Notas
Géopolitique de l’intélligence Artificielle : Les enjeux de la rivalité sino-americaine
Paix et Sécurité Internationales – Journal of International Law and International Relations
Universidad de Cádiz, España
ISSN-e: 2341-0868
Périodicité: Anual
n° 7, 2019
Résumé: : L’intelligence artificielle, en tant que révolution scientifique et technologique majeure, est en train de bouleverser la configuration même de la société internationale, tout en imposant une nouvelle redéfinition de la puissance et de la conflictualité. Ainsi, dans leur course vers la domina- tion planétaire, les Américains et les Chinois ne ménagent aucun effort pour asseoir leur hégémonie, en procédant à de véritables « guerres »,opérées sur différents fronts de la planète par leurs guerriers regroupés sous le nom de GAFAMI pour les États-Unis et BHATX pour la Chine.
Mots clés: Intelligence artificielle, Chine, États unis, GAFAMI, BHATX, leadership, guerre technologique.
Resumen: La inteligencia artificial, como una importante revolución científica y tecnológica, está sacudiendo la configuración misma de la sociedad internacional, mientras impone una nueva redefinición del poder y la conflictividad. Así, en su carrera hacia el dominio planetario, los es- tadounidenses y los chinos no escatiman esfuerzos para establecer su hegemonía, al proceder a verdaderas Cruzadas, operadas en varios frentes del planeta por sus guerreros reagrupados bajo el nombre de GAFAMI para los Estados Unidos y BHATX para China.
Palabras clave: Inteligencia Artificial, China, Estados Unidos, GAFAMI, BHATX, Lide- razgo, guerra tecnológica.
Keywords: Artificial Intelligence, China, United States, GAFAMI, BHATX, leadership, te- chnological warfare
I. INTRODUCTION
« Celui qui deviendra leader en ce domaine sera le maître du monde » déclarait Vladimir Poutine à propos de l’Intelligence artificielle (IA), en sep- tembre, 2017 devant un parterre d’écoliers russes et de journalistes. Trois jours plus tard, dans une lettre ouverte adressée aux Nations unies en aout 2017 en compagnie de 115 autres leaders de l’IA et de la robotique, Elon- Musk, fondateur de Space X et Tesla, renchérissait : « La lutte entre nations pour la supériorité en matière d’IA causera probablement la troisième guerre mondiale ». Des propos révélateurs d’une réalité où, entre progrès et dan- gers, il est souvent dur d’y voir clair.
Créée par John McCarthy au collège Dartmouth en 1955, l’IA est dé- fini par l’un de ses créateurs, le scientifique américain Marvin Lee Minsky, dans le dictionnaire Larousse, comme étant la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accom- plies de façon plus satisfaisante par des êtres humains, car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que : l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique.« À partir de cela sont apparus deux courants de pensée en matière d’intelligence artificielle : le courant dit descendant (ou IA-faible) et le courant dit ascendant (IA-Forte)
»2. C’est-à-dire une IA nonsensible qui se concentre sur des tâchesprécisé- ment définies, pour la première, face à des machines ou des robots dotés de conscience, de sensibilité et d’esprit et qui sont capables de reproduire, voire même dépasser l’intelligence humaine avec toute sa complexité. Il s’agit donc, bel et bien, d’une véritable révolution historique et scientifique qui est en train de bouleverser le sort de l’humanité tout entière. Ainsi, « Après la robotisa- tion de la production, la mondialisation de la production, l’« ubérisation » des services, l’IA est une révolution pour toute l’industrie au même titre que l’a été l’électricité après la vapeur. « AI is new electricity» répète à qui veut l’entendre Andrew Ng, le créateur de Google Brain »3.
En deux siècles, le monde a connu trois grandes révolutions : La première s’est étaléeentre 1770 et 1850 et s’est caractérisée par l’apparition des pre-
mières usines puis machine à vapeur et le réseau de chemin de fer, alors que la seconde a débuté avec la naissance de l’aviation, l’automobile, la télépho- nie et l’électricité et elle s’étend de 1870 à 1910. « La troisième révolution a débuté vers 2000, avec l’arrivée des technologies NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences cognitives) qui vont bouleverser l’humanité (…) »4. Cette nouvelle mutation, avec son immense puissance in- formatique, met à notre portée des technologies dont nous pouvions à peine rêver il y a cinquante ans, tout en nous emmenant dans des mondes dont les règles fondamentales changent rapidement, et dont les conséquences, prome- tteuses, mais aussi douteuses, sont généralement imprévisibles.
Imbriquée dans la révolution numérique, avec tous ses progrès très rapi- des sur les plans économique, politique et militaire, l’intelligence artificielle, érigée en priorité stratégique par la Silicon Valley5 et l’industrie 4.06, contri- buera à déterminer l’ordre international des décennies à venir, en accélérant les dynamiques d’un Cycle ancien où technologie et pouvoir se sont toujours renforcés mutuellement. Elle transformera, en outre, certains axiomes de la géopolitique au travers de nouvelles relations entre territoires, dimensions spatio-temporelles et immatérialité.
Mais alors que l’Europe d’aujourd’hui se contente d’alliances stratégiques synonymes de « cyber-vassalisation » et l’Afrique s’annonce déjà comme un grand terrain d’affrontement, clairement menacé de « cybercolonisation », les prévisions les plus réalistes démontrent que les empires digitaux américains et chinois domineront, indiscutablement, la géopolitique internationale dans les années à venir, à travers une sorte de « techwar »,menée par leurs guerriers regroupés sous le nom de GAFAMI (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft et IBM) pour les États-Unis et BHATX (Baidu, Huawei, Alibaba, Tencent, et Xiaomi) pour la Chine.
La zone Atlantique qui avait été la plaque tournante de l’influence mon- diale a désormais perdu sa prééminence. « Le centre économique, scientifique et politique du monde se situe désormais dans la zone Asie-Pacifique. C’est en Chine est dans la Silicon Valley que se prennent aujourd’hui les décisions qui conditionnent l’évolution des technologies qui forme de monde demain »7.
II. L’OFFENSIVE AMÉRICAINE EN MATIÈRE D’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Pendant plusieurs années les Américains sont restés les précurseurs et les leaders internationaux de l’IA à travers les géants du web : les GAFAMI. Con- séquence, en février 2017, le Danemark a décidé de nommer un ambassadeur auprès de ces monstres technologiques. En leur accordant la reconnaissance réservée généralement à un Etat, Copenhague reconnait ces structures non seulement comme des entités économiques, mais surtout comme des puis- sances politiques, avec toutes les conséquences qu’une telle reconnaissance crée envers les GAFAMI.
