCIPE DE NON-DISCRIMINATION DANS LE DROIT DE L’UE ET DANS L’ASSOCIATION ACP : IMPLICATIONS POUR LE STATUT DU CAMEROUNAIS
Le principe de non-discrimination est un principe qui constitue un élément fondamental sur lequel s’appuie l’UE pour ordonner le statut des ressortissants des États membres et celui des ressortissants des pays tiers. C’est en raison de cette importance qu’il sera examiné en distinguant d’abord le
principe tel qu’établi dans les art. 18 TFUE et 19 TFUE, ensuite l’application du principe dans les accords ACP-UE, et enfin les implications pour le statut du camerounais.
1. Le principe de non-discrimination des articles 18 et 19 TFUE
Le principe de non-discrimination fondée sur la nationalité dans l’UE— art. 18 TFUE— est un principe essentiel de l’ordre juridique de l’UE. Il a été introduit depuis les origines par les traités pour garantir aux travailleurs une égalité de traitement dans les États ou ceux-ci s’étaient déplacés pour exercer une activité rémunérée, mais également, si le but du séjour était de s’installer comme travailleur indépendant. C’est donc un principe qui comporte une relation étroite avec le marché intérieur.
Ce principe exige et empêche que l’on traite des situations comparables de manière différentes ou des situations différentes de manière identiques, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Il est fondamentalement établi à l’art. 18 TFUE—ex art. 12 TCE— et constitue une «lex generalis» des autres dispositions particulières du traité qui prohibent les discriminations faites aux ressortissants d’autres États membres; notamment la prohibition de discrimination vis-à-vis des travailleurs indépendants de l’art. 49 TFUE et de l’ art. 56 TFUE.
Cet article 18 TFUE délimite clairement son champ rationae materiae au «domaine d’application des traités». Sa portée réelle est l’objet d’une importante controverse doctrinale, ce même malgré le fait qu’il a été reconnu que son étendue dépasse largement le seul cadre limité du travailleur. Cette importance a pu être appréciée au regard de la centralité qu’il a acquis depuis l’établissement du statut du citoyen par le Traité de Maastricht et aussi grâce à l’interprétation entreprenante de la Cour de justice de l’UE. En effet, l’absence de définition du concept du «domaine d’application des traités» a renvoyé la balle dans le camp de la Cour qui s’est crue devoir intervenir pour interpréter et donc déterminer sa portée réelle. Dès lors, le domaine d’application des traités reste à ce jour éminemment casuistique et dynamique au même rythme que l’évolution du contour des compétences de l’UE qui varie au gré des modifications de traités.
L’interprétation par la Cour du domaine d’application des traités a été qualifiée d’expansive par les observateurs, en soulignant le positionnement de celle-ci en faveur de l’élimination de toutes les barrières établies par les États
pour faire obstruction à la libre circulation des personnes. La jurisprudence de
la Cour à ce sujet est d’ailleurs prolifique55.
Ces derniers temps la controverse a semblé se cristalliser sur une question essentielle, celle de savoir jusqu’à quel point cet art. 18 TFUE s’applique aux ressortissants des pays tiers. La controverse a été servie et nourrie dans la littérature spécialisée. Certains auteurs soutiennent une interprétation statique du champ d’application personnel de cet article et en considèrent exclus les ressortissants des pays tiers56. D’autres en revanche considèrent que l’état actuel du Droit de l’UE donne suffisamment de preuves qui justifient une interprétation favorable à l’inclusion des ressortissants des pays tiers dans le champ de l’art. 18 TFUE57.
Les arguments qui nous ont semblé les plus convainquant ont été ceux allégués en faveur d’une interprétation expansive du champ d’application de cet article. Dans cette posture, il est rappelé en premier lieu le sevrage du principe de son origine économique ; en second lieu, la tendance de la jurisprudence de la Cour à étendre le champ de couverture de l’art.18 TFUE ; en troisième lieu, le fait que les Traites incluent déjà les ressortissants des pays tiers dans un grand nombres de compétences et champs d’actions de l’UE, et finalement les effets pratiques de la non-discrimination qui obligent à ne pas exclure les ressortissants des pays tiers.
En plus de ces arguments évoqués, l’argument le plus décisif à notre sens a été celui évoqué au regard de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE—CDFUE— par Groenendjik à l’occasion de l’analyse de l’arrêt du Bundesverwaltungsgericht— la Cour suprême d’Allemagne— du 30 mars 2010. En résumé cet auteur voit un élément interprétatif significatif dans le fait que l’art. 21 CDFUE émule l’art. 18 TFUE. Il ajoute que même si le principe de
non-discrimination basé sur la nationalité n’est pas reconnu aux ressortissants des pays tiers par la voie du principe codifié de l’art. 18 TFUE, Il devrait leur être appliqué comme principe général du droit de l’UE qui irradie l’ensemble de ce système juridique.
Le principe de non-discrimination comprend aussi une autre dimension, celle de l’art. 19 TFUE—ex 13 TCE― introduit par le Traité d’Amsterdam, qui a permis l’adoption de deux instruments de grande importance pour la lutte contre les discriminations à savoir la Directive 2000/78/CE sur l’égalité d’opportunité et la Directive 2000/43/CE sur les discriminations raciales58. Sur la base de cet article il a été établi un système autonome pour la protection de l’égalité entre les personnes aussi bien verticalement qu’horizontalement. Cependant, ces deux directives excluent les ressortissants des pays tiers de leur champ de sa protection en ce qui concerne les discriminations basées sur la nationalité. Il s’agit d’une exclusion aux conséquences lourdes, puisque les discriminations basées sur la nationalité cachent souvent d’autres types de discriminations, et de ce fait celles-ci courent le risque de l’impunité grâce au recours à l’excuse de la nationalité.
Dans l’affaire Centrum Voor Gelijkheid, la Cour a démonté en réalité une discrimination fondée sur la nationalité vis-à-vis d’un ressortissant d’un pays tiers en utilisant le fondement de la discrimination raciale59. Ce faisant, elle a abouti au résultat qui consiste à éliminer les discriminations fondées sur la nationalité vis-à-vis des ressortissants des pays tiers qui ne sont pas en principe couverts par la Directive sur l’égalité raciale pour les cas de discrimination basés sur la nationalité. En contournant cette exclusion, la Cour a démontré sans le dire ouvertement—puisque la Directive l’en empêche formellement― qu’elle n’est pas prête dans certains cas à tolérer les discriminations aux ressortissants des pays tiers sur la base de la nationalité.
Au total, cette évolution du droit de l’UE renforce le statut de tous les ressortissants des pays tiers dans l’UE y compris les camerounais. La position de la Cour de justice en faveur de l’exclusion de l’application de l’art. 18 TFUE aux ressortissants des pays tiers dans l’affaire Vatsouras et Koupatanze devrait être reconsidéré ou alors considéré avec réserve, car la Cour elle-même est en
train d’annoncer progressivement60 l’effritement de cette exclusion, comme on peut le voir dans l’affaire Kamberaj. Dans cette affaire, celle-ci recourt au principe d’égalité de traitement de la Directive de longue durée et à la CDFUE pour traiter sur un pied d’égalité les citoyens et les ressortissants des pays tiers en matière de sécurité sociale. Cependant, l’on ne peut ignorer que le principe de l’égalité est également un principe présent dans les Accords ACP-UE.
2. Le principe de non-discrimination dans les Accords ACP-UE
Le principe de non-discrimination évoque plusieurs réalités dans les accords ACP-UE, car la nature des clauses y établies ne sont pas univoques. Elles sont nombreuses et ne portent pas uniquement que sur les personnes physiques ou alors le statut des travailleurs migrants.
Néanmoins, celles qui s’adressent aux travailleurs migrants ont une double nature et suivent dans une certaine mesure le même schéma adopté par les traités constitutifs, c’est-à-dire en séparant un principe de non-discrimination général fondé sur une liste de chefs précis qui s’apparente à celui établit en droit international des droits de l’homme, et un principe de non-discrimination spécifique envers les travailleurs qui lui est propre aux accords signés par l’UE et les pays tiers.
Le principe de non-discrimination vis à vis des travailleurs représente une concession importante que se font les parties dans les accords ACP-UE, aux regards des personnes physiques, puisque celles-ci peuvent en tirer des droits immédiatement exécutables vis-à-vis des États membres si leur effet direct est reconnu. Ce principe a d’abord été introduit par les déclarations annexes aux Conventions de Lomé et plus récemment par l’art. 13.3 de l’Accord de Cotonou61. Cet article 13.3 dont la formulation n’est en rien originale au regard des autres accords avec les pays tiers, souligne que «chaque État membre accorde aux travailleurs ressortissants d’un pays ACP, exerçant légalement une activité sur son territoire, un traitement caractérisé par l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport à ses propres ressortissants, en ce qui
concerne les conditions de travail, de rémunération et de licenciement». Cette inclusion dans le texte principal de l’accord est aussi nouvelle que l’ajout du terme «licenciement» à la clause. Cet ajout n’a pas empêché que cette clause ait été amputée de la référence à la protection de la famille du travailleur en matière de prestation de sécurité sociale liée à l’emploi.
La clause établit des obligations qui présentent des caractéristiques propres des clauses de «réciprocité formelle» au sens de Holdgaard, dans la mesure ou les États membres et l’UE ne font pas dépendre l’exécution de l’obligation de l’accomplissement de celle-ci par les États ACP. De ce fait, l’« exceptio non adimpleti contractus» n’est pas tout à fait envisageable dans ce type d’accords ou généralement les obligations sont très souvent asymétriques. Manifestement, il s’agit d’un principe de non-discrimination dont l’application est limitée non seulement aux travailleurs mais aussi aux trois domaines mentionnés par la clause. Cette limitation comporte plusieurs implications ».
En primer lieu, on observe l’absence d’un droit d’accès général au marché de l’emploi des États membres pour les ressortissants de pays ACP. Cela suppose la possibilité pour les États membres d’opposer la préférence nationale à ceux qui ne sont pas encore sur le marché du travail. Cela n’empêche pas que les États membres limitent ou subordonnent l’accès à un emploi des ressortissants ACP à certaines exigences quant aux offres et demandes d’emploi. Les États membres peuvent établir des procédures spéciales de contratation des ressortissants ACP, les soumettre à des conditions d’enregistrement préalable dans les bureaux d’emploi, et peuvent faire obstacles à leur contratation nominative quand il s’agit de personnes qui ne résident pas sur leur territoire. De plus, les États membres ont le pouvoir de limiter l’emploi des ressortissants ACP en établissant des quotas et pourcentages, par classe d’activité, par région ou à l’échelle national sans que pour autant la clause de non-discrimination soit violée.
Deuxièmement, les ressortissants ACP —tous les ressortissants des pays tiers en général―sont sujet à des limitations en ce qui concerne l’accès aux emplois de la fonction publique. Cela est d’autant plus évident qu’a fortiori même les ressortissants des États membres y ont un accès limité surtout au regard des activités qui selon la Cour de justice―Affaire C-47/02; C-283/99; C-290/94—, impliquent la participation directe ou indirecte à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des
intérêts généraux de l’État ou des autres entités publiques; et supposent ainsi de la part des titulaires, l’existence d’un certain degré de solidarité avec l’État, ainsi que la réciprocité des droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité62.
Finalement, positivement, la clause implique que les travailleurs ACP peuvent avoir accès aux formations offertes dans le cadre professionnel, dans les mêmes conditions que les nationaux. Dans le même ordre d’idée leur seront appliqués dans les mêmes conditions que les ressortissants des États membres les conventions collectives et les autres accords qui règlementent le cadre professionnel dont il s’agit, en matière de rétribution, de conditions de travail et en matière de licenciement. En vertu de cette clause de l’art. 13.3, rien n’empêche que ceux-ci puissent exercer des droits syndicaux qui incluent le droit au vote et l’éligibilité aux organes de représentation dans ce domaine syndical.
En ce qui concerne la clause de non-discrimination en vertu du droit international, elle a été incluse pour la première fois par l’art. 5.2 de la Convention de Lomé IV, et retenue mais en des termes différents dans l’art.
13.1 de l’Accord de Cotonou. Celle-ci réaffirme les obligations internationales des parties en matière de lutte contre les discriminations fondées sur le sexe, la race, la langue et la religion.
Par ailleurs, et plus important encore, la reconnaissance expresse du principe du traitement équitable et des droits comparables, introduit au paragraphe 2 de l’art. 13 de l’accord en dit long sur l’importance que ce principe qui émane du Conseil de Tampere revêt sur l’interprétation de la clause de non-discrimination. L’importance qu’il a acquis montre que sa valeur dépasse le caractère d’objectif et programmatique initial qui le caractérisait. Il s’agit à notre sens comme on le verra plus loin d’un principe converti en un principe général de droit sectoriel qui doit aujourd’hui guider l’interprétation des droits des étrangers dans l’UE et qui se trouve être renforcé par la CDFUE. Il impose une interprétation générale des droits des ressortissants des pays tiers qui donne priorité à la «lex favorabilis»— une interprétation favorable du statut des ressortissants des pays tiers― sur la «lex odiosa».
Pour ce qui relève de l’efficacité de la clause de non-discrimination, on peut dire que celle-ci réunit toutes les conditions pour produire un effet direct, si l’on tient compte des critères de clarté, précision et d’absence de réserve de la clause établis par la Cour de justice63. Dans l’affaire Kolpak, la Cour avait reconnu un effet direct à la clause de non-discrimination envers les travailleurs de l’Accord Européen avec la Slovaquie64. Cet accord était rédigé en des termes pratiquement identiques à celui de l’accord de Cotonou. L’interprétation de la nature, structure et objet de l’Accord ACP-UE ne devrait pas donner lieu à un résultat autre que la reconnaissance de cet effet. Rappelons aussi que la Cour dans les Affaires Bresciani et Chiquita, avait déjà reconnu la possibilité que certaines clauses des Accords ACP-UE soient revêtues d’effet direct. L’interprétation du principe de non-discrimination dans l’accord de Cotonou pose aussi le problème de la définition du concept de “travailleur” dans le cadre de celui-ci.