La réalité c’est que la capacité d’influence des GAFAMI s’étend au-delà des frontières des États-Unis et leur force de frappe ne se limite pas à leurs consœurs (les multinationales), mais s’étend aux États, les ONG et même les OIG. « Compte tenu de leur puissance, ils jouent un rôle oligopolistique pour reprendre une expression de Raymond Aron. C’est-à-dire qu’ils façonnent le cyberespace par leur activité et les normes qu’ils imposent »8, ainsi que les batailles qu’elles lancent contre leur adversaire classique, à savoir l’Europe, tout en essayant d’entretenir des rapports privilégiés avec l’Afrique, dont les populations sont considérées comme étant les idiots utiles de cette nouvelle révolution.
1. LES RAPPORTS AVEC LE « VIEUX CONTINENT »
Grâce aux opportunités offertes par le marché européen les GAFAMI ont décidé de s’adonner à de vigoureuses guerres dans cette partie dynami- que du globe. Souvent de nature conflictuelle, les relations transatlantiques se développent au fils des années dans une logique prédatrice en faveur des
Américains, malgré le déploiement de quelquesstratégies de résistance de la part des Européens.
A. LA PRÉDATION DES GAFAMI
D’abord, il faudrait préciser que l’hégémonie des GAFAMI en Europe est certes récente, mais quasi-totale. Conséquence, « Aujourd’hui sur les 10 sites les plus visités en Europe, plus de la moitié sont affiliés à des acteurs américains et plus de 60% des utilisateurs de ces sites sont des Européens »9. Cette situation n’aurait pas pu se concrétiser sans le quiétisme des Euro- péens. Le vieux continent, qui n’a jamais aussi bien porté son nom, peine à décoller en matière d’Intelligence artificielle pour deux raisons : d’un côté, de l’insuffisance des fonds investis dans le secteur pour développer cette tech- nologie et, de l’autre côté, du manque de volonté manifeste, constaté chez la majorité écrasante des leaders européens, de maîtriser cette technologie. Cet état de fait a mis l’Europe dans une position de consommateur des techno- logies et des outils d’IA américains qui constituent, paradoxalement, un El- dorado pour les experts européens qui n’ont pas de débouchés en Europe du fait du manque d’attractivité, comme l’atteste le cas de la fuite des cerveaux
européens qui sont enivrés par le rêve américain.
Dès lors, les GAFAMI monopolisent la grande part d’un vaste marché eu- ropéen, handicapé par le manque de compétitivité de ses entreprises techno- logiques. Un constat qui a été relaté par l’ex-président américain Barack Oba- ma qui avait affirmé, lors d’une interview accordée au site Re/code : « Nous avons possédé Internet. Nos sociétés l’ont créé, développé, perfectionné d’une manière que les Européens ne peuvent pas concurrencer »10. Pour ainsi dire, les Américains ne risquent pas de lâcher leur trésor numérique dans les courtes années à venir, d’autant plus que leurs avancées technologiques sont si poussées qu’elles rendent quasi-caduques toutes les ébauches européen- nes de rattrapage de leur retard. Et même les rares tentatives de rajustement européennes se heurtent, généralement, à une violente contre-attaque de la part des Américains dans le but de préserver l’avanceet la maîtrise de l’IA. Ainsi, par exemple, face à la portée planétaire et la puissance grandissante de
start-ups européennes telles le suédois « Spotify »11 et le français « Deezer »12, leaders incontestés du streaming musical, les entreprises américaines, notam- ment Apple, ont créé en 2015 le produit « Apple Music » afin de contrecarrer et freiner l’ascension de ces deux multinationales européennes. Les Améri- cains mènent donc une véritable guerre dans laquelle ils semblent être les mieux armés face à un « concurrent » très mal organisé et désabusé, et dont les ressortissants (étudiants et ingénieurs), formés en Europe, sont de plus en plus attirés par les opportunités transatlantiques où les salaires et les condi- tions de travail et d’évolution sont beaucoup plus attractifs.
L’exemple le plus frappant est celui Yann LECUN, considéré par plusieu- rs spécialistes comme étant « le pape français du deep learning »13, qui a été recruté en 2013 par Facebook dans sa division dédiée à l’IA, et qui vient de décrocher le prestigieux Prix Turing, le 27 mars 2019. Aujourd’hui, ce scien- tifique chapeaute une équipe de plus de 200 employés, dont une bonne partie est localisée à Paris ! Idem pour plusieurs milliers d’ingénieurs informaticiens européens qui ont été recrutés par le grand réseau des GAFAMI pour coiffer des centaines de projets dans le domaine de l’IA.
B. LA DYSTOPIE EUROPÉENNE
Alors que les actions des GAFAMI n’ont cessé de s’accentuer et de se développer sur le vieux continent, les Européens, de leur côté, n’ont jamais pu s’organiser d’une manière sérieuse pour tenter de contrecarrer leurs ac- tions. Mieux encore, les pratiques des géants américains tendent à diviser davantage un continent où les enjeux des pays semblent être de plus en plus hétérogènes. À titre d’exemple, dans le domaine de la fiscalité, la plupart des GAFAMI opérant en Europe préfèrent installer leur siège dans des pays tels l’Irlande, la Suède ou le Luxembourg où ils bénéficient de taux d’impôt très bas, au détriment des autres États européens. Une situation qui a poussé cer- tains responsables politiques européens à suggérer quelques réformes pour tenter de remédier à ces anomalies. Ainsi, le ministre de l’Économie français Bruno Le Maire a lancée et défendu, en septembre 2017, l’idée d’instaurer
une « Taxe GAFAMI » qui consiste à taxer efficacement les géants de la Tech, notamment américains, accusés de transformer massivement leurs profits vers les paradis fiscaux sachant que, selon un rapport rédigé par l’eurodéputé socialiste Paul Tang, Google et Facebook « auraient fait perdre 5.4 milliards d’Euros d’impôts à l’UE entre 2013 et 2015 »14.
Toutefois, c’était sans compter sur la résistance de certains pays euro- péens qui tirent parti de la situation actuelle, mais surtout de la riposte des GAFAMI qui, rassemblés dans la Computer and Communications Industry Association, ont mobilisé, en avril 2019, les meilleurs avocats pour torpiller cette taxe qu’ils qualifient d’illégale et injuste !
Cecidit, il faudrait préciser, néanmoins, que si dans le domaine de l’IA le continent européen prend encore du retard par rapport aux États-Unis, les pays européens, pris individuellement, paraissent plutôt favorables au déve- loppement de cette technologie. L’Espagne, la France, le Royaume-Uni ou la Russie ne sont démunis ni d’ambitions ni de capacités comme en témoignent les start-upsArtebnics, Shift Technology et Darktrace. Sous l’égide de Vla- dimir Poutine, par exemple, Moscou n’a cessé ses tentatives d’obstruction et de lutte pour bloquer l’ascension des GAFAMI au sein de l’État fédéral. Aujourd’hui, s’il est vrai que Google est le moteur de recherche le plus utilisé au monde, en Russie il ne possède pas le monopole puisque 56% des Russes utilisent le moteur de recherche russe « Yandex », tandis que seuls 43.8% pré- fèrent Google. Le cas similaire est observé avec « Vkontakte », le Facebook russe. Avec près de 70 millions de visiteurs chaque jour, l’application surclas- serait le concurrent américain Facebook utilisé par seulement 15 millions de visiteurs quotidiens.
Du côté de l’Allemagne et le Royaume-Uni où les GAFAMI sont déjà implantés, les start-ups locales tentent de procéder de la même manière, pour conquérir le marché. Mais, handicapées par leur jeunesse et leur défaillance en termes de compétitivité, elles n’ont pas encore pu se développer au point de constituer un danger pour les GAFAMI et ainsi les contrecarrer. À l’instar des politiques suivies par les institutions communautaires, en matière d’IA,et qui restent handicapées par un manque de réalisme accru et un certain dilet- tantisme de la part des responsables européens.
Face à ce déficit monstrueux dans le domaine de l’IA et pendant que les Américains et les Chinois débloquent des sommes astronomiques pour dé- velopper davantage leur IA, les Européens se contentent de l’élaboration des rapports et de la défense d’une intégration de l’éthique dans le domaine de l’IA, tout en renégociant un partenariat stratégique de fait avec les États-Unis afin de limiter la casse. Ainsi, le ministre suédois du Développement numéri- que a déclaré, au moment de la publication de la stratégie de la Commission européenne en matière d’IA en avril 2018 : « Nous ne pouvons pas nous at- tendre à ce que la Chine mette en place des normes éthiques. Nous devons le faire. Avec une démocratie et un système juridique qui fonctionne, l’Europe doit considérer cela comme le facteur le plus important. La concurrence avec la Chine, la concurrence avec les États-Unis, est évidemment importante. Mais si nous ne créons pas de cadre juridique et éthique, nous serons de tou- te façon perdants »15. De cette manière l’Europe,considérée comme un pays sous-développé en matière d’IA, essaye de se protéger contre l’invasion et le règne des GAFAMI américains et des BHATX chinois sur son continent, à l’image de l’Afrique qui tente, laborieusement, de limiter les dégâts d’une cybercolonisation qui s’avère de plus en plus proche et inévitable. Ceci dit, le Continent africainregorge d’un potentiel considérabledans le domaine de la technologie, malgré la pénurie de ses ressources, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle plusieurs GAFAMI ont décidé de l’exploiter et se servir de ses potentialités.
2- LES AMBITIONS CYBER-COLONIALISTES DU CONTINENT AFRICAIN
De Casablanca à Abidjan et de Nairobi à Lagos en passant par Accra, ja- mais les incubateurs de start-up financés par les géants américains de l’Inter- net n’avaient autant pullulé sur le continent. Très actifs, les GAFAMI mènent de véritables guerres pour s’imposer dans le berceau de l’humanité.
A- LES AVANTAGES DU MARCHÉ AFRICAIN
Le grand avantage qu’offre l’Afrique pour les GAFAMI,et qui a trans- formé le Continent en Far East à conquérir, se résume dans la souplesse et parfois même l’absence des législations relatives à l’IA et les activités annexes. Si en Occident (Europe et États-Unis), les utilisateurs et plusieurs gouver-
nements sont devenus de plus en plus méfiants à l’égard des GAFAMI, en Afrique ils peuvent compter sur 453 millions d’utilisateurs connectés. Une situation qui ne peut qu’enchanter Google, Facebook et consorts, surtout que l’époque où ils évoluaient dans un environnement échappant à toute régle- mentation est presque révolue en Occident.
Aujourd’hui, les spécialistes des tech et de l’IA se rabattent sur l’Afrique. Peu exigeants en termes de respects des normes fiscales, de la protection des données personnelles, de la souveraineté numérique, et de la lutte contre les fake news, certains pays émergents d’Afrique sont devenus, pour ces géants, des marchés cibles et privilégiés. D’autant plus qu’au cours de cette année, aux États-Unis « les régulateurs de la concurrence - le ministère de la Justice et la Federal Trade Commission (FTC)-ont prisl’initiative de se répartir la su- pervision de plusieurs entreprises de tech, le signe qu’elles envisagent d’ouvrir une ou plusieurs enquêtes sur l’aspect antitrust.Selon la presse américaine, le ministère de la Justice se chargerait de Google et Apple et la FTC d’amazone et de Facebook »16, une situation qui risque de pénaliser ces géants du web et qui les pousse, par conséquent, à se « réfugier » ailleurs, en l’occurrence en Afrique.
Autre avantage, non moins important au sein du Continent africain,se résume dans son extraordinaire réservoir d’utilisateurs de plates-formes et de services : « 453 millions d’Africains (sur 1,2 milliard) sont aujourd’hui con- nectés. Cette proportion (35 %) va s’accroître très sensiblement puisque le continent comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050 »17.
L’Afrique dispose donc de grandes quantités de données personnelles qui ont une grande importance dans le système économique des GAFAMI qui se base sur la collecte et le traitement des données, considérés aujourd’hui comme étant la clé de voute de la nouvelle économie numérique et de l’IA ou, comme l’avait décrit le président de l’Alliance Active Data, Fabrice BE- NAUT, « Le pétrole d’aujourd’hui », et si « le pétrole voit logiquement ses
réserves diminuer avec le temps, la data, elle, double tous les dix-huit mois,
telle la loi de Moore pour l’évolution de la puissance de calcul »18.