A. Le concept de travailleur dans les accords ACP-UE
La question de savoir si la signification du concept de « travailleur » de l’art 13.3 peut être interprétée de manière autonome est très importante dans la mesure ou l’UE a développé un dense réseau d’accords internationaux qui contiennent des dispositions spécifiques sur les travailleurs migrants qui potentiellement peuvent avoir des portées différentes.
A ce sujet la Cour de justice, tirant les conséquences de l’absence de définition du terme de la part des traités a constamment répéter sa position à travers une interprétation extensive à ce sujet en rappelant qu’au sens du Droit de l’Union « le travailleur» est «une personne qui accomplissant pendant un certain temps des prestations pour une autre personne et sous sa direction, en contrepartie de quoi elle reçoit une rémunération»—Lawrie-Blum, etc.—65. Ce faisant, la cour a voulu une définition propre, autonome du droit de l’UE pour ce terme. Il s’agit par là d’éviter que la définition varie d’un État membre à l’autre et donne lieu à une interprétation qui en restreint le sens et érige par ce fait même des obstacles à la libre circulation des travailleurs. La Cour a aussi établi dans l’affaire Bettray que ni le degré de productivité, ni les
ressources destinées à la rémunération devrait pouvoir influencer la notion de travailleur66. Dans l’Affaire Kempf celle-ci a précisé que les activités doivent être réelles et effectives et que, par définition donc, les activités marginales et accessoires ne donnent pas lieu au statut de travailleur67.
La question se pose de savoir si ce concept dont la cour exige qu’il soit applicable de manière uniforme pour les travailleurs ressortissants des États membres doit avoir aussi la même signification à l’’égard des ressortissants des pays tiers. La Cour a répondu par l’affirmative à l’inverse souvent des plaidoyers des avocats généraux. Dans l’affaire Birden, concernant un ressortissant turc, la Cour a fait une analogie directe entre le concept de travailleur au sens du droit communautaire et le concept de travailleurs selon la Décision nº 1/80 du Conseil d’Association. Tout indique que cette analogie est également pertinente au regard des travailleurs ressortissants des pays ACP. L’analogie entre la notion de travailleur dans le droit de l’UE et la notion utilisée dans les accords extérieurs de l’UE se trouve être largement consolidée dans la jurisprudence de la Cour. En revanche la notion de travailleur au sens de la sécurité sociale a posé quelques problèmes au départ, car elle ne coïncidait pas avec celle qui est donnée du travailleur lato sensu. La complexité de la définition établie par l’art. 1 du Règlement 1407/71 n’avait d’autres résultats que de renvoyer aux définitions établies par les législations nationales.
Au regard des accords internationaux de l’UE, la Cour a voulu que le concept soit également autonome comme l’est celui de travailleur en général dans le droit de l’UE, en le soustrayant des définitions données par les législations nationales. C’est ainsi que Dans l’Affaire Kziber68, la Cour l’a interprété comme une notion qui englobe à la fois le travailleur actif et ceux qui ont quitté le marché du travail après avoir atteint la limite d’âge requise pour bénéficier d’une pension de vieillesse ou après avoir été victime d’un des risques qui donnent lieu à des allocations au titre d’autres branches de la sécurité sociale. En plus de la définition du concept de travailleur, la notion d’exercice légal d’une activité de l’art. 13.3 de l’Accord de Cotonou mérite également une certaine clarification.
B. La notion «d’exercice légal d’une activité»
Étant donné qu’il n’existe aucune définition spécifique à ce sujet ni par les instruments du droit de l’UE ni par la jurisprudence, le concept d’«exercice légale d’une activité» utilisé concrètement par l’art. 13.3 de l’Accord de Cotonou doit être rapproché d’une part de celui «d’emploi régulier»— synonyme de «emplois légal» selon l’interprétation de la Cour de justice― établi en particulier dans l’accord Turquie-UE. Mais la notion «d’emploi légal» ne parvient à elle toute à seule à capter la substance du contenu de” l’exercice légal d’un l’activité», car cette dernière notion semble contenir également une autre dimension, celle du séjour régulier. Il ne suffit pas que l’activité soit légale c’est-à-dire qu’elle se déroule dans le respect des règles de contraction et d’exercice de l’activité au regard du droit national, mais il faut aussi que le ressortissant de pays ACP soit en possession d’un titre de séjour régulier ou alors se trouve dans les conditions de l’obtenir. En d’autres termes, même si la clause établit cette condition essentielle de légalité de l’activité des travailleurs ACP comme préalable pour la jouissance du principe de non-discrimination, cette légalité de l’activité va nécessairement de pair avec la légalité du séjour puisqu’aucun État membre n’autorise aujourd’hui l’exercice légitime d’une activité salariée aux ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas les conditions de séjour établies par la législation nationale. D’ailleurs la légalité du séjour apparaît dans le droit des étrangers de l’UE comme une condition pour accéder un éventail de droits.
A notre sens, la notion la plus complète et consolidée dans la jurisprudence
de la Cour de justice qui tient compte de cette double dimension est celle de l’appartenance au «marché régulier de l’emploi». La Cour de justice, interrogée au sujet de l’art. 6.1 de la Décision 1/80 adoptée par le Conseil d’Association de l’Accord de Ankara, s’est prononcée pour déterminer la signification de ce concept dans les affaires Kurz, Birden et Nazli69. Elle a défini cette notion comme «désignant l’ensemble des travailleurs qui se sont conformés aux prescriptions légales et réglementaires de l’État membre d’accueil en matière d’entrée sur son territoire ainsi que d’emploi et qui ont ainsi le droit d’exercer une activité professionnelle dans cet État».
Il nous paraît donc que la notion d’appartenance au « marché régulier de l’emploi » devrait servir de modèle interprétatif pour éclairer le sens du concept de «l’exercice légal d’une activité» introduit par l’art. 13.3 de l’Accord de Cotonou. En d’autres termes, les ressortissants de pays ACP qui « exerce légalement une activité» sur le territoire d’un État membre doit être traité comme une personne qui fait partie «du marché régulier de l’emploi». Dans la jurisprudence de la Cour au regard des ressortissants des pays ACP cette question de la définition des termes ne s’est pas encore posée, comme on pourra le voir dans le prochain sous-titre.
C. Étude de quelques cas jurisprudentiels pertinents
La sélection de deux cas intéressants dans lesquels la condition des ressortissants de pays ACP était directement et indirectement discutée devant la Cour méritent d’être analysés pour sonder l’interprétation que celle-ci fait du statut de ces personnes dans l’UE
a. L’Affaire Razanatsimba
L’affaire Razanatsimba portait sur l’interprétation de l’art. 62 de la Convention I de Lomé qui établissait un principe de non-discrimination envers les ressortissants des parties à l’accord, en particulier en ce qui concerne l’établissement et prestation de service de la part des personnes physiques et juridiques70. Le sieur Razanatsimba ressortissant malagache—pays ACP― avait étudié et obtenu en diplôme en droit en France et prétendait y exercer la profession d’avocat. Celui-ci s’était vu opposer le défaut de nationalité française comme justification pour l’exclure. Dans le cadre d’un recours préjudiciel formé dans le cadre d’une procédure nationale de contestation de l’exclusion deux questions ont été posées à la Cour de justice. La première consistait à savoir si l’Accord de Lomé I dans son art. 62 permettait un droit d’établissement dans le territoire d’un État membre, en particulier en France, sans réunir la condition de nationalité. La deuxième question visait à déterminer si la réserve de l’art. 62 de la Convention en question permettait à un État membre d’exiger pour une activité déterminée en l’occurrence pour la profession d’avocat, la nationalité de cet État membre —France dans ce cas― ou d’un autre État membre de la Communauté.
Dans sa réponse le Tribunal s’est aligné presque totalement sur les positions de l’Avocat Général. Celui-ci a considéré que le demandeur avait assimilé de manière inadéquate les dispositions de l’art. 62 avec celles du Traité sur la liberté d’établissement en se fondant à l’appui de sa thèse sur l’arrêt Reyners de 1974 comme s’il s’agissait d’un ressortissant d’un État membre titulaire d’un droit à l’égalité de traitement directement tiré du Traité71. La Cour s’est opposée également à ce que le sieur Razanatsimba recourt à un accord bilatéral plus favorable à savoir, l’accord franco-malgache de coopération judiciaire qui prévoyait une égalité de traitement des ressortissants des deux pays en matière de prestation de service des avocats ; en raison du fait que celui-ci avait été dérogé et remplacé par un autre plus restrictif. Cela n’a pas empêché cependant que la Cour reconnaisse comme tout à fait légitime au regard de l’art. 62 de la Convention que les États membres réservent à travers des accords internationaux bilatéraux un traitement plus favorable sur la base d’obligations réciproques aux ressortissants de l’autre partie sans que cela soit considéré comme une violation de l’art. 62. Ceci revient à dire d’une autre manière que les accords ACP-UE ne sont pas les seuls cadres de détermination du statut juridique des ressortissants des pays ACP et que le droit de l’UE ne s’oppose pas en principe à ce que les États membres sur le plan bilatéral, dans leurs relations individuelles avec les États ACP établissent des règles plus favorables au profit de leurs ressortissants respectifs sur le territoire de l’autre partie—régimes particuliers―.
Au sujet de l’effet direct de l’article 62 de la Convention de Lomé I, la
Cour a reconnu que le premier alinéa de l’article 62 était rédigé en des termes qui sont susceptibles de générer un effet direct, mais que le fait d’être affublé par la réserve du deuxième alinéa l’en déprivait—« Toutefois(...)si un État membre n’est pas en mesure d’assurer un tel traitement (...) il n’est pas tenus d’accorder un tel traitement (...)» — Cette réserve confirmait ainsi la discrétion des parties quant à l’octroi d’une égalité de traitement. Par ailleurs, l’avocat général a rappelé dans ses conclusions que cette discrétion ne pouvait donner lieu un arbitraire « pure et simple »72.
Cet arrêt confirme l’absence d’un principe de non-discrimination effectif au bénéfice des ressortissants et entreprises des pays ACP en matière d’établissement sur le territoire d’un État membre. Il n’était ni effectif dans la convention analysée ni dans l’actuelle Convention de Cotonou bien qu’établit en des termes identiques, mais cette fois dans un annexe au Traité —art. 13 de l’Annexe II de l’Accord de Cotonou de 2005―73.
L’absence évidente d’un traitement national effectif établit par les l’Accords ACP-UE pour les ressortissants et entreprises de parties en matière d’établissement ne devrait influencer l’interprétation de l’art. 13.3 sur la non- discrimination aux travailleurs de la Convention de Cotonou qui est pleinement en capacités de produire un effet direct. La question de l’effet direct des clauses de non-discrimination dans l’accord a été soigneusement évitée dans l’affaire Koua Poirrez.
b. L’Affaire Koua Poirrez
Sur le plan jurisprudentiel, la Convention de Lomé IV a donné lieu à des discussions dans le cadre de l’affaire Ettien Koua Poirrez74. Dans cette affaire la Cour de justice a soigneusement évité de se prononcer sur le possible effet direct des dispositions aussi bien de l’art. 5.2 de la Convention que de l’Annexe VI évoqués en sus, qui substitue dans ce dernier cas la Déclaration Annexe X de l’Acte Final de la Troisième Convention de Lomé— Lomé III—, pourtant évoqués très directement par l’avocat général Van Gerven à la suite des allégations soulevées par le sieur Koua Poirrez. Ces clauses établissaient dans le cas de l’art. 5.2 une prohibition de discrimination sur dix chefs. Il s’agissait de chefs de discrimination classiquement remémorés dans les instruments internationaux sur les droits de l’homme. En effet, dans le cas de cette Déclaration Annexe VI, une prohibition de discrimination fondée sur la nationalité des travailleurs exerçant légalement une activité salariée en ce qui concerne les conditions de travail et rémunération était édictée. Ce principe de non-discrimination s’étendait également aux travailleurs et aux membres de leurs familles en matière de prestations de sécurité sociale liée à l’emploi. En refusant de se prononcer sur la portée du principe de non-discrimination de la
Déclaration VI, la Cour s’est trouvée prise dans une forme de jeu d’évitement néanmoins excusable pour plusieurs raisons.
En premier lieu, l’objet du litige ne portait aucunement sur l’interprétation des clauses spécifiques des accords ACP-UE. En effet, la question fondamentale discutée se basait sur une problématique de discrimination inverse, c’est-à-dire, savoir si un membre extracommautaire de la famille d’un travailleur d’un État membre peut invoquer les dispositions du droit de l’UE pour réclamer un avantage en matière de sécurité sociale qui est reconnu au travailleur migrant et aux membres de sa famille quand celui-ci a exercé son droit à la libre circulation dans l’UE.
Dès lors que l’objet essentiel du litige était étranger à la clause de non- discrimination des Accords ACP-UE. La circonstance ou alors la qualité de ressortissant de pays ACP du membre de la famille d’un citoyen de l’UE demeurait dans ce cas bien marginale. Il est vrai que l’on pourrait bien imaginer que la réaction du tribunal aurait pu être différente s’il avait existé un accord solide et immédiatement exécutable en matière de sécurité sociale entre les États ACP et l’UE aux fins de protéger les particuliers contre les discriminations en la matière.