Le problème c’est que, à l’instar du pétrole et des autres ressources na- turelles africaines, ces trésors risquent, encore une fois de plus, de ne pas profiter aux populations africaines. Pire encore, ils peuvent être à l’origine d’une deuxième colonisation de l’Afrique par les géants mondiaux du numé- rique. C’est la raison pour laquelle certains pays, conscients de cette nouvelle cybercolonisation des GAFAMI, mais aussi du fait qu’ils ne peuvent rivaliser avec ses derniers, ont décidé de gérer l’accès à Internet aux utilisateurs finaux à travers « l’alliance Smart Africa »19. Présidée par Paul Kagame et lancée en 2013 lors du TransformAfricaSummit à Kigali, cette structure vise à attein- dre de multiples objectifs : connecter l’Afrique, accélérer le désenclavement numérique panafricain, améliorer l’accès des populations aux services TIC et Télécoms et accélérer le développement socio-économique durable du con- tinent. Pour cela, l’Alliance vient d’annoncer, en janvier 2019, le lancement d’un fonds de soutien, de 500 millions d’euros, aux start-ups africaines, mais espère mobiliser, au cours des dix prochaines années, quelque 300 milliards de dollars d’investissements publics et privés.
dans la même logique le Maroc, et afin de conforter le développement de l’IA au sein du pays, s’est doté d’un High Performance Computing (HPC) de 700 cœurs. Une sorte de Datacenter universitaire qui a pour vocation d’offrir aux différents établissements d’enseignement supérieur et de recherche du Royaume des capacités de calcul de très haute performance. Et pour con- vaincre davantage les GAFAMI de l’attraction de son marché, le Royaume chérifien, à travers la société « Medasys » leader national de la construction et l’exploitation de datacenters neutres et en partenariat avec le géant britan- nique Zircom, a créé la première plate-forme Cloud Computing sur un site 100% marocain dans le but de convaincre Amazon, Google, Facebook et autres d’héberger dans le Royaume leurs données qui traitent de l’Afrique et
du Moyen-Orient. Sachant que les géants américains ont déjà entamé leurs expéditions technologiques dans plusieurs Régions du Continent.
B- LES « APPORTS »DES GAFAMI
En mai 2018, et afin de bâtir une armée tech, Facebook s’est lancé dans la formation de cinquante mille entrepreneurs et développeurs de logiciels dans banlieue de Lagos, au Nigéria. Implanté au sein de la capitale économique du pays, plus précisément dans le « Yabacon Valley », une plaque tournante tech- nologique qui regroupedes centaines d’institutions bancaires, des investisseu- rs en capital-risque, des sociétés technologiques et des start-ups de toutes na- tionalités envisagent de doper davantage leurs investissements. Conscient du potentiel de l’Afrique, Mark Zuckerberg a décidé de créer le premier centre technologique de l’Afrique « NG Hub from Facebook », en partenariat avec CCHub (NDLR Co-Creation Hub). Une structure technologique qui perme- ttra aux différents acteurs du secteur de développer leurs compétences en IA et en réalité virtuelle. Quelques semaines plus tard, et toujours en Afrique de l’Est, le monstre de la Silicon Valley, Google, qui chapeaute déjà la formation de plus de cent mille développeurs africains et une soixantaine de start-ups dans tout le continent, a annoncé l’ouverture,en avril 2019, d’un Centre de recherche en IA à Accra avec pour objectif de développer plusieurs Accords de partenariat avec les universités et les centres de recherche ghanéens dans les domaines de l’éducation, la santé et l’agriculturesur tout le continent afri- cain.En outre, et afin d’accélérer la transformation numérique du Continent et de repousser les limites de l’IA pour qu’elle puisse servir ces intérêts vitaux du Continent l’entreprise propose,dans plusieurs pays africains (Maroc, Tu- nisie, Ghana, Cameroun et autres), des bourses doctoralesafin de former les ingénieurs locaux aux métiers du numérique, tout en essayant d’orchestrer, auprès des entrepreneurs africains, des campagnes de sensibilisation relatives aux enjeux du digital. De même, en collaboration avec l’INICEF, plusieurs chercheurs de Google et de l’université de Stanford, en Californie, travaillent sur des projets de création d’algorithmes destinés à la définition précise du niveau de pauvreté de certains villages africains, qui font l’objet d’une étude pilote(en Tanzanie, Nigéria, Malawi, Ouganda et Rwanda). Le projet se base sur des photos satellitaires prises de nuit et de jouret qui déterminent le taux d’éclairage, et donc de richesse ou de pauvreté de ces endroitscibles, tout
en recourant à l’IA pour superposer les deux images et extraire le vrai taux
d’électrification.
De son côté, Microsoft est déjà bien présente sur le continent en four- nissant sa technologie à la quasi-totalité des gouvernements africains. Toute- fois, malgré tous ces « exploits », la réalité parait assez pessimiste et largement au-dessous des exigences demandées pour que les Africains puissent espé- rer rivaliser, un jour, avec les géants américains ou même européens. « Pour l’Afrique, c’est quitte ou double. Ou bien on estime, avec BetelhemDessie, que c’est « le levier qui permettra au continent de se hisser au rang des pays du Nord », une sorte d’accélérateur de développement qui fera oublier que l’Afrique a fait l’impasse sur les deux premières révolutions, l’industrielle et la postindus- trielle. Ou bien les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ou les chinois BHATX (Baidu, Huawei, Alibaba, Tencent et Xiaomi) met- tront la main sur les données produites par le continent et s’engraisseront sur son dos. C’est d’ailleurs la grande menace qui guette l’Afrique s’elle n’arrive pas à s’organiser à l’échelle continentale. D’autant plus que les BHATX n’ont pas pour seul objectif de mettre la main sur l’Afrique et ses richesses, mais envisagent d’aspirer les GAFAMI américaines pour devenir, d’ici quelques années, les leaders planétaires de l’IA. Une stratégie menée en étroite collaboration entre les multinationales chinoises et les pouvoirs politiques de Pékin.
III. LA CHINE, TERRE PROMISE DE L’IA
Pendant plusieurs années les Chinois se sont intéressés à l’IA, mais sans avoir pour objectif de détrôner l’Oncle Sam qui accusait d’une avancée ex- traordinaire dans ce secteur. Mais lorsqu’en mars 2016 « Alpha Go » le pro- gramme informatique américain développé par Google Deep Mind, a réussi à battre le champion coréen « Lee Sedol » dans le jeu de go qui dispose d’une symbolique et d’une résonance culturelle exceptionnelle en Chine, l’événe- ment a créé une véritable onde de choc chez les Chinois. Certains ont même parlé de « moment Spoutnik », qui a fait trembler l’empire du Milieu avec la crainte d’accumuler un grand retard technologique non rattrapable. Depuis, l’empire ne lésine pas sur les moyens dans le domaine de l’IA. Au service de l’État et du parti unique (PCC), l’IA est devenue un outil de supervision des populations et de divination des effets de sa politique, mais aussi, et surtout
un instrument susceptible de restituer à Pékin sa grandeur d’autrefois, pour
passer du « made in china » au « created in China ».
Pour ce faire, la contre-offensive chinoise est orchestrée par les BHATX qui sont des mastodontes nés de la volonté de l’empire du Milieu de con- quérir le monde, et qui disposent d’atouts indéniables qui les conduisent à concurrencer, de façon remarquable, les GAFAMI déjà en place sur la scène mondiale.
Ainsi, dans ce jeu d’influence et de prédation, où les Chinois se présentent comme challenger numéro 1 à l’hégémonie américaine, on assiste à la mise en place de stratégies nouvelles pour la quête du Saint Graal de leader planétaire de l’IA. Le temps des BHATX semble se profiler à l’horizon. Leur influence semble s’élargir, de plus en plus, sur l’ensemble du globe aussi bien en Europe qu’en Afrique, mais se heurte, tout de même, à une résistance accrue de la part des États-Unis.
1- UNE DOUBLE STRATÉGIE ENVERS L’OCCIDENT
Les BHATX entretiennent des relations aussi bien avec l’Europe qu’avec les États-Unis. Mais si la conquête de l’Europe s’avère, plus au moins, facile, les « guerres » menées par les cinq sociétés semblent se heurter à un grand mur américain. En effet, depuis l’arrivée de Donald Tremp au pouvoir, les Chinois se trouvent obligés de faire face à un protectionnisme exacerbé et de plus en plus généralisé.
A-LA PRÉDATION DU MARCHÉ EUROPÉEN
Pour ce qui est des relations du BHATX avec l’Europe, il convient de dire qu’elles sont plutôt nouvelles et fragiles, vu que l’Europe est en partie dominée par les GAFAMI américains qui s’y sont implantéles premiers sur le vieux Continent, et ce de façon durable. Mais sans complexe, les BHATX ont entrepris différentes stratégies en vue de concurrencer les Américains et tenter de remettre en cause leur domination du marché européen. C’est le cas par exemple de XIAOMI, spécialiste des smartphones et l’électronique grand public et qui a été classé quatrième constructeur mondial de téléphonie mobile en 2018. Pendant plusieurs années, la société chinoise s’était essen- tiellement focalisée sur le marché asiatique en misant sur la Chine et l’Inde, avec une stratégie commerciale très agressive. Aujourd’hui, le géant chinois tend à se développer sur toute l’Europe avec pour principal atout une qualité
acceptable et un prix souvent cassé permettant à la marque de développer sa présence partout sur le continent, sans oublier sa politique publicitaire quasiirréprochable, ce qui lui a permis d’attirer le maximum de clientèle euro- péenne. Conséquence, juste dans la capitale française, Xiaomi a pu ouvrir une dizaine de boutiques MI Store.
Mieux que ça, lors d’une interview accordée à la chaîne CNBC, le vi- ce-président de Xiaomi Wang Xiang a expliqué que « La firme compte mul- tiplier par trois le nombre de boutiques physiques sur le vieux continent – y compris en France où des projets de nouveaux magasins sont dans les car- tons. Le constructeur préfère l’Europe à un marché américain historiquement plus compliqué et défiant à l’égard des entreprises chinoises (…) Et poursuis en expliquant que Xiaomi compte passer de 50 magasins physiques à 150 sur le vieux continent d’ici fin 2019 »20.
Résultat, les concurrents directs du constructeur chinois sont en train de subir un véritable châtiment en termes de chiffres d’affaires et de bénéfices. Non seulement les parts de marché de Samsung et Apple ne progressent plus, mais se dégradent, alors que celles de Huawei et Xiaomi en particulier sont en pleine explosion, puisque la première affiche une croissance annuelle de
+55,7%, alors que la seconde a réussi à atteindre +62%, selon Canalys 2018. Autre exemple nonexhaustif de la prédation des multinationales chinoi- ses, spécialisées dans le domaine de l’IA, en Europe est celui de Tencent. Le Holding chinois spécialisé, à priori, dans les services Internet et mobiles, mais qui commence à s’attaquer au milieu du divertissement, tente de s’accaparer des parts en Europe. Pour ce faire, « il a acquis des parts dans plusieurs so- ciétés qui évoluent en Europe. Notamment des sociétés américaines comme Fortnite, Snapchat, Spotify, QQ, WeChat, League of Legends, Clash of Clans
(Supercell) »21.
En effet, pour ne plus resté prisonnière du marché chinois, Tencent a décidé d’investir et d’acquérir des sociétés dont les produits sont utilisés à l’international surtout en Europe. C’est ainsi qu’elle a acheté des parts dans plusieurs entreprises occidentales de la Technologie comme la société suédoi- se de streaming musical Spotify, le leader du streaming musical payant. Une
aubaine pour Tencent lorsqu’on sait que, au troisième trimestriel 2018, Spoti- fy a enregistré un chiffre d’affaires de 1,35 milliard d’euros, en hausse de 31% sur un an, et aussi en progression par rapport au trimestre précédent (+6%). Enfin, le géant de l’Internet chinois est en train de fabriquer « une machine avec un potentiel comparable à celui d’AlphaGO, capable également de met- tre au point des stratégies brillantes. Il y a fort à parier que les talents de cette machine, appelée Fine Art, trouveront également à terme des utilisations plus stratégiques que celles du jeu de GO »22.
Ainsi, chaque jour sans le savoir des millions d’Européens utilisent des produits appartenant à Tencent, ou dans lesquels la société a investi. À la fin de 2017, elle a été la société la plus valorisée des BHATX devant Facebook.
Dernier exemple de la prédation des multinationales chinoises de l’IA enEurope, est illustré par la grande plate-forme « Alibaba », le géant du e-com- merce chinois.
Longtemps, Alibaba et la vente en ligne chinoise étaient synonymes d’ar- naques en tout genre. C’est d’ailleurs avec ce handicap que « Aliexpress.com », la version occidentale de Taobao, a essayé de prospérer en Occident. Si ce dragon chinois n’a pas encore pu détrôner le géant américain Amazon, la société de Jack MA (le président d’Alibaba Group) qui s’adresse, en priorité, aux produits lowcost pourrait mettre en péril des plates-formes européennes comme « Cdiscount », ou « Priceminister ». D’ailleurs, la société chinoise a ou- vert, en Europe, ses premiers data center en Allemagne et au Royaume-Uni et envisage d’ouvrir d’autres, notamment en France, mais aussi aux États-Unis où Alibaba Cloud a « supplanté IBM et pris la 4e place des fournisseurs de cloud public aux États-Unis, avec des ventes qui ont bondi de 93% au 1er tri- mestre à 710 millions de dollars »23. Néanmoins, cette expansion, à l’image de celles opérées par plusieurs sociétés chinoises aux États-Unis, a été stoppée par la montée en puissance des tensions entre le gouvernement américain et le pouvoir politique chinois accusé de porter atteinte à la sécurité nationale du pays.