Deuxièmement, comme le dit si bien l’avocat général Van Gerven cette clause de non-discrimination de l’Annexe VI établissait expressis verbis un champ d’application personnel limité aux «travailleurs» résidant légalement dans le territoire de l’une des parties. Pour autant, l’absence de qualité de travailleur du sieur Koua Poirrez était un élément additionnel qui militait en faveur de l’exclusion de l’application de ladite Convention de Lomé IV, en plus de ce que la qualité de ressortissant d’un État membre de l’UE de son père adoptif empêchait que celui-ci pût invoquer quelques dispositions que ce fût de l’Accord ACP-UE.
L’avocat général conclut donc que l’art. 5.2 qui était rédigé dans des termes propres d’une «déclaration de principes», était dès lors nécessairement non obligatoire. Celui-ci évitait ainsi à son tour de se prononcer sur la question de l’effet direct des préceptes de la Déclaration Annexe VI évoquée.
Troisièmement, un prononcement du Tribunal, très probablement négatif sur la question de l’effet direct des dispositions des conventions évoquées, sans vraiment y avoir été invité directement, pouvait avoir eu sans doute le fâcheux effet d’hypothéquer toute interprétation favorable de toute clause de
non-discrimination dans les Accords ACP-UE dans le futur, y compris celles des révisions postérieures de ces accords. Cela aurait probablement établi un précédent défavorable que les ressortissants des États ACP traîneraient comme un boulet dont ils ne pourraient se défaire.
Finalement, on peut noter ici une attitude de prudence manifeste de la Cour qui assurément lui a permis de repousser l’échéance quant à son prononcement sur cette question cruciale de l’effet direct des clauses migratoires des Accords ACP-UE, en particulier, de l’Annexe VI de la Convention de Lomé IV qui a été repris six ans plus tard en des termes exactement identiques par l’Annexe VI de la Convention de Lomé IV-bis. Il reste néanmoins vrai qu’il aurait été extrêmement difficile que le Tribunal se fût prononcé favorablement quant à l’effet direct de ces clauses étant donné que dans toutes les Conventions de Lomé qui se réfèrent aux questions migratoires les clauses de non- discrimination sont certes formulées en des termes extrêmement clairs et précis, mais le troisième critère de l’absence de réserve à la clause fait défaut.
Une fois encore, il faut dire que ces clauses qui nous occupent dans ce travail sont toutes dépourvues de prétention de produire un effet direct au regard du renvoi consciemment établit aux accords bilatéraux comme voie requise pour rendre effectif le principe de non-discrimination tel que l’on peut l’observer dans les parties finales de ces Déclarations.
De plus, reconnaître le principe de l’effet direct de ces clauses en faveur duquel se sont prononcés certains auteurs —GUILD—, serait ignorer un élément important qui jetait davantage de doutes sur l’efficacité directe de cette Déclaration de l’Annexe IV cité, à savoir que le législateur avait probablement voulu les dévitaliser en affirmant dans les arts. 368 respectifs des deux dernières Conventions de Lomé que les « protocoles annexés à la présente convention en font partie ». A contrario, cela voulait dire que les déclarations annexées ne pouvaient dès lors se voir attribuer une valeur juridique identique aux dispositions du corpus principal desdits accords. Que dire donc à présent des implications pour le camerounais ?
3. Implications pour le statut du camerounais
Le principe de non-discrimination est très important pour le camerounais, en raison d’une part de sa condition d’étranger, donc vulnérable par principe, et d’autre part par le fait de faire partie de la catégorie de personnes ethniquement différenciable et pour autant plus enclin aux discriminations
que d’autres. Les Directives d’égalité raciale ou ethnique ainsi que celle relative à l’emploi ou à l’occupation devraient constituer des leviers pour son intégration sociale. Celles-ci devraient le protéger dans les domaines définis en ce qui concerne leurs champs d’application excepté en matière de nationalité. Cependant, comme on l’a dit déjà, cette exclusion de la protection en matière de nationalité leur fait courir le risque de ne pas être effectivement protégés contre tous les autres motifs de discriminations.
Il faut aussi observer que le principe d’égalité en matière raciale ou ethnique et en matière d’emploi et d’occupation ne s’applique pas au camerounais particulièrement comme camerounais, mais comme personne humaine. Pour autant, sa nationalité est indifférente. En revanche là où sa nationalité est prise en compte à son détriment, c’est pour l’exclure de la protection spécifiquement contre les discriminations fondées sur la nationalité, dans ces deux directives mentionnées.
En ce qui concerne la protection par le principe de non-discrimination établit par l’Accord ACP-UE, il faut dire que l’art. 13.3 constitue un blindage de son statut. Cet article pourrait neutraliser n’importe quelle tentative des autorités publiques et des personnes privées de le discriminer dans les conditions de travail, rémunération et licenciement. Cet article renforce son statut dans l’UE et corrige potentiellement l’exclusion faite par les deux directives mentionnées en matière de discrimination fondées sur la nationalité.
Quant à l’art. 18 TFUE, s’il était reconnu son application aux ressortissants de pays tiers, celui-ci neutraliserait les mesures d’intégration—tests de langue, tests sur la connaissance de la culture du pays d’accueil etc. — auxquels sont soumis les camerounais dans plusieurs États membres avant d’entrer sur leur territoire, en particulier en matière de regroupement familial. Cet article ne pourrait cautionner les différences de traitement basés sur la nationalité qui ne sont pas objectivement justifiées entre ressortissants de pays tiers. Par ailleurs, le problème se pose différemment en ce qui concerne l’entrée des camerounais dans l’UE.
V. L’ENTRÉE DES RESSORTISSANTS CAMEROUNAIS DANS L ‘UNION
La première observation qui s’impose est que le camerounais au regard de sa condition à l’entrée de l’UE est un « étranger contrôlé », étant donné que son entrée sur le territoire des États membres est conditionné non seulement
par l’obligation de remplir certaines conditions préalables qui s’avèrent être à certains égards exorbitantes comparées à d’autres catégories de ressortissants de pays tiers. Ces conditions sont d’une part liée à l’obligation de posséder un visa pour pouvoir traverser les frontières extérieures de l’Union pour y accéder. De ce point de vue sa situation est tout à fait différente au regard des ressortissants des pays tiers qui bénéficient d’un statut plus favorable en ce qui concerne l’entrée et la résidence dans l’Union. Ce régime plus bénévole, on le sait, est établi au regard des pays tiers pleinement associés à la libre circulation des personnes et au marché intérieur. C’est le cas des ressortissants de l’Espace Économique Européen et de la Suisse.
Dès lors il est important de souligner que l’exigence de visa est donc un des éléments fondamentaux qui en fait constitue le point nucléaire de la différence de statuts à l’entrée dans l’Union entre le camerounais, comme ressortissants des pays ACP, et les autres nationaux de pays tiers qui jouissent d’un statut plus bénévole. Cette obligation d’obtenir un visa pour accéder aux territoires des États membres découle des dispositions du droit dérivé75.
Le camerounais ne peut se prévaloir en effet d’un droit subjectif d’accès libre dans l’Union, lequel convertirait les États membres si tel fût le cas en sujets « obligés légalement » à garantir la l’exécution de ladite obligation, c’est-à-dire, garantir l’entrée de cet étranger. Cette négation patente du droit d’entrée se traduit également par une absence d’un droit de traverser librement les points de passages frontaliers extérieurs de l’Union. Bien évidemment cette affirmation doit être inversée si l’on tient compte du cas des membres camerounais de la famille du citoyen qui bénéficient pour ce qui les concerne d’un droit d’accompagnement du citoyen sur le territoire d’un État membre différent de celui de sa nationalité.
En réalité, le droit de passage libre des points frontaliers extérieurs n’est pas non plus reconnu aux ressortissants des États membres qui pourtant comme on le sait sont les bénéficiaires primaires du droit de l’Union. Et il est donc difficile à plus forte raison que celui-ci soit reconnu aux ressortissants des pays tiers. Même les citoyens et les titulaires de droits assimilés doivent se soumettre aux contrôles à l’effet de vérifier leur droit d’entrée.
Il s’agit d’une situation rare dans lesquels on observe une certaine assimilation en matière d’entrée dans l’UE entre les ressortissants des États membres et les ressortissants des pays tiers. Aussi bien le camerounais que le citoyen comme on l’a dit doit se soumettre aux contrôles lors du franchissement des frontières extérieures. Mais il faut cependant dire que les situations ne sont pas toutes à fait identiques. La différence se trouve dans les détails des procédures de contrôle sur les personnes en frontières extérieures. En effet, le camerounais fait parties des ressortissants des pays non-européens soumis aux « vérifications approfondies » en frontières extérieures, pendant que les citoyens et les autres ressortissants des pays tiers titulaires du droit d’entrée sont soumis à une « vérification minimale »77. Certes, la question légitime de la pertinence pratique de la différenciation au niveau des contrôles sur les personnes dans ces frontières extérieures peut être posée. En tout état de cause, la différence se résume dans ce cas bien précis en termes d’intensité des contrôles effectués sur les deux catégories évoquées.
Par ailleurs, en ce qui concerne le droit pour le citoyen d’entrer sur le territoire de l’État de sa nationalité. Il s’agit là de la manifestation d’un principe qui ne fait a priori l’objet d’aucune controverse ni en droit en international ni en droit de l’UE. En effet l’art. 3 du Quatrième protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme dispose que «nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant». La Cour de justice a confirmé ce principe récemment dans les Affaires Van Duyn, Barkoci Malik, et plus récemment encore dans l’affaire Shirley McCarthy.
Cependant le droit d’entrée dont il est question ici est celui qui permet au ressortissant d’un d’État membre d’accéder sur le territoire d’un autre État membre de l’Union en bénéficiant de la couverture offerte aussi bien par les traités de l’Union que par le droit dérivé. Autrement dit, il s’agit d’un franchissement des frontières qui selon les termes d’Alfred Sawires constitue d’un acte juridique à la fois national et international effectué moyennant une « dispense d’autorisation préalable.
Il s’agit donc d’un droit fondamental qui tire son origine directement des Traités. Il a été reconnu dans l’affaire Royer comme étant indépendant de l’expédition d’une autorisation de résidence de la part de l’État membre d’accueil80. Il est en principe exclusif aux ressortissants des États membres et bénéficie aux ressortissants extracomunitarios par la voie du droit dérivé et des conventions internationales avec les pays tiers. Il implique que l’État membre admette les ressortissants des États membres sur simple présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport valides. De même, ce droit d’entrer interdit que l’État membre exige un visa d’entrée ni une obligation équivalente. En revanche les membres de la famille du citoyen qui sont des ressortissants des pays tiers ou qui ne possèdent pas de carte de séjour peuvent se voir exiger un visa. Le droit dérivé impose une obligation de facilitation de l’obtention des visas pour ces personnes s’il y en avait besoin. Il s’agit d’un droit pas absolu, mais qui doit s’ajuster aux exigences générales de l’art. 21 TFUE, c’est-à-dire, la soumission aux « limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application ».
Parmi les ressortissants de pays tiers bénéficiaires de ce droit d’entrée on peut citer recapitulativement d’une part ceux qui font partie de la famille du citoyen de l’UE et qui dans ce cas tirent leur droits de la législation dérivée de l’UE, et d’autres parts, au chapitre des accords internationaux, les bénéficiaires qui sont des ressortissants des États pleinement associés à la libre circulation de personnes, comme c’est le cas ressortissants de l’Islande, la Norvège, le Liechtenstein et la Suisse.
En ce qui concerne le camerounais, comme toutes les autres catégories de ressortissants de pays ACP, son exclusion du droit d’accès dans l’UE n’est en rien extraordinaire, dans la mesure où la grande majorité des ressortissants des pays tiers sont logés à la même enseigne. Et d’ailleurs même certains des ressortissants des pays tiers qui bénéficient de traitements les plus favorables accordés à leurs ressortissants sur la base d’accords internationaux comme c’est le cas de la Turquie n’en sont pas encore à bénéficier d’un droit d’accès dans l’UE. Dans l’affaire Günaydin la Cour a rappelé que la Décision 1/80 qui régit les conditions d’accès des turques sur le marché de l’emploi des États membres n’affecte pas la compétence des États membres en matière d’entrée
des ressortissants des pays tiers sur leurs territoires81. Cela implique même la possibilité de refuser l’accès à un ressortissant turc sur le territoire pour y occuper un premier emploi. La situation, en revanche est tout à fait différente si celui-ci a déjà obtenu un droit de séjour, puisque selon la Cour, l’art. 6 de la Décision 1/80 s’applique à la situation des travailleur turcs déjà intégrés sur le marché du travail des États membres — Kus, Bokurtz, Payir, Ertanir—82. Ce pouvoir discrétionnaire des États membres n’a pas de caractère absolu, puisque la Cour de justice peut exercer un contrôle de proportionnalité sur ces pouvoirs qui relèvent de ladite compétence de l’État membre. Il en est de même pour les ressortissants des États du Maghreb qui sont parties aux Accords euro-méditerranéens tels que les Marocains, Tunisiens et Algériens. Ceux-ci ne sont pas non plus titulaires d’un droit qui leur garantisse l’accès dans les États membres l’Union. Pareille bénéficie ne peut être entendu comme étant attribué à des ressortissants des États tiers dont les États ne sont pas liés par des conventions avec l’UE qui établissent des droits au regards des travailleurs migrants, sauf à en être bénéficiaire comme on l’a dit plus tôt au titre de membre de la famille du citoyen de l’Union et par le truchement d’autres dispositions spécifiques du droit dérivé.
Effectivement, il existe des dispositions spécifiques de droit dérivé qui
consacrent un droit d’entrée aux ressortissants des pays tiers indépendamment de leur nationalité. A cet égard on peut évoquer le statut de résident de longue durée qui permet aux ressortissants de États tiers de résider dans un autre État membre différent de celui qui leur a délivré l’autorisation de résidence initiale pour une période supérieure à trois mois pour y exercer un emploi salarié ou indépendant ou alors pour y réaliser toute autre activité couverte par la directive83. Ce droit de résidence implique nécessairement la reconnaissance d’un droit d’entrée à de tels effets. Par ailleurs, les travailleurs hautement qualifiés bénéficient également d’un droit d’entrée puisqu’ils peuvent aux termes de dix-huit mois d’emploi dans le premier État dans lequel le statut de travailleur hautement qualifié a été octroyé, se rendre dans un autre État
membre pour y exercer un emploi également hautement qualifié84. C’est aussi le cas de la Directive sur le regroupement familial qui crée un droit d’entrée exécutable vis-à-vis des États membres qui doivent garantir l’entrée du membre de la famille regroupé une fois que la demande de regroupement ait fait l’objet d’une décision favorable de la part des autorités compétentes. La doctrine s’accorde à dire que l’introduction de l’art. 7 de la CDFUE a vocation à s’appliquer pas uniquement qu’aux ressortissants des États membres, mais également aux ressortissants des États tiers et que pour autant, il est donc établi une obligation qui pèsent sur les États membres quand ils appliquent le droit de l’UE de protéger la vie privée et familiale des personnes — toute personne—85. En la matière, la Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est particulièrement féconde et sert également de référence pour la Cour de justice de l’Union.
Le droit d’entrée est indissociable d’un présupposé nécessaire, c’est-à-dire le droit de sortie du territoire de l’État membre pour pouvoir entrer dans un autre. Ce droit existe et est reconnu implicitement par les dispositions qui régissent la libre circulation de personnes et même par le droit dérivé. D’ailleurs il était présent aux premières heures de l’adoption des mesures sur la circulation des travailleurs migrants et leurs familles dans la Communauté, en l’occurrence dans les Directives 68/360 et 73/14886. Le droit de sortie, cependant, est imprégné par une dose non négligeable de principes du droit international des droits de l’homme duquel il ne peut en être isolé. La pratique internationale tend vers le renoncement progressif de l’exigence de visas de sortie pour quitter son propre pays, puisque celle-ci est contraire du droit international.
Le droit d’entrée doit être aussi distingué de l’exemption de visa qui est une dispense de l’obligation de recourir à une autorisation préalable à l’entrée qui autorise à se présenter aux frontières de l’État de destination pour y demander l’accès. L’exemption de visa ne peut être perçue comme un droit d’entrée, car elle n’entraîne pas automatiquement pour les ressortissants des États
participants à ce type d’arrangements une garantie d’admission sur le territoire d’un autre État partie à l’accord.
L’entrée sur le territoire des États membres est soumise au respect des critères établis dans le Code Frontière Schengen—CFS— qui prévoit une liste de conditions qui ne s’appliquent pas seulement aux camerounais, mais à tous les ressortissants de pays tiers assujettis à l’obligation de visa pour la traversée des frontières de l’espace Schengen. Ces conditions portent non seulement sur la validité des documents de voyage, la possession d’un visa d’entrée, la justification de l’objet et les conditions du séjour envisagé, qui impliquent la preuve de la possession de moyens de subsistance et les garanties d’abandon du territoire de l’UE à la fin du séjour, mais aussi l’absence de signalement comme personne non-admissible, et l’absence de risque pour la sécurité intérieure, la santé publique et les relations internationales des États membres87.
De ce point de vue il n’existe dès lors à l’entrée dans l’UE aucune volonté d’appliquer un traitement individuel à l’un ou l’autre des ressortissants soumis à l’obligation de visa pour l’accès au territoire Schengen. Bien au contraire, on le voit bien, ces conditions convertissent à l’anonymat le camerounais dans ce cadre particulier, au regard de ses conditions. La nationalité individuelle du camerounais est indifférente bien qu’elle ait déjà été prise en compte en amont pour l’établissement des listes de nationaux obligés de se munir d’un visa. En effets les règles précises relatives à l’obtention d’un visa d’entrée s’adressent en fait à tous les ressortissants des pays de la liste des ressortissants des pays tiers assujettis à l’obligation de visa—liste noire―88. Le camerounais n’est pas d’exempté de visas, et Il n’y donc pas de règles qui lui seraient destinées en particulier, en matière d’entrer dans l’UE.
On le sait, le visa s’est converti en un instrument privilégié des politiques de contrôle des flux migrations. L’UE, au travers de la communautarisation de la politique de visa opérée para le Traité d’Amsterdam est désormais la dépositrice de la compétence au sujet des conditions d’entrée, de séjour des ressortissants des pays tiers, ainsi que pour l’adoption des normes concernant la délivrance par les États membres de visas et de titres de séjour de longue durée, y compris aux fins du regroupement familial. Cette compétence constitue un des piliers
de la politique commune d’immigration dont le but est d’assurer inter alia une gestion efficace des flux migratoires, et la prévention de l’immigration illégale. L’obligation d’obtenir un visa pour pouvoir accéder sur le territoire des États membres de l’UE semble être aujourd’hui la règle, et l’exemption de visa l’exception. En Effet, depuis la fin de la décennie quatre-vingt, l’UE a décidé de mettre en pratique la libre circulation de personnes longtemps prévue par les traités mais dont la mise en œuvre était retardée. Les deux Conventions de Schengen, c’est-à-dire l’accord de base et son instrument d’application ont généralisé l’exigence de visa en établissant en même temps des conditions harmonisées pour accéder dans le territoire des États parties aux accords. Rappelons ici que ces accords ont permis le démantèlement des contrôles aux frontières intérieures de l’UE d’une part et un renforcement des contrôles aux frontières extérieures d’autres part89. Cette expérience attrayante au regard des succès obtenus dans le cadre de la mise en œuvre expérimentale de la libre circulation personne a permis que les acquis de celle-ci soient transférés dans le cadre juridique communautaire, à travers leur incorporation par un
protocole annexé aux Traité de Amsterdam90.
Cependant, la formalisation de cette incorporation des questions relatives aux conditions d’accès dans l’UE dans les instruments du droit primaire de l’UE, n’était pas particulièrement inédite, puisque déjà l’art. 100 TCE introduit par le Traité de Maastricht avait opté pour l’établissement d’un embryon de politique commune d’immigration en établissant un mécanisme de décision pour la détermination des pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d’un visa et ceux qui en sont exemptés lors du franchissement des frontières extérieures des États membres; dans le cadre des objectifs de la Communauté Européenne qui prévoyaient entre autre l’adoption des mesures relatives à l’entrée et à la circulation des personnes dans le marché intérieur.
C’est sur la base de cet antécédent que l’Union a perpétué un système binaire de listes dans lequel sont inscrits d’une part les pays dont les ressortissants sont exemptés de l’obligation de visa et d’autres part une liste de pays dont les ressortissants sont soumis à une obligation de posséder un visa pour
pouvoir franchir les frontières extérieures des États membres. Aujourd’hui, la base juridique qui supporte une telle distinction est l’art. 77 TFUE. Il s’agit de listes dynamiques qui font l’objet de fréquentes modifications au regard des considérations d’opportunité définies par le règlement qui régule les listes. Selon ce règlement les critères qui président l’inclusion ou non d’un pays dans l’une ou l’autre des listes doivent tenir compte grosso modo du risque que les ressortissants des pays insérés constituent au regard de l’immigration illégale, les risques au regard de l’ordre public et la sécurité, les relations extérieures de l’Union avec les pays tiers, en tenant compte des implications de la cohérence régionale et de la réciprocité91.
Ce système de liste, on le voit bien, rend difficile les marges de manœuvre d’action unilatérale des États membres au sujet du pouvoir de décision sur les ressortissants des pays exemptés ou non de visa. On voit bien aussi que ces critères vraisemblablement très politisés laissent un champ libre dans la catégorisation des pays à toutes sortes de tractations politiques au gré des différents intérêts de politique extérieurs des États membres. D’ailleurs l’influence individuelle des États membres dans les choix opérés a été à certaines occasions reconnue implicitement par la Commission elle-même92.
Il est aisé de bien comprendre la volonté d’établir des critères convergents sur le triage des pays et leur insertion dans une ou l’autre liste, puisque nécessairement l’obtention du visa uniforme ne permet pas seulement aux ressortissants de pays tiers de circuler dans l’État membre qui a délivré le visa, mais dans l’ensemble des États Schengen ; libre de contrôles lors de la traversée des frontières intérieures. Cela est dû à la mise en œuvre d’une politique commune de visa qui implique l’harmonisation des conditions de délivrance de ceux-ci et la reconnaissance mutuelle des titres délivrés par les États membres du même ensemble.
En revanche, il est difficile d’affirmer que tous les critères évoqués sont effectivement suivis. L’analyse des «listes noires» laisse observer que l’essentiel des choix d’inclusion des pays sur cette liste obéit clairement à des critères économiques. La majorité des pays qui composent cette liste sont des pays confrontés à des situations de précarité économique et dont les niveaux de revenus par habitants sont assez dérisoires. Alors que de l’autre côté la
« liste blanche » réunit en son sein un nombre importants de pays riches ou industrialisés, ou alors plus généralement des pays qui peuvent se prévaloir de situations économiques relativement stables.
La plupart des pays ACP font parties des pays soumis à l’obligation de présenter un visa aux frontières des États membres participants du régime de Schengen, à quelques exceptions près. En effet, l’UE a signé avec sept pays ACP des accords d’exemption de visas, Il s’agit des suivants : Sainte-Lucie, le Commonwealth de Dominique, la Grenade, Saint-Vincent-et-les Grenadines, la République du Vanuatu, l’État indépendant du Samoa et la République de Trinité-et-Tobago. Tous sont de micro-États dont il est supposé que les ressortissants ne représentent en principe pas de risques migratoires pour l’UE.
Ce système est très peu favorable pour le camerounais. Il fait de lui un étranger « contrôlé », soumis à l’obligation de présenter un visa pour traverser les frontières extérieures de l’Union. Les différentes modifications de ces listes n’ont donné lieu à aucun changement de sa situation ou alors à aucun surclassement en ce qui le concerne. Pourtant, depuis l’adoption des premières listes on a pu assister à des changements assez remarquables de pays qui sont passés de la liste favorable à la moins favorable et qui sont retournés plus tard à la première. On sait aussi que la liste grise a été formellement interdite ou alors annulée.
Certains États membres soucieux de préserver des relations spéciales avec les territoires auparavant sous leur domination, interviennent dans les processus de mise en œuvre de la politique de visas pour demander un traitement spécial pour les ressortissants de ces pays auparavant sous leur influence. Le camerounais ne bénéficie ni de la part de l’Allemagne, ancienne puissance coloniale, ni des puissances tutélaires que furent la France et le Royaume Uni de Grande Bretagne d’aucune mesure particulière de faveur en matière de visa. Au contraire de ces pays, le cas de l’Espagne est tout à fait intéressant puisque ce pays a œuvré grandement jusqu’à une époque récente à ce que la plupart des pays d’Amérique Latine avec lesquelles elle entretient des relations historiques spéciales soient bénéficiaires d’exemption de visa pour leurs ressortissants qui prétendent accéder sur le territoire des États membres. L’obligation de posséder un visa pour le camerounais est double étant donné qu’il est soumis à l’exigence de se munir d’un visa en général uniforme
pour accéder sur le territoire de l’Union, mais il lui est aussi exigé de posséder un visa de transit aéroportuaire, pour tous les détenteurs de passeport ordinaires, en particulier pour le passage en transit sur le territoire français, même si en la matière sa situation est légèrement plus avantageuse que celle de certains pays comme la Syrie et le Soudan qui ont l’obligation d’obtenir un visa de transit aéroportuaire dans respectivement douze et sept pays de l’UE93.
Cette obligation de posséder un visa à l’entrée sur le territoire de l’UE assujetti le camerounais à une obligation procédurale d’obtention de visa. Il s’agit donc de ce point de vue d’une personne légalement tenue à cette procédure.
L’assujettissement des camerounais à l’exigence de visa concerne d’une part les visas uniformes qui sont en général de courte durée, car ils sont délivrés pour les séjours courts. Ceux-ci font l’objet d’une harmonisation complète des critères de délivrance. D’autres parts il sont aussi sujet le cas échéant aux visas de longue durée qui sont en revanche des visas nationaux qui se délivrent pour des durées de séjour beaucoup plus longues que la limite maximale de trois mois fixés en ce qui concerne les visas uniformes94.
La protection des personnes qui sollicitent des visas est aussi considérée. Car il s’agit naturellement d’un des aspects les plus délicats si l’on tient compte du fait qu’en matière d’expédition des visas, les non-nationaux sont généralement dans une situation d’extrême vulnérabilité puisque la condition d’étranger donne très peu de garanties face aux pouvoirs régaliens exercés par l’État en ses frontières. Il est particulièrement intéressant que le CFS ait montré une certaine forme d’attention à la question du respect des droits fondamentaux, puisque la CDFUE et les autres obligations internationales des États membres en la matière sont évoquées comme référence pour le contrôle des pouvoirs des États membres au regard des conditions d’admission des ressortissants de pays tiers dans leurs frontières. Il reste que le problème se pose effectivement quant à la portée réelle de ces références formulées dans la partie préambulaire du CFS, mais avec aussi quelques références peu saillantes dans le corpus du règlement concernant uniquement les bénéficiaires de protection en vertu du droit international.