B – LES CONFRONTATIONS AVEC LES AUTORITÉS AMÉRICAINES
En 2017 plus de 15 milliards de dollars ont été investis, à l’échelle mon- diale, dans des start-ups spécialisées dans le secteur de l’intelligence artificie- lle, mais si 38% de cette somme a été investie par les Américains, près de la moitié de cette somme est allée directement vers la Chine. C’est d’ailleurs la première fois que les investissements vers la Chine, des start-ups spécialisées dans l’IA, surpassent ceux des États-Unis. Ce qui confirme davantage l’as- cension rapide de l’empire du Milieu et le retard graduel des États-Unis, et explique par la même occasion les dessous d’une guerre féroce que se livrent les deux puissances, depuis plusieurs années, pour devenir le leader mondial de l’intelligence artificielle.
Ceci dit même si l’ascension des BHATX chinois est réelle, mais rien n’est encore joué pour l’instant, puisque la Silicon Valley est encore leader en matière d’IA. Et pour tous les acteurs américains, publics comme privés, la préservation de cette avance figure parmi les premières priorités. C’est d’ai- lleurs ce qu’avait poussé, en février 2019, le président Trump à signer un décret présidentiel, intitulé « American IA Initiative », faisant de la recherche sur l’IA une priorité nationale. Sauf que, de l’autre côté, la stratégie chinoise d’attaque et de prédation limitedoucement, mais surement l’efficience des tactiques américaines dans le domaine de l’IA, et fait perdre au pays son in- fluence dans un domaine où il avait historiquement une longueur d’avance, et cela en suivant trois étapes.
Dans un premier temps, conscients de leur handicape dans le domaine, les Chinois se contenteront de suivre le rythme des autres pays leaders en termes de technologie et d’applications d’IA d’ici 2020, et cela afin de pouvoir créer et asseoir une industrie de base de l’IA, dont la valeur est estimée à 22 milliards de dollars. Et une fois que la deuxième phase, qui s’étale entre 2020 et 2025, est achevée par l’établissement des fondements juridiques de l’indus- trie, l’empire du Milieu aspire à devenir le maître incontesté de science de l’IA, avec pour objectif de devenir le centre d’innovation numéro 1 de l’IA, d’ici 2030. Donc, si ce projet se concrétise, les ravageurs chinois ne tarderont pas à détrôner l’oncle Sam, surtout que l’avantage concurrentiel dont disposent les Américains ne cesse de se rétrécir depuis 2013, face à une augmentation ex- ponentielle du nombre des start-ups chinoises en IA. Un changement d’allure qui est dû à plusieurs explications :
– Le « laissez-faire politique » américain : d’abord, selon plusieurs spé- cialistes américains, la non-compétence et le non-intérêt du Président amé- ricain actuel aggravent davantage la situation des GAFAMI. Ensuite, depuis son arrivéeà la maison blanche, il a adopté une stratégie anti-migratoire, ce qui a diminué le nombre des visas accordés aux ingénieurs étrangers, et pous- sé par la même occasion, une grande partie des laboratoires de recherche des GAFAMI à s’installer dans d’autres pays du monde, que ça soit en Europe (Ex : Facebook a investi, en 2018, 10 millions d’euros pour son centre de Paris, dédié à l’IA. De même, Sony et Huawei ont établi des laboratoires de recherche dans la même ville) ou en Asie (Ex : la maison mère de Google, Alphabet, a déclaré vouloir installer un centre de recherche à Pékin).
– La nature des propriétaires des plates-formes de données : nous sa- vons que le développement de l’IA est conditionné par le nombre de données nécessaires pour « composer » les systèmes d’IA. Le problème c’est qu’aux États-Unis, la grande partie de ces données est monopolisée par des entrepri- ses privées (Amazon, Facebook et Google), alors qu’en Chine la majorité des entreprises sont soit publiques, soit liées aux pouvoirs publics d’une manière ou d’une autre. Donc, la pléthore des données, les milliers d’entrepreneurs et d’ingénieurs chevronnés, ainsi que le soutien actif du pouvoir politique, sont des ingrédients qui facilitent cette ascension chinoise. C’est d’ailleurs ce qui a poussé Kai-Fu Lee24 à dire que « La Chine est l’Arabie Saoudite des don- nées », vu que les BHATX réunis regroupent plus de données que les États- Unis et l’Europe assemblés. D’ailleurs, déjà à la de l’année 2018 le nombre d’internautes chinois avait atteint 829 millions, contre 475 millions en Euro- pe et 325 millions aux États-Unis. De même, à titre d’exemple, l’intelligence de la reconnaissance faciale, qui repose principalement sur des techniques d’apprentissage profond, s’est beaucoup développée en Chine pour dépas- ser,en 2016,128 millions d’euros, alors qu’elle devrait être multipliée par cinq d’ici 2021. De même, l’une des composantes essentielles de l’IA, à savoir le maching learning qui repose, essentiellement, sur l’abondance des données se développe davantage en Chine à travers deux leaders mondiaux du paiement par mobile, qui sont AliPay et Tencent. En effet, aussi surprenant que cela puisse paraitre, les achats par mobiles effectués par les chinois sont 50 fois plus nombreux que ceux des Américains. Ce qui permet à Alibaba et Tencent
de maîtriser les choix et les modes de vie de plusieurs centaines de millions de Chinois.
Une tendance facilitée par la stratégie des pouvoirs politiques chinois qui veulent « une Chine sans les GAFAMI », à travers l’interdiction de l’ensemble des réseaux sociaux, des moteurs de recherche et des géants du paiement par carte bancaire américains sur le territoire chinois.
– L’espionnage : depuis plusieurs années le Guoanbu (L’agence de sécu- rité et de renseignement civil de la République Populaire de Chine) a changé ses priorités et prérogatives politiques et géopolitiques. Il a réussi à instaurer une cybersurveillance sophistiquée sur la plupart des multinationales mon- diales, via l’approche des Américains proches des instances politiques, le re- crutent d’agents de renseignement américain, la liquidation systématique des agents américains en Chine, la création de faux profils sur le réseau social professionnel LinkedIn, l’armada des étudiants éparpillés partout aux États- Unis (un quart des diplômés en sciences et technologies des Universités et Centres d’études américains sont de nationalité chinoise, selon le Pentagone). Ce qui explique que, comme l’avait signalé le ministère de la Justice américai- ne, Pékin soit« responsable de plus de 90 % des actes de cyberespionnage aux États-Unis »25.