A son tour le Code de visas Schengen—CVS— ne s’inquiète pas assez au sujet des droits fondamentaux, même si celui-ci, en plus de la CDFUE, fait référence aussi à la Convention européenne des droits de l’homme, à la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Ces mentions visent se font uniquement qu’au regard du traitement des données biométriques ; à la manipulation des données par des prestataires de services privés en matière de visa, comme s’il ne s’agissait là que des seules questions sensibles aux regards des droits fondamentaux des migrants en matière de visa95.
Les notions de « courtoisie », « dignité humaine », « proportionnalité», interdiction de « discrimination à l’égard des personnes qui se fondent sur le sexe, l’origine raciale ou ethnique, la religion ou les croyances, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle» mentionnées dans le CVS semble être appelées au secours pour humaniser autant que possibles ces procédures qui donnent lieu très souvent à des abus de tous genres96. En la matière on peut mentionner par exemple les très controversées « zones d’attentes et demande d’asile à la frontière » dans les aéroports et gares ferroviaires françaises, souvent dénoncées par les associations de défense des migrants comme étant des zones de « non- droits » dans lesquelles les migrants sont retenus et refoulés de manière abusive sans le respect des garanties procédurales de base97.
En ce qui concerne le traitement des dossiers de visas, le CVS le soumet à des délais maximums pour éviter les comportements arbitraires. Les personnels des services en charge des visas ont également l’obligation de motiver les rejets de demandes de visas. Ces rejets peuvent d’ailleurs donner lieu à des recours formés par les personnes destinataires de décisions défavorables. Les autorités des États membres doivent assurer la formation des personnels destinés aux services des visas, et assurer un contrôle et suivi de la procédure d’examen des demandes de visa et pallier les éventuels dysfonctionnements.
Sur le plan des régimes particuliers accordés par les États membres aux ressortissants des pays ACP, en particulier dans les relations entre la France et le Cameroun, l’on constate que les parties ne s’accordent pas de régimes d’entrée substantivement plus avantageux que le régime général appliqué au titre des
Règlements sur le CFS et le CVS. Si, comme on a pu l’observer la condition du camerounais est manifestement marginale et présente un caractère très peu singulier en matière d’entrée dans l’UE, on peut se demander s’il en est de même en matière de résidence.
VI. LA RÉSIDENCE DES CAMEROUNAIS DANS L’UE
La question de l’intégration des ressortissants des pays tiers dans l’UE s’est convertie en un objectif important au regard de la politique d’immigration de l’UE. Elle se présente aujourd’hui comme un objectif transversal de cette politique, c’est-à-dire, en tant que le but ultime des règles qui s’établissent au sujet des ressortissants non européens qui prétendent s’installer sur le territoire de l’UE. En cela elle représente un point d’étude tout à fait indispensable au- delà même de l’examen d’autres régimes établis en matière de résidence par le droit dérivé à savoir : la résidence de longue durée, le regroupement familial et la sécurité sociale.
1. L’intégration
On peut dire que le statut des ressortissants des pays tiers a connu une éclaircie notable surtout avec l’établissement comme on l’a dit d’un régime applicable aux ressortissants de longue durée dans l’UE. Toutefois, cette transformation essentielle, loin d’être suffisante a été l’une des suites données à la croissante importance de la question de l’intégration des ressortissants des pays tiers. Le régime de longue durée, par ailleurs, participe de cet objectif d’intégration qui s’est imposé comme une nécessité après le sommet de Tampere98. L’idée d’une
« politique plus énergique»99 d’intégration des ressortissants des pays tiers a fait son chemin tout en restant tout de même fondée sur le principe du traitement équitable et des droits comparables évoqué supra. Ce principe comme on l’a dit est en train de produire un impact positif sur le statut des ressortissants des pays tiers en général et du camerounais en particulier.
regard de ce qui a été considéré par certains auteurs comme la proclamation de la fin de la « citoyenneté du marché »100; c’est-à-dire, en désaccouplant l’exercice d’une activité économique de ladite notion de citoyenneté de l’UE. La citoyenneté européenne par ailleurs a été reconnue comme le « statut fondamental » du ressortissant des États membres par la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE.
Parallèlement, on a vu se développer pour les ressortissants des pays tiers une nouvelle forme de citoyenneté, c’est-à-dire une « citoyenneté sociale », telle que qualifiée par la doctrine. La notion s’est vue précisée à l’occasion de l’ affaire Kamberaj101 dans laquelle la Cour de justice a étendu le principe de la couverture sociale sous forme d’assistanat aux ressortissants des pays tiers dans le but de les préserver contre les risques d’exclusion sociale et de la pauvreté, et ce faisant, elle a renforcé le principe d’égalité et de solidarité entre les ressortissants des États membres et les ressortissants des pays tiers spécialement en ce qui concerne les résidents de longue durée102. Concurremment, dans l’affaire Ruíz Zambrano103 la Cour a reconnu un droit au séjour et au travail aux ressortissants des pays tiers quand l’octroi de ces bénéfices sert une raison supérieure qui consiste à garantir aux citoyens de l’UE la jouissance de « l’essentiel des droits conférés » par ce statut104.
La vivification de la CDFUE grâce au Traité de Lisbonne, s’inscrit dans ce mouvement de transformation. La Charte a insufflé un esprit nouveau d’égalité, de justice, qu’il serait téméraire de nier. C’est un esprit nouveau qui pénètre les domaines auparavant fermés comme celui de prohibition de discrimination de l’art. 18 TFUE dont l’application exclusive aux ressortissants des États membres est aujourd’hui remise en cause. Il nous semble donc que la Charte renforce indirectement, le principe du traitement juste et des droits comparables à ceux des citoyens, étant donné ce nouvel élan d’égalité qu’elle introduit.
En outre, on peut aussi noter des avancées certes timides mais décidées vers une clarification du traitement des ressortissants des pays tiers au-delà de la résidence de longue durée, en déterminant progressivement un socle commun de droits applicables à ceux-ci tel qu’on peut l’apprécier dans la Directive sur le permis unique qui sera étudiée plus loin. Cet effet de convergence des règles de résidence dans l’UE qui tend aussi au rapprochement des droits entre citoyens et ressortissants des pays tiers se fait sans égard à une distinction entre les ressortissants des pays tiers. Le statut du camerounais s’en trouve renforcé mais pas à titre uniquement individuel. Le rapprochement des statuts évoqué est nettement perceptible en matière de résidence de longue durée.
2. La résidence de longue durée
Le camerounais est un des bénéficiaires collatéraux de la transformation fondamentale du statut des ressortissants des pays tiers dans l’UE. Car l’on sait que la résidence de longue durée s’est révélée être un puissant instrument de convergence de statuts entre ressortissants des États membres et ceux des ressortissants des pays tiers. On a assisté en effet une fois encore à une forme de ré-explication des fondements de la libre circulation des personnes qui a conduit dans une certaine mesure a l’élargir d’avantage le droit à la mobilité des ressortissants des pays tiers. La Directive sur le statut de résident de longue durée a créé un ensemble de prérogatives intéressantes qui sont reconnues à ces derniers, spécialement en matière d’égalité de traitement105. Celles-ci restent néanmoins fortement conditionnées et limitées. La légalité du séjour du ressortissant du pays tiers semble être la condition essentielle pour la jouissance des droits établis par la Directive.
Au Conseil Européen de Tampere, un principe essentiel a été posé ; un principe unitaire mais binaire dans sa formulation. Il sagit du principe du traitement équitable des ressortissants des pays tiers et du rapprochement des statuts entre citoyens en non ressortissants de l’UE.
L’importance de ce principe aujourd’hui n’est plus à démontrer, au regard du rayonnement qu’il est en train d’acquérir dans le droit de l’UE, en particulier en ce qui concerne les questions relatives au droit des étrangers. Ce principe est évoqué non seulement dans l’art. 79.1 TFUE sur la politique commune d’immigration, mais il fait également l’objet d’une référence constante dans les actes législatifs dérivés adoptés en matière d’immigration108. À notre avis, il devrait aujourd’hui être en mesure de constituer un des paramètres de contrôle des actions législatives, administratives des États membres, en vue de garantir à tout moment que ces derniers interprètent le moins restrictivement possible les droits des étrangers. De plus, cette position référentielle devrait servir en principe à corriger les lacunes laissés par les normes relatives à la politique d’immigration qui confèrent des droits et obligations au regard des ressortissants des pays tiers.
De son côté, l’article 13.3 de l’Accord de Cotonou se trouve être le principal allié des camerounais dans ce contexte de convergence de statuts. Il s’agit d’une disposition qui établit on le sait un principe non-discrimination assez consistant au regard des conditions de travail, rémunération et licenciement. Il nous semble cependant que la portée de ce principe en comparaison avec la Directive de longue durée est beaucoup plus limitée. Cet article de l’Accord ACP-UE n’apporte pas véritablement une plus-value appréciable au regard de la relative solidité des droits déjà conférés par cette directive. Car en effet à elle toute seule, la Directive de longue durée tire vers le haut le statut des ressortissants des pays tiers les moins avantagés au titre des accords internationaux de l’UE. Elle a même le mérite à la fois de renforcer les droits de certains ressortissants de pays tiers qui jouissaient déjà depuis de longues
années d’un traitement plus favorable dans l’UE en ce qui concerne les migrations de leurs ressortissants. C’est le cas notamment de la Turquie.
L’introduction de la Directive de longue durée remet en question la notion de « privilège» qui tend à hiérarchiser o classifier les statuts des ressortissants des pays tiers en fonction du degré de concession des droits relatifs à la libre circulation dont ils jouissent. Il est courant de retrouver dans la littérature spécialisée une utilisation récurrente de la notion de ressortissants de pays tiers « privilégiés »109. Il s’agit d’une notion dont la pertinence dans le droit des étrangers de l’UE n’est à notre sens pas démontrée.
Dans ce même contexte, il devient difficile de limiter le champ personnel de l’art. 18 TFUE en matière de discrimination basée sur la nationalité aux seuls ressortissants des États membres. La Directive de longue durée au même titre que les autres qui visent les ressortissants de pays tiers ont pour effet de distendre le champ d’application des traités, puisqu’elles incluent dans leur champ personnel les ressortissants des pays tiers. Pour autant, il paraît ardu au-delà de toutes autres considérations pertinentes de continuer à nier le potentiel expansif du principe de non-discrimination évoqué en sus. Celui-ci est en cohérence avec la tendance au rapprochement des droits entre citoyens et non-citoyens de l’UE, dont un des exemples les plus illustratifs est cette même Directive de longue durée.
Sur le plan bilatéral le camerounais bénéficie dans certains États membre de l’UE, notamment la France, d’un statut qui se présente comme un véritable accélérateur et en même temps stabilisateur de sa résidence dans l’UE. En effet au bout d’une période de résidence assez courte— en tout cas inférieure à celle exigée par la Directive de longue durée—, celui- ci est en mesure d’accéder à un statut plus permanent110. Mais ce statut en France n’apporte pas d’autres avantages significatifs au regard de la Directive de longue durée,
c’est-à-dire qu’il n’est pas en même de générer un droit de séjour dans d’autres États membres. Le droit d’accès au statut de résident de longue durée-UE s’acquiert uniquement dans les conditions fixées par la directive pertinente. Il est également important, dans le même ordre d’idées, d’examiner la condition du camerounais au regard du regroupement familial.
3. Le regroupement familial
Le regroupement familial est un des pans les plus problématiques du statut des camerounais dans l’UE. D’une part parce que la norme de droit dérivé qui régit la matière n’est pas connue pour être allée jusqu’au bout de la logique de consolidation d’un droit au regroupement familial dans toute sa plénitude, c’est-à-dire, dans les conditions qui se rapprochent de celles octroyées aux citoyens ; d’autres parts parce que l’art. 13.3 de l’Accord de Cotonou n’a rien prévu à cet égard. Dans les Accords ACP-UE, la seule référence à la famille qui fut introduite l’était en rapport avec les prestations de sécurité sociale des travailleurs. Cette référence on le sait a aujourd’hui disparu desdits accords111. Les difficultés que posent le droit au regroupement familial du camerounais tiennent à la notion de famille telle que comprise par la pratique sociale et juridique au Cameroun, et dont le contenu va bien au-delà de l’approche limitée de la famille nucléaire adoptée par la Directive sur le regroupement familial. En la matière on peut citer l’institution du mariage polygamique qui est une des deux options nuptiales légalement instituée, à côté de l’option monogamique, sur lesquelles les futurs époux doivent opérer un choix112. Il en résulte que pour les camerounais, le choix de l’option polygamique pourrait empêcher que les personnes concernées conduisent leur vie familiale sur le territoire de l’UE, puisque le conjoint «sponsor» ne pourraient se prévaloir d’un mariage polygamique comme base pour solliciter l’accès sur le territoire d’un État membre de plus d’un conjoint113. D’autres inconvénients
importants sont liés à l’inexistence dans la législation sur l’état des personnes au Cameroun d’une reconnaissance des relations de couples non mariés114 et de manière plus drastique encore de l’absence de possibilité de reconnaître des unions homosexuelles, puisqu’au Cameroun la pratique homosexuelles est un délit au regard de Code Pénal115. En outre, certaines conditions d’âge liées aux membres de la famille peuvent être un obstacle pour la jouissance de ce droit—certains États membres exigent un minimum d’âge qui est supérieur à l’âge minimum du mariage au Cameroun—116.
Puisque l’art. 13 de l’Accord de Cotonou ne prévoit aucune disposition sur la famille des ressortissants ACP, on ne peut en conclure que ces ressortissants de pays tiers sont privés du droit au regroupement familial. La « lex favorabilis
» devrait pouvoir s’appliquer pour pallier cette insuffisance, en l’occurrence la
Directive sur le regroupement familial.
Sur le plan bilatéral, au regard des régimes particuliers avec certains États membres individuellement considérés, il existe un droit au regroupement familial des camerounais dans l’Accord sur la circulation des personnes de 1994 entre le Cameroun et la France117. Les conditions qui s’établissent ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la Directive de regroupement familial. L’Accord de 1994 peut même être considéré plus favorable que la directive de regroupement familial, puisque celle-ci prévoit la possibilité d’introduire des mesures d’intégration—par essence restrictives— qui ne sont pas ailleurs exigées dans le cadre de l’accord bilatéral. Cependant le statut des camerounais membres de la famille du citoyen de l’UE reste de loin le plus avantageux du
fait de la qualité de bénéficiaire par excellence du droit de l’UE. Que dire de la
sécurité sociale ?
4. La sécurité sociale
En matière de sécurité sociale les Accords ACP-UE n’ont pas eu à traiter de cette question d’une façon constante. Ce traitement a été éphémère. Le principe de non-discrimination en matière de sécurité sociale liée à l’emploi aussi bien pour le travailleur comme pour les membres de sa famille qui résident avec lui a été introduit par la Convention de Lomé III, mais supprimé complètement dans les Accords de Cotonou. Il s’agit d’une suppression bien intrigante qui sonne comme une exclusion des ressortissants des pays ACP du droit d’accès aux prestations de la sécurité sociale en général, alors que bien d’autres accords internationaux avec les pays tiers maintiennent des dispositions spécifiques en matière de sécurité sociale.
Cette omission ne pouvait en réalité être interprétée comme une absence de droit à la sécurité sociale pour ces ressortissants de pays ACP dans l’UE. Les régimes de sécurité sociale sont primordialement organisés et régis dans le cadre domestique des États membres. En l’absence de clauses sur leur protection ou alors sur l’égalité de traitement dans cet Accord de Cotonou, il serait insoutenable aujourd’hui au regard de l’évolution du droit de l’UE et du droit constitutionnel États membres, de considérer qu’il puisse avoir des exclusions basées sur la nationalité en matière d’accès aux prestations de la sécurité sociale liées à l’emploi. La principale raison est que non seulement les États membres s’inspirent des traditions communes de protection des droits en vertu des obligations du droit international régional, mais également, le principe du traitement équitable et des droit comparables que nous considérons fondamental, ne permettrait pas une telle interprétation négative des droits des ressortissants de ce groupe d’États. De plus, la CDFUE reconnait un droit à la non-discrimination en matière protection de la sécurité sociale119. Les conventions pertinentes de l’OIT ne sont pas non plus favorables à de telles exclusions120. La jurisprudence récente de la Cour de justice a d’ailleurs
confirmé que cette protection des ressortissants des pays tiers porte aussi sur les prestations d’aide sociale surtout dans le cas où ces ressortissants de pays tiers concernés peuvent se prévaloir d’un statut de longue durée dans l’UE— affaire Kamberaj—.
Sur le plan des rapports bilatéraux entre certains États membres et le Ca- meroun, on peut dire que le principe non-discrimination est également cen- tral dans la Convention Générale et l’arrangement y relatifs établis en 1990 entre les deux pays en matière de sécurité sociale121. Le statut du camerounais comme travailleur est également important à définir.
5. Les travailleurs
Les travailleurs sont précisément ceux des ressortissants visés par l’art. 13 de l’Accord de Cotonou. À ce titre on peut dire que c’est le groupe par excellence concerné par les dispositions établies dans cet accord au regard du statut des migrants. Les travailleurs doivent être protégés contre les chefs des discriminations fondées sur la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail, rémunération et licenciement. Le principe d’égalité de traitement opère au regard de toutes les catégories de travailleurs ACP dans l’UE. Les travailleurs hautement qualifiés sont au-delà du qualificatif «hautement quali- fié» couverts aussi par ce principe d’égalité de l’art. 13 de l’Accord de Cotonou en ce qui concerne les conditions de travail, rémunération et licenciement. La notion de « conditions de travail» dont il est question doit à notre sens être interprétée de manière large, et devrait être assez inclusive pour prendre en compte le contexte de l’adoption de ladite clause d’égalité de traitement. Le défaut d’interprétation extensive de celle-ci remettrait gravement en cause son
« effet utile » et même sa propre pertinence. La notion de conditions de travail devrait être sujette à la même interprétation que celle que la Cour de justice a faite de cette notion cette dans d’autres accords internationaux, en particulier dans les Accords euro-méditerranéens avec le Maroc, la Tunisie, et l’Algérie par exemple, et dans une certaine mesure l’Accord avec la Turquie.
En ce qui concerne les travailleurs hautement qualifiés, l’art 13 ACP- UE joue également pleinement son rôle quant à la neutralisation des discriminations envers eux sur la base des trois motifs évoqués. Cet article 13 institue d’ailleurs un régime légèrement plus favorable que la Directive sur les travailleurs hautement qualifiés. La protection qu’il garantit devrait agir contre les violations du principe par le législateur dérive et national. La limitation de l’égalité de traitement par la directive, spécialement en ce qui concerne le logement et la formation professionnelle, ne devrait pas tenir devant le principe de non-discrimination de l’art. 13.3.
Au-delà des considérations d’ordre purement juridique, la question du recrutement de des travailleurs hautement qualifiés pose un problème éthique important. C’est d’ailleurs un des points essentiels de la controverse suscitée surtout du côté des pays ACP. On sait très bien que l’évasion des compétences est un des problèmes graves des migrations africaines, car des pourcentages très élevés des migrants africains qui émigrent généralement sont des personnes qualifiées122. Ceux-ci abandonnent leurs pays d’origine pour rejoindre les pays industrialisés de l’OCDE dans les secteurs en manque de compétences, créant ainsi une pénurie des personnels qualifiés dans ces pays ACP123. Le nœud de la problématique éthique réside dans le fait que ces pays africains sont non seulement privés des ressources humaines qui contribuent à leur développement, et, paradoxalement les populations appauvries son empêchées de migrer vers les pays bénéficiaires de l’expertise de ces travailleurs hautement qualifiés.
L’art. 13 de l’Accord de Cotonou concerne aussi les travailleurs transférés intra-groupe, et temporaires, étant donné qu’ils rentrent par principe dans son champ d’application. Ces Directives ne couvrent pas la situation des ressortissants des pays tiers qui sont bénéficiaires de la libre circulation des personnes en vertu du droit dérivé et des accords internationaux de l’UE. Naturellement ceux des camerounais qui n’entrent pas dans le champ de la protection du droit de l’UE comme membres de la famille du citoyen de l’UE ne sont pas donc couverts par celles-ci.
Ces directives, de la même manière que les autres sur l’immigration, affaiblissent l’élément de nationalité des ressortissants des pays tiers, puisqu’elle porte sur des groupes très hétérogènes de ressortissants des pays tiers sans s’intéresser à leur nationalité de manière spécifique. Il est bien vrai qu’en amont le critère de nationalité est le critère décisif de distinction en ce qui concerne le champ d’application personnel, entre les ressortissants des États membres et de ressortissants de pays tiers. Au regard de ces directives, on peut dire que le camerounais apparaît comme anonyme, sans que sa nationalité camerounaise soit particulièrement pertinente. Le même principe de non-discrimination envers les travailleurs s’applique également aux sportifs professionnels qui sont également des travailleurs au sens formel du terme.
En matière de régimes particuliers, dans les rapports entre la France et le Cameroun, l’Accord de Gestion concertée des migrations couvre potentiellement les travailleurs hautement qualifiés, c’est-à-dire les personnes qui relèvent de la catégorie dénommée « compétences et talents»124. Même si cet accord n’utilise pas directement l’expression «travailleur hautement qualifié», on peut en déduire aisément qu’il s’applique aux travailleurs hautement qualifiés et même malgré le fait que ceux-ci ne sont pas les seuls concernés rationae personae. Dans cet accord la durée prévue pour ce type de séjour est de trois ans. Cette durée s’adapte très bien aux exigences de la Directive sur les travailleurs hautement qualifiés qui permet aux États membres de déterminer une période de validité des autorisations de séjour dans une fourchette qui varie entre un à quatre ans125. Ce statut de « compétences et talents» ne paraît pas innover ou alors se démarquer de manière significative des conditions établies par la Directive pour les travailleurs hautement qualifiés.
En ce qui concerne les travailleurs transférés intra-groupe126 et les travailleurs temporaires127, il n’est pas prévu de dispositions sur le plan bilatéral. Cela nous
conduit à examiner la situation des camerounais qui se livrent à des activités de recherche et celle des étudiants.
6. Les chercheurs et étudiants
L’on doit d’abord observer que la Directive 2016/801 à opter pour un regroupement thématique dans le traitement de la situation des chercheurs et des étudiants128. Ces questions faisaient pourtant l’objet de régulation séparées dans avant cette toute dernière réforme129.
En ce qui concerne les chercheurs, on doit d’abord observer l’ambivalence de leurs statuts car la directive ne spécifie pas spécialement qu’ils doivent être considérés comme des travailleurs au sens du droit national ou de du droit de l’UE. La détermination de leur statut est entièrement laissée aux mains des organismes d’accueil des chercheurs par souci visiblement de flexibilité et d’adaptabilité du régime. Bien évidemment, le but aussi est de rendre attractif et opératif la captation d’un grand nombre de chercheurs étrangers dans la UE. Dans les Accords ACP-UE, la condition de chercheur n’est pas particulièrement prise en compte. C’est également le cas sur le plan des relations bilatérales entre certains États membres et le Cameroun, notamment les accords entre la France et Cameroun. Dans ce dernier cas, rien n’exclut cependant que la situation de chercheur puisse être couverte par le titre de séjour de « compétences et talents », si les personnes concernées représentent un véritable capital pour le rayonnement scientifique direct ou indirecte des États parties à l’Accord de Gestion concertée des migrations—critère essentiel pour bénéficier du statut de séjour de « compétences et talents ».
Si la condition de travailleur du chercheur ACP est avéré ou déterminé, celui-ci devrait pouvoir se prévaloir du principe de non-discrimination établi à l’art. 13.3 de l’Accord de Cotonou, en ce qui concerne les conditions de travail, rémunération et licenciement. La directive concourt à réaliser un objectif d’intérêt vital pour l’UE qui consiste à rendre compétitives et durable les économies européennes et s’inscrit dans l’«approche global des migrations » adoptée par l’UE131. On observe une mise en valeur intentionnelle des facteurs
d’attractivité pour les chercheurs étrangers et des concessions importantes. Ces concessions visent surtout l’extension du domaine de l’égalité de traitement en comparaison avec les ressortissants des États membres. Quelques exemples qui illustrent cet état de chose sont : la préservation de l’unité familiale des ressortissants des pays tiers sous la directive en question, en facilitant l’entrée des membres de la famille; l’égalité de traitement dans les branches de la sécurité sociale; les avantages en matière de fiscalité, etc. Cette directive est en fait pour les camerounais et les autres ressortissants de pays ACP une «lex favorabilis », puisque par exemple elle introduit une égalité de traitement en matière de sécurité sociale qui n’est pas prise en compte par l’art. 13.3 de l’Accord de Cotonou.
En ce qui concerne les étudiants, leur est assez importante dans les Accords ACP-UE. Cela est d’autant plus vrai que normalement dans les accords de coopération ou d’association, il est fait mention traditionnellement des travailleurs et leur famille de l’une et l’autre des parties quand il s’agit déterminer le statut des personnes migrantes. Cela est d’autant plus surprenant que les étudiants ne sont pas en général considérés comme des immigrés au sens formel du terme. Ils n’ont vocation en principe qu’à séjourner sur le territoire de l’État d’accueil que le temps de la durée des études. Leur séjour est donc en principe temporaire, sauf si s’ils en viennent à changer de statut sur la base d’une permission établie par la loi.
La raison de cet intérêt spécial pour cette catégorie et de cette importance remonte au Troisième Accord de Lomé, à la faveur de l’introduction de la Déclaration sur les travailleurs et étudiants. L’importance de ce collectif a été mis en relief dans un primer temps pour plaider en faveur d’un traitement moins arbitraire à leur égard sur le territoire des États membres de la Communauté. Plus tard, la référence aux étudiants visait à souligner leur rôle important dans le développement des pays ACP, en particulier en tenant compte du fait que l’un des objectifs importants des accords ACP est la promotion du développement des pays du groupe ACP. Rappelons que ces clauses spécifiques sur les étudiants ont été introduites dans les Accords de Lomé, mais ont perdu leur d’importance dans les accords de Cotonou et ont presque disparu dans le dernier Accord de Cotonou de 2010.
Dans les Accords de Lomé toutes références qui touchaient aux étudiants tenaient un caractère généralement non obligatoire du moins au regard de
leur formulation. Certaines de ces clauses cependant revêtaient à notre sens une importance nécessaire, c’est-à-dire une intéressante valeur interprétative, comme par exemple celle de l’art. 5.2 de l’Accord de Lomé IV-bis dont le rôle interprétatif était d’insister sur le fait que le statut des personnes devait être soumis à la protection du principe de non-discrimination en vertu du droit International des droits de l’homme, indépendamment du principe de non-discrimination ACP-UE appliqué aux travailleurs ressortissants de l’une ou l’autre des parties. Il ne s’agissait donc pas de créer un régime de protection obligatoire contre les discriminations envers les étudiants, ni même de leur donner une position juridique plus significative, car d’ailleurs en la forme il s’agissait de déclarations d’intentions.
Les camerounais qui s’insèrent dans les catégories d’étudiant, volontaire, stagiaires ou « au pair », qui sont aussi catégories concernées par la Directive 2016/801/UE, ne tirent pas de droits de l’Accord ACP-UE. A la suite de l’affaire Ben Ayala132, par exemple, le camerounais devrait pouvoir jouir d’un droit d’entrée dans l’UE s’il remplit les conditions établies par la Directive. En d’autres termes, il ne pourrait se voir imposer par les États membres des conditions supplémentaires non prévues par la Directive pour obtenir accès à l’UE pour réaliser des études.