Et même sur son territoire, Pékin oblige les entreprises américaines à co- llaborer avec un homologue chinois, de stocker leurs données, même les plus sensibles, localement et de transmettre leurs brevets technologiques, au risque de perdre l’accès au marché de la deuxième économie mondiale.
Reste à préciser que même aux États-Unis, « le Patriot Act1 oblige les so- ciétés américaines à transmettre au gouvernement les informations sensibles qui passent entre leurs mains »26, mais d’une manière plus soft que celle im- posée par les autorités communistes.
– Le brevetage des inventions et des articles de recherche liés à l’IA : en 2018-2019, d’après l’Organisation mondiale de la propriété intellec- tuelle (OMPI), les demandes de brevet en lien avec l’IA ont explosé. Deux États s’accaparent la part du lion dans le domaine, les États-Unis et la Chine. Mais depuis plusieurs années, la Chine enregistre plus de brevets et publie
plus d’articles liés à l’IA. De même, le nombre de citations des recherches chinoises dans les revues scientifiques indexées commence à concurrencer, sérieusement, celui des Américains, alors que les dépôts n’ont commencé en Chine qu’au début des années 2000. « Si les tendances actuelles se maintien- nent, la Chine est sur le point de dépasser les États-Unis dans les 50% des articles les plus cités cette année, dans les 10% les plus cités de l’année pro- chaine et dans le 1% des articles les plus cités d’ici 2025 »27. Et une analyse approfondie des brevets immatriculés aux États-Unis nous montre que le nombre des brevets aux États-Unis est gonflé, vu que plusieurs entreprises et institutions non américaines (surtout Suisses et Néerlandaises) préfèrent déposer leur demande de brevet aux États-Unis plutôt qu’à domicile.
– L’investissement des BHATEX en IA : soutenues par les pouvoirs publics chinois, les BHATX multiplient, jour après jour, leurs investissements dans l’IA. Des milliers de « Silicon Valley de l’IA » ont été ouvertes dans toutes les régions de Chine. Et même si plusieurs seront condamnés à disparaître, il est fort probable que, au moins, des dizaines vont prospérer et générer des pôles de compétences très compétitifs. D’ailleurs, plusieurs entreprises ont commencé à tirer profit de cette stratégie.
Ainsi, après avoir investi dans le Cloud, et afin de baisser ses coûts de main-d’œuvre, Alibaba a récemment présenté sa nouvelle invention : un hôtel futuriste et assez singulier, puisqu’il s’agit d’un établissement 100% connecté et où les humains ont été remplacés par des robots. Et alors que Google est toujours en train d’expérimenter son intelligence artificielle « Duplex » censée passer des coups de fil, Alibaba a réussi ce pari en créant un assistant vocal qui a été expérimenté en 2018 et compte déjà plusieurs heures d’avance par rapport à l’assistant de Google.
De même, la société chinoise Lenovo qui avait racheté, en 2005, la bran- che « ordinateurs personnels » de la multinationale américaine IBM, a déclaré en 2018 que l’IA serait au centre de ses préoccupations pour la création des produits à venir. D’ailleurs, une année plutôt, en 2017, la société avait annoncé la création de nouveaux matériels et logiciels destinés à rationaliser l’appren- tissage automatique (machine learning) sur les systèmes informatiques haute performance (HPC pour High Performance Computing).
Toujours dans le domaine des superordinateurs, support incontournable de l’IA, les deux pays (Chine et États-Unis) se livrent à une course au coude à coude. Depuis 2012, les Chinois ont dominé la scène mondiale puisqu’ils sont restés à la tête du TOP 500 des superordinateurs jusqu’en juin 2018, date pen- dant laquelle les Américains ont repris le flambeau avec le superordinateur Summit, appelé aussi « BeholdSummit » ou « OLCF-4 », construit par IBM et pouvant atteindre 200 pétaFLOPS. Alors que pendant plusieurs années, la tête du podium était occupée par des machines chinoises telles que « Sun way Taihu Light » et « Tianhe-2 ». Cependant, cette avance américaine demeure relative, puisque dans la liste du Top 500 des superordinateurs du monde, 206 machines sont fabriquées par les Chinois, contre seulement 124 Américaines. Sur le plan sécuritaire, un nouveau front est en train de s’ouvrir dans la guerre technologique, vu que le leader mondial de la fabrication des drones civils est chinois. Après la faillite de la multinationale américaine GoPro, Da Jiang Innovation (DJI) est devenu le premier producteur avec plus de 70% des drones civils de la planète. Une situation qui a inquiété l’armée américaine au point qu’elle a interdit, en 2017, l’utilisation des drones DJI pour raisons
de sécurité.
– Les prises de participations dans des entreprises américaines stratégiques : dans le but de s’accaparer du savoir-faire des multinationales américaines, en échange de l’accès à son grand marché intérieur, la Chine a entamé depuis des années un processus assez intelligent de financement, indirect, de grands fonds, start-ups et incubateurs de la Silicon Valley, tel que Westlake Ventures, spécialisée dans les logiciels et les technologies de l’infor- mation, et TechCode, dédiée à l’exploitation d’incubateurs et à l’intégration de ressources d’innovation mondiales.
À la tête des plus grosses réserves mondiales de change, l’empire du Mi- lieu est en train de devenir un exportateur net de capital dans tous les secteurs d’investissements, et spécialement en IA où il a réussi à faire monter des multinationales chinoises dans le domaine de l’IA. Le cas le plus flagrant est celui de Huawei.
Une tactique dénoncée par le Pentagone qui a révélé, en se basant sur les enquêtes de CB Insight, qu’entre 2015 et 2017, Pékin aurait investi plus de 24 milliards de dollars dans la tech américaine, ce qui lui a permis d’assurer un transfert, indubitable,des technologies et des savoirs vers l’empire du Mi-
lieu28. Ainsi, par exemple, Baidu et JD ont récemment pris part aux actions de la société américaine ZestFinance29. De même, Baidu a acquis la start-up Seattleite « Kitt.ai », tout en concluant un Accord de partenariat avec le fabri- cant américain de puces Nvidia. De son côté, le chinois Tencent, spécialisé dans les services Internet et mobiles ainsi que la publicité en ligne, a acheté de grandes parts dans la société newyorkaise ObEN et vient de dépasser, en 2018, Facebook en bourse « atteignant l’équivalent de 523 milliards de dollars de capitalisation »30.