Dans le registre des accords existants entre certains États membres et le Cameroun au sujet des étudiants, on peut dire que l’Accord sur la circulation des personnes avec la France de 1994 et l’Accord de Gestion Concerté des Flux Migratoires de 2009 évoquent la question des étudiants. Il s’agit donc d’une catégorie dont la place semble également être importante dans ces accords.
Quant à ce qui concerne la question de savoir si ces accords sont plus favorables que pour les étudiants, la réponse est positive. La raison en est que l’Accord bilatéral en vigueur, c’est-à-dire celui de 1994 allège les conditions d’obtention d’autorisation d’entrée pour études si on le compare avec la directive qui elle impose des conditions non exigées sur le plan du régime particulier entre la France et le Cameroun.
Le régime de l’étudiant tel que défini par la Directive 2016/801/UE est finalement un régime qui normalise les règles d’accueil des ressortissants des pays tiers pour études. Il s’agit d’une avancée intéressante en tenant compte de l’extraordinaire diversité de pratiques nationales. Pour le camerounais, bien plus qu’un instrument plus favorable, cette Directive représente un enjeu de sécurité juridique au regard de cette hétérogénéité de pratiques nationales mentionnées. Cette Directive met à la charge des États membres certaines obligations très importantes pour le statut des étudiants comme par exemple la prohibition générale aux États membres d’établir une limitation absolue du droit d’accès des étudiants à l’emploi134. Dans ce cadre donc, la Directive concourt indirectement à la consolidation du statut du camerounais dans l’UE. D’autres efforts de consolidation du statut des ressortissants des pays tiers ont été réalisés dans le cadre de la Directive sur le permis unique.
7. Le permis unique
La question qui se pose ici est celle de savoir l’impact ou alors la répercussion juridique que le permis unique apporte au regard su statut du camerounais dans l’UE. Cette directive est un instrument qui au-delà de sa portée procédurale revêt un caractère extrêmement important en ce qui concerne la définition progressive d’une approche horizontale au regard des droits des étrangers dans l’UE dont on connaît les insuffisances liées entre autres raisons fondamentales à la complexion excessivement fragmentée de leur construction. Jusqu’ici l’effet de convergence des droits des ressortissants de pays tiers avec ceux des ressortissants des États membres ne se concentrait qu’au regard des personnes qui jouissent d’une certaine ancienneté sur le territoire de l’UE, notamment les ressortissants des pays tiers résidents de longue durée dans l’UE. Il semble donc que l’on s’oriente non seulement vers une prise en compte pragmatique de la nécessité de protéger ceux des ressortissants de pays tiers qui ne bénéficient pas encore de ce statut de résident de longue durée. Cela est fait par l’établissement non seulement d’un socle commun de droits qui permette de protéger ceux-ci contre les abus potentiels ou existant occasionnés par les différences de traitement dans les États membres. Cette inclusion serait l’expression d’un principe de Justice sociale et de Justice économique, étant donné qu’il s’agit de personnes qui contribuent au développement économique de l’UE.
Cette approche inaugure également une ligne nouvelle, une relation nouvelle aux ressortissants de pays tiers, car elle met en avant les droits qui les accompagnent indépendamment des motifs du séjour. De plus, il s’agit aussi dans ce cas au moins de s’éloigner de l’approche réactionnaire à laquelle l’on a été habitué. Celle-ci qui consiste à légiférer par secteurs selon les nécessités pratiques qui se posent au regard de la libre circulation de personnes dans le marché intérieur. Le souci d’améliorer la condition juridique des ressortissants des pays tiers au moins en termes de visibilité et de « rights-based approach » était absente de la perspective adoptée vis-à-vis de ce collectif.
Cependant, dans le cas précis de cette directive sur le permis unique, la montagne a accouché d’une souris puisque le paquet de droits et le «socle commun de droits» dont il est question reste extraordinairement décevant. La directive en effet n’apporte aucune avancée significative pour les ressortissants des pays tiers, si on la compare avec d’autres directives sectorielles existantes sur les étrangers dans l’UE. L’idée de réduire les inégalités entre le statut des ressortissants des pays tiers et celui des ressortissants des États membres de l’UE comme argumentaire pour justifier entre autres la Directive du permis unique résonne en effet comme une vaine promesse.
Au regard du camerounais et des autres ressortissants des pays ACP en général, les concessions notoirement limitées de la Directive sur le permis unique font que l’art. 13.3 de l’Accord de Cotonou se convertisse en un
«accord plus favorable», puisque certaines des restrictions qu’elle permet aux États membres pourraient être validement évacuées par le recours au dit article. Examinons à présent le statut dont jouit le camerounais en matière de séjour irrégulier dans l’UE.
VII. LE SÉJOUR IRRÉGULIER DES CAMEROUNAIS
La condition de migrant irrégulier dans l’UE est par essence la plus précaire de toutes les conditions des ressortissants des pays tiers dans l’UE, car rappelons-le, comme s’il s’agissait d’une maladie, c’est la situation par excellence qui prétend être éradiquée et prévenue dans le cadre de la politique d’immigration, à tel point d’ailleurs que les traités en ont fait un des piliers de ladite politique. Cette volonté de lutter contre l’immigration irrégulière se manifeste également dans l’introduction des clauses de réadmission dans les accords de coopération ou d’association de l’UE avec les pays tiers. La
conclusion de ces accords s’insère dans une tradition initiée à la fin de la
décennie quatre-vingt-dix.
Dans le droit des étrangers dans l’UE, l’irrégularité du séjour semble d’ailleurs être considérée comme un vice rédhibitoire qui nullifie la légitimé du séjour des ressortissants de pays tiers. L’on sait que la régularité du séjour est une condition essentielle pour accéder à la reconnaissance de certains droits et avantages tels que ceux mis à disposition des ressortissants des pays tiers par les directives qui régulent leur condition juridique. En effet l’expulsion des ressortissants des pays tiers dans l’UE, se configure comme la conséquence automatique de l’irrégularité du séjour, comme si l’équation appliquée se résumait en ces termes : irrégularité est égale à expulsion, et comme une règle absolue. En la matière la pratique montre néanmoins que les irrégularités ne sont pas toutes équivalentes et ne peuvent donc recevoir la même sanction. Le primat de l’expulsion s’analyse par certain auteurs—Groenendjik― comme une inversion des valeurs à vouloir privilégier les intérêts de la prévention de l’immigration irrégulière sur la protection de la dignité humaine135. Cet état de chose a contribué à renforcer l’amalgame qui tend à confondre la situation de résidence irrégulière des ressortissants des pays tiers avec une inaptitude à être titulaire de droits, et même une remise en cause de l’humanité des personnes qui se trouvent dans cette situation. C’est pour cela qu’il a fallu attendre plusieurs décennies pour reconnaître que les instruments tels que la Convention européenne des droits de l’homme s’appliquent également aux étrangers et pas seulement aux ressortissants des États parties à la Convention. Le droit de l’UE en matière d’immigration irrégulière laisse également observer des différences énormes de conditions entre les ressortissants des pays tiers et les citoyens. Ces derniers conservent même dans les situations de séjour irrégulier un traitement plus avantageux au titre de la protection contre l’expulsion. Cela ne relève pas du seul fait d’une attitude bénévole de la part des États membres, mais de l’affirmation du caractère « fondamental» et
«multi-territorial» du concept de citoyenneté qui défait le lien traditionnel entre
nationalité et territoire et donc renforce le statut du citoyen sur le territoire des États membres dont il n’est pas ressortissant. Ce caractère a par ailleurs été confirmé par la Jurisprudence de la Cour de justice. Pareille « sécurisation» ou
blindage du séjour n’est d’ailleurs retrouvable en proportion plus limitée que dans le statut des ressortissants des pays tiers bénéficiaires du statut de longue durée, étant donné que leur lien spécial avec l’UE peut être démontré au regard de la durée de leur résidence sur le territoire d’un État membre.
Par ailleurs, Il ressort aussi de l’examen du régime de résidence irrégulière que l’on s’achemine vers la consolidation du postulat du respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux dans les procédures d’éloignement des ressortissants des pays tiers. Cette insistance nouvelle sur le respect de ces principes essentiels est tout à fait en accord avec le principe du traitement équitable des étrangers dans l’UE; avec la CDFUE, et avec les autres instruments internationaux de protection des droits de l’homme dont font partie tous les États membres.
Au regard de la situation des ressortissants des pays ACP, il n’échappe pas aux observateurs que l’art. 13.5.c) établit également les bases du traitement des ressortissants de ces pays en question qui se trouvent dans la circonstance ou situation d’irrégularité du séjour. En même temps, cet article habilite parfaitement à conclure des accords avec ces pays pour réadmettre leurs ressortissants qui séjournent illégalement dans l’UE. On assiste cependant à une progressivement dispersion du régime de l’immigration irrégulière des pays ACP à travers la conclusion séparée d’accords bilatéraux de réadmission entre l’UE et certains pays ACP individuellement considérés. C’est le cas de l’accord de réadmission avec le Cap-Vert qui pour l’instant est l’unique conclut136. Cet accord a été conclu un peu comme s’il s’agit d’une contrepartie de la concession en échange de la facilitation de la mobilité de ses ressortissants vers l’UE.
On observe également une certaine convergence d’esprits entre l’article 13 de l’Accord de Cotonou et la Directive de Retour en ce qui concerne l’exigence fondamentale de garantir les droits élémentaires de ressortissants des pays tiers sous le coup des procédures d’expulsion. Ces deux instruments convergent dans la volonté d’assurer que leur dignité et leurs droits fonda- mentaux soient respectés à tout moment. La question de savoir si la pratique des États membres coïncide avec les obligations qui sont à leur charge est un tout autre débat. Les pratiques sont variées mais en générales très douteuses, à cet égard.
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L’introduction d’une clause de réadmission sans conditions des personnes en situation de séjour irrégulier, dans l’art. 13 évoqué n’est pas unique en son genre. Le caractère inconditionnel de la réadmission existe dans plusieurs autres accords avec les pays tiers. Il se trouve cependant que l’immédiateté de la réadmission ou alors, pour utiliser la formule de l’art. 13, l’obligation de réadmettre « sans autres formalités », ne doit pas laisser supposer une absence totale de formalités. En vertu de la clause de réadmission et même au regard de la pratique des États parties, l’identification correcte des personnes pour les rattacher à un tel ou tel autre État est indispensable, car aucun État en général ne s’enthousiasme d’avoir à réadmettre des personnes qui ne sont pas ses ressortissants. D’ailleurs, même la réadmission de leurs propres ressortissants n’est pas déjà chose acquise d’avance, d’où la conclusion de ce type d’accords. En réalité cette formule « sans autres formalités » vise simplement à marquer l’obligation de collaboration sans manœuvres dilatoires au retour et réadmission de leurs propres ressortissants. Si l’on s’en tient donc à cette clause de réadmission de l’art. 13.5.c i) aussi bien le camerounais que les autres ressortissants des pays ACP ne devraient pas être considérés comme des étrangers « immédiatement expulsables» puisque l’exécution de ladite clause dépend soit d’une part de la signature d’accords bilatéraux additionnels entre l’UE et les États ACP individuellement considérés soit alors d’autres parts de la signature d’accords individuels entre un État membre UE et un État ACP. Un accord pareil en matière de réadmission n’existe pas à ce jour avec le Cameroun. Le cas du Cap-vert constitue un exemple très isolé. Par ailleurs, rien dans l’article 13.5.c.i) ne devrait limiter l’interprétation du terme
« bilatéral» pour désigner seulement les accords adoptés par l’UE en son nom
propre et de celui des États membres, d’une part, avec les États ACP pris individuellement d’autre part.
En ce qui concerne les rapports individuels entre le Cameroun et certains États membres de l’UE, notamment dans les rapports avec la France, on peut dire que traditionnellement, des clauses établissant des obligations pour les personnes de faire la preuve documentaire des moyens de leur rapatriement ont été introduites au regard des demandeurs de visas. On peut le voir notamment dans l’accord de circulation de 1976137 et de 1994. Mais le seul
accord qui prévoit véritablement une clause de réadmission est celui relatif à la gestion concertée des flux migrations et au développement solidaire de 2009, qui n’est pas encore ratifié par le Cameroun. On peut dire que cet accord plus récent que les antérieurs à fait sien le contexte crée par la clause de réadmission de l’Accord ACP-UE. La clause de l’Accord de gestion concertée des flux migrations ACP-UE en question évite d’adopter le ton péremptoire de l’article 13.5.c) et insiste sur le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes138. Il est aussi prévu la réadmission des ressortissants de pays tiers à l’accord qui ont bénéficié sur le territoire d’une des parties d’un titre de séjour ou d’un visa. D’autres mécanismes d’entraide procédurale entre les parties pour garantir le retour et la réadmission sont également considérés. Il est à souligner aussi la possibilité d’offrir un traitement qui recourt à une alternative à l’expulsion systématique des camerounais. En effet la France s’engage à proposer aux ressortissants camerounais qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français son dispositif d’aide au retour. Il s’agit là d’un élément plus tôt rafraîchissant au regard de l’unique recette traditionnelle appliquée aux situations d’irrégularité de séjour à savoir : l’expulsion.
VIII. CONCLUSIONS
Le camerounais n’a pas un statut marginal dans l’UE. Il ne s’agit pas d’un étranger dont le statut est peu digne d’intérêt. Il jouit d’un statut juridique en apparence insignifiant mais qui à bien observer est assez solide, surtout au regard du fait qu’il est adossé au statut des ressortissants ACP. Cela est d’autant plus vrai si l’on le compare par exemple avec les ressortissants de pays tiers dont les États membres font partie du partenariat euro-méditerranéen en général ; et en particulier avec les ressortissants de pays tiers non couverts par des accords internationaux avec l’UE. Dans les cas des États parties aux Accords euro-méditerranéen seuls quelques-uns de ces pays bénéficient d’une clause de non-discrimination envers les travailleurs formulée de manière opérative.
La réalité de la singularité et de la pertinence du statut du camerounais peut se comprendre uniquement dans le cadre des régimes particuliers établis par les États membres dans leur rapports individuels avec le Cameroun, car ni le droit Dérivé ni les Accords ACP-UE ne permettent d’apprécier réellement
cette singularité et pertinence. Il s’agit d’une singularité limitée puisque les règles appliquées aux étrangers qui entrent et séjournent sur le territoire des États membres se sont considérablement rapprochées.
Le statut du camerounais en tant que ressortissant ACP doit être appréciés sous plusieurs perspectives. D’abord, il s’assied sur un cadre juridique déjà confirmé ou rôdé. En effet, les accords d’association, comme l’Accord ACP- UE, créent des droits et obligations réciproques pour les parties. Il s’agit d’un cadre juridique qui permet que les questions comme la détermination du statut des ressortissants des pays tiers soient abordées sans controverse. De plus, la solidité de ce cadre juridique vient également du fait que dans la pratique l’UE montre que ces clauses de non-discrimination vis-à-vis des travailleurs sont tout à fait ordinaires dans les relations avec les États tiers et ne sont en rien des « générations spontanées». A l’évidence, ces accords sont capables de créer des droits et obligations immédiatement exécutables dans l’ordre juridique des États membres et par conséquent offrent une garantie efficace des droits mis à la disposition des particuliers. L’on peut aussi observer que les accords ACP- UE sont des accords en principe qui établissent une réciprocité formelle, ce qui suppose que la mise œuvre de ceux-ci par les parties ne peut être conditionnée par l’exécution par l’autre partie. Il apparait clairement une absence de volonté d’octroyer aux ressortissants des pays ACP un droit subjectif général à la libre circulation de personnes comparable à ceux d’autres ressortissants des pays tiers comme ceux de l’Espace économique européen et la Suisse. L’Accord ACP-UE en effet, n’a entendu qu’assimiler très limitativement les droits des travailleurs ACP vis-à-vis des travailleurs ressortissants des États membres en matière de conditions de travail, rémunération et licenciement. A contrario, cela signifie qu’au-delà de ce champ spécifiquement limité il n’existe de pas de couverture pour ces travailleurs ACP au titre de cet accord.
Par ailleurs, la tendance à l’expansion des droits des ressortissants des pays
tiers non seulement par l’audacieuse œuvre interprétative de la Cour de Justice, mais aussi également grâce à l’expansion attribuable au droit dérivé contribue à solidifier le statut des ressortissants de pays tiers en général dans l’UE et celui du camerounais en particulier. La conséquence immédiate est que cette tendance entraîne une concurrence entre les régimes qui s’établissent dans les accords internationaux et ceux établis par le droit dérivé et national. En même temps, grâce à la convergence des statuts qui s’opère progressivement à
travers le droit dérivé on assiste à une mise en veilleuse des régimes particuliers mais qui pour autant ne disparaissent pas et restent tout de même assez actuels. C’est notamment le cas du camerounais qui tire à la fois des droits des accords ACP-UE, du droit dérivé et des accords entre le Cameroun et la France. Et d’ailleurs, en cas de conflit entre la norme de l’Accord ACP-UE et le droit dérivé, l’accord international qui tient un rang légèrement supérieur au droit dérivé dans l’ordre juridique de l’UE devrait s’appliquer. Mais delà de l’application de cette règle de prélation entre les sources du droit de l’UE, la «lex favorabilis» devrait systématiquement s’appliquer aux ressortissants des pays ACP, indépendamment de l’ordre de préséance des sources. A notre sens, cette solution est nécessaire au regard du fait que le principe du traitement équitable et des droits comparable a acquis une position très importante dans le droit des étrangers de l’UE—renforcé également par CDFUE―, à tel point qu’il doit servir de base pour une interprétation favorable des droits des étrangers dans l’UE, en renonçant plutôt à des interprétations «capitis demunitio». Dans tous les cas, il est courant que les directives renvoient systématiquement à l’application des régimes particuliers plus favorables. Le traitement du camerounais, dépendra donc du régime le plus favorable dans l’hypothèse de conflits. C’est-à-dire soit l’Accord ACP-UE s’appliquera, soit, le régime de la directive ou bien alors le régime national, mais dans ce dernier cas uniquement dans le cadre national de l’État membre qui a adoptés des dispositions particulières.
L’importance des régimes qui découlent des accords internationaux de
l’UE peut se voir dans le fait que les pays ou les groupes de pays dont les accords ne prévoient pas ces clauses de protection des migrants seront dans une situation plus vulnérable que celle du camerounais qui bénéficie déjà de l’atout de la clause de l’art. 13.3 de l’Accord ACP-UE.
A la question de savoir s’il existe un corps de règles et normes qui lui sont applicables spécifiquement à l’entrée dans l’UE, la réponse devrait être négative. Les règles d’entrée dans l’UE sont l’objet d’une dynamique convergente. La politique de visa de l’UE a considérablement rapproché celles-ci. Dès lors, l’on s’achemine vers l’abolition des particularismes en la matière. Il est vrai que sur le plan bilatéral des accords entre États membres et pays tiers subsistent, mais ceux-ci doivent se conformer aux règles communes d’entrée.
Sur le plan de l’intégration, le camerounais est un ressortissant de pays tiers également ordinaire. Les vicissitudes liées aux conditions d’intégration des ressortissants pays tiers dans l’UE l’affectent au même titre que les autres ressortissants des pays tiers. Les progrès réalisés dans le cadre du rapprochement des statuts des ressortissants des États membres et ceux des pays tiers renforcent également son statut. On peut voir ces progrès dans l’adoption des directives très importantes comme celles sur les ressortissants de longue durée et su le regroupement familial. Sur le plan jurisprudentiel de nombreuses affaires comme Kamberaj, Ruíz Zambrano et autres montrent à suffisance la tendance vers une interprétation plus favorable en ce qui concerne les droits des ressortissants des pays tiers.
De la même manière, la Directive de longue durée stabilise le statut du camerounais dans l’UE, et permet l’accès à un ample éventail de droits y compris un certain renforcement de la protection contre l’expulsion, en raison du lien spécial établit avec l’UE en vertu de la durée de la résidence. Mais cette consolidation de la résidence du camerounais intervient parfois dans le cadre du droit domestique des États membres. C’est le cas notamment en France.
En matière de regroupement familial sa situation n’est pas exempte de difficultés liées à quelques obstacles qui prennent origine dans certaines législations camerounaises., il demeure vrai que les difficultés sont relativisées dans le domaine de la sécurité social malgré l’absence de dispositions précises dans l’Accord ACP-UE actuel.
En définitive, sur le plan de l’immigration irrégulière, l’art. 13.5.c) établit certes une clause de réadmission dans l’Accord de Cotonou. Cette clause laisse entendre que la situation d’irrégularité des camerounais et des ressortissants ACP en général doivent se résoudre par l’expulsion. Néanmoins cette clause ne peut per se produire des effets juridiques sans l’intervention d’un accord bilatéral supplémentaire entre l’UE et un État tiers. À ce jour le Cameroun n’a pas signé avec l’UE un accord de cette nature. Pour autant, l’expulsion des personnes qui possèdent cette nationalité est en la pratique complexe. Cette complexité fait des ressortissants camerounais des étrangers non-expulsables immédiatement, sans ces accords additionnels. Le cadre le plus propice pour garantir l’éloignement des camerounais au regard de la situation actuelle est uniquement à travers les accords bilatéraux entre les États membres individuellement et le Cameroun. C’est le cas notamment de l’Accord de gestion concertée des
migrations entre la France et le Cameroun–pas encore en vigueur– qui a prévu des dispositions à cet égard et des sanctions qui ne sont pas exclusivement l’expulsion ou le retour.
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Los nacionales de terceros países en la Unión Europea
“ERTA, ECHR and openskies: laying the grounds of the EU system of External Relations; dans Poiares Maduro M., Azoulaï L.(eds), The Past and Future of EU Law: Revisiting the Classics on the 50 Anniversary of the Rome Treaty, Oxford, Hart Publishing, 2010, p. 224-233; eeCkHOut P., “Bold constitutionalism and Beyond”; dans Poiares Maduro M., Azoulaï L.(eds.), The Past and Future of EU Law: Revisiting the Classics on the 50Anniversary of the Rome Treaty, Oxford, Hart Publishing, 2010, pp. 218-223; voir aussi CReMOnA M., “ External Relations and external and external competences of the European Union: the emergence of an integrated policy”, dans Craig P., De Burca G., The evolution of EU Law, Oxford University Press, Oxford, 2011, p. 219-226 ―paragr. sur “the emergence of implied powers”
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Voir Décision nº 1/80 du Conseil d’Association du 19.09.1980 relative au développement de l’association entre la Communauté économique européenne et la Turquie
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La refundación de la libre circulación de personas, tercer pilar y Schengen: El espacio de libertad seguridad y justicia”
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art. 4 de l’Accord de Georgetown amendé par Décision nº 1/LXXVIII/03 du Conseil des Ministres lors de sa 78 ème Session tenue à Bruxelles, les 27 et 28 Novembre 2003, Document ACP/27/005/00 Rév.16, Bruxelles, le 28.11.2000.
“Europe’s migration agreements with migrant- sending countries in the global South: a critical review”
Mondialisme contre régionalisme: CEE et ACP dans les négociations de la Convention de Lomé, 1970-75”
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The worker, the citizen, their families and the Court of Justice: tales of free movement from Luxembourg
“The scope of article 12 of the Treaty of the European Communities vis-à-vis third-country nationals: évolution at last?”
“Are third-country nationals protected by the Union law prohibition of discrimination on grounds of nationality”
Art. 13.2 Accord de Cotonou : « Les parties sont d’accord pour considérer qu’un parte- nariat implique, à l’égard des migrations, un traitement équitable des ressortissants des pays tiers résidant légalement sur leurs territoires, une politique d’intégration ayant pour ambition de leur offrir des droits et obligations comparables à ceux de leurs citoyens…
Au bout de trois ans de séjour légal sur le territoire français, les camerounais comme certains autres ressortissants d’Afrique subsaharienne obtiennent un permis de résidence de dix ans. Voir par. 3.1 de la Circulaire du Ministère de l’Intérieur, nº NOR/INT/D/05/00094/C, sur le Droit au séjour en France des étrangers relevant des régimes juridiques spéciaux, de 27.10.2005. Le régime commun qui prévoit 5 ans de résidence est prévu aux arts. L.314-8 jusqu’à L.314-10 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ― Ordonnance nº 2004-128, JO du 15.11.2004―.
Ex. : Annexe XV à la Convention de Lomé IV : « (...) ressortissants de pays ACP légalement employés sur le territoire d’un État membre et les membres de sa famille (…)».
L’art. 48 de l’Ordonnance n° 81/002 du 29.06.1981, portant organisation de l’État civil et diverses dispositions relatives à l’état des personnes physiques précise que el certificat de mariage, en plus d’autres mentions doit porter comme mention obligatoire la forme polygamique ou monogamique du mariage.
«Algunas reflexiones urgentes relativas a la reagrupación familiar en el derecho comunitario. A propósito de la publicación de la Directiva 2003/86/ CE del Consejo, de 22 de septiembre de 2003, sobre derecho el derecho a la reagrupación familiar
art. 347 bis du Code pénal―nº 67/LF/1 de 12.06.1967― établit une peine d’entre six mois a cinq ans ou une amende d’entre 20000 à 200000 francs —30 à 300 euros—pour toute personne qui aurait des relations sexuelles avec les personnes du même sexe.
En Autriche l’âge minimum pour le mariage est de 21 ans, or l’art. 5 de l’Ordonnance 81/002 spécifie que aucun mariage ne peut être célébré si les candidats aussi bien hommes que femmes s’il sont mineurs respectivement de 15 et 18 ans.
Convention générale de 05.111990 de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Cameroun ―Décret n° 92- 223 du 10.03.1992, publié au JO del 12.03.1992―, entrée en vigueur le 01.03.1992 ―avec un Protocole relatif au régime d’assurances sociales des étudiants―. Voir aussi Arrangement Administratif Général du 05.11.1990, publié au BO SS, 9-92, entré en vigueur el 01.03.1992.
Porte sur les titres de séjours intitulés « compétences et talents ». Il s’agit d’un permis de séjour expédié unilatéralement par les parties. Il s’octroi aux personnes « susceptible de participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la France et, directement ou indirectement, du Cameroun»—par. 2.2.3 de l’Accord de gestion concertées des migrations—.
Section II.B de la Convention de circulation de 1994. La question qui se pose est celle de savoir les formations qui se réalisent sur les périodes de temps inférieures à trois mois se considèrent études aussi puisque la Résolution du Conseil de l’UE du 30.11.1994, —JO C 274, de 19.09.1996, p.10— prévoyait considérer comme étudiants les personnes qui allaient réaliser une formation spécifique de préparation universitaire, c’est le cas des cours de langue.
Décret nº 77-125 du 25.10.1977 portant publication de la Convention entre le gouvernement de la République Française et le gouvernement de la République Unie du Cameroun relative à la circulation des personnes, signé à Yaoundé le 26.07. 1976, JO du 08.11.1977, p. 5351.