Et comme si tout cela ne suffisait pas, les BHATX ont commencé à s’at- taquer aux Bourses. Ainsi, au NASDAQ Tencent et Baidu sont déjà cotées, alors qu’Alibaba a intégré le New York Stock Exchange. De son côté Xiaomi a fait son entrée à la bourse de Hong Kong au mois de juillet 2018. Et même si Huawei n’est pas encore cotée en Bourse, puisqu’il se dit appartenir à ses employés, mais en réalité sa structure actionnariale reste complètement opa- que. Sans oublier que la plupart des firmes chinoises développent d’impor- tantes activités sur le plan international, à l’image de Baidu qui, depuis 2011, il a conclu plusieurs Accords avec le géant américain Microsoft concernant l’utilisation du moteur de recherche « Bing » pour les recherches effectuées en langue anglaise sur son site.
Pour ce qui est du domaine de l’informatique de très haute puissance dans le Cloud, appelé aussi le cloud Computing ou nuagique, pilier incontournable et indispensable de l’IA, avec le Big data et le machine learning, les entreprises chinoises, comme Alibaba, ont procéder à une offensive singulière contre les géants américains pour essayer de les déstabiliser et rafler quelques parts de marchés que les firmes américaines contrôlent et monopolisent depuis plu- sieurs années. Néanmoins, les ambitions de la firme chinoise de développer son « Alibaba Cloud » se sont heurtées à une opposition catégorique de la part
du nouveau locataire de la Maison-Blanche, Donald Trump et des autorités américaines.
En réalité, depuis 2010, les BHATX sont sous une surveillance étroite à cause des craintes de piratage et d’espionnage. Plusieurs objets chinois sont soupçonnés de dissimulation de ce qu’on appelle le « backdoor », un cheval de Troie caché dans un logiciel, et qui peut servir d’outils d’espionnage pour le compte des services secrets chinois, à l’image de ce qu’entreprend le géant chinois Huawei, qui a été sanctionné par Donald Trump, poussant Google à prendre ses distances et suspendre toute collaboration avec la firme chinoise.
En outre, le 2 janvier 2019, les régulateurs américains, invoquant le motif de sécurité nationale, ont bloqué la tentative de fusion entre le spécialiste américain des paiements électroniques MoneyGram International et Ant Fi- nancial Services, bras financier du géant chinois du commerce en ligne Ali- baba Group Holding en raison du « risque pour la sécurité nationale lié à des transferts potentiels de propriété intellectuelle ». Et toujours pour le même motif, le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS), un organisme fédéral placé sous la houlette du Trésor américain, et qui est chargé d’examiner les acquisitions étrangères, s’est opposé à cette opération, après avoir « recommandé » au président Trump, en septembre 2018, de s’opposer au rachat du fabricant américain de circuits logiques programmable « Lattice- Semiconductor Corporation » par le fonds d’investissements Canyon Bridge Fund, une entreprise dont la majorité des actionnaires est chinoise.
Et pour barrer la route aux Chinois, le président américain, via un « exécu- tive order » signé en février 2019, a sommé toutes les Agences fédérales de faire de la recherche en IA leur priorité, surtout que le Pentagone n’a pas cessé d’insister sur le risque de se faire devancer par la Chine.
Donc, les autorités américaines tentent tant bien que mal de ralentir l’as- cension des BHATX. Mais, même si ces dernières ne sont pas pour l’heure en mesure de rivaliser avec les GAFAMI, mais il parait certain qu’elles sont en train de s’en rapprocher rapidement, ce qui symbolise ouvertement la volonté de la Chine de prouver la supériorité de son modèle économique et social. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les Chinois tentent de diversifier leurs partenaires, mais aussi leurs cibles pour éviter tout blocage de leurs stratégies par leur concurrent direct (États-Unis) et indirect (l’Europe), en procédant à
une conquête générale d’un continent tout aussi important dans cette guerre à l’IA, à savoir l’Afrique.
2. LES AMBITIONS CYBERCOLONISATRICES DU CONTINENT AFRICAIN
Dans sa quête de l’hégémonie planétaire en matière d’IA, la Chine s’est lancée dans la conquête de l’Afrique qui constitue, pour elle, une véritable aubaine et un marché prometteur. De nombreuses firmes technologiques chinoises ont assailli les marchés africains avec leurs produits et marchan- dises. En effet, la Chine se présente comme un partenaire de l’Afrique qui semble-t-il l’aidera à entamer sa révolution technologique. Pour certains pays africains, conscients d’avoir raté plusieurs révolutions industrielles et que, par conséquent, ils ne doivent pas manquer celle de l’intelligence artificielle, la Chine est un « partenaire » qui serait à même de contribuer à cette évolution technologique du Continent africain.
A- LES INVESTISSEMENTS DES BHATX EN AFRIQUE
Depuis une décennie les BHATX tendent à s’implanter en Afrique, et ce de façon pérenne. Dans le domaine de l’IA, la Chine est actuellement le pre- mier partenaire commercial des États africains, suivie de l’Inde, de la France, alors que les États-Unis n’occupent que la quatrième place suivie de l’Alle- magne. En effet, le Continent africain dispose d’un énorme potentiel pour explorer les applications de l’IA. « D’après une étude du cabinet Deloitte plus de 660 millions d’Africains devraient être équipés d’un smartphone en 2020, un contexte qui ne devrait qu’accentuer la multiplication des usages déjà très divers »31.
Cet ainsi par exemple que le géant chinois Tencent a réussi, depuis 2013 date du lancement de l’application sur le marché africain, une expansion ful- gurante à travers son application mobile« WeChat», 100 % chinoise. Il s’agit, en effet, d’une application complète (tout faire) qui regroupe les fonctionna- lités de Wathsapp, Twitter, PayPal et Facebook, c’est-à-dire, la messagerie, les appels audio et vidéos, sans oublier une originalité extraordinaire qui se résu- me dans le transfert d’argent, les réservations et les virements financiers qui peuvent, tous, être effectué juste par une reconnaissance faciale. Des atouts qui ont conquis plus de 5 millions d’utilisateurs africains qui ont adopté « We- Chat », que ça soit en Afrique du Sud, au Kenya, en Angola ou au Nigéria. À
un moment où le nombre d’utilisateurs de Facebook, implanté depuis lon- gtemps en Afrique, ne dépasse guère les 12 millions, et alors que la société chinoise vient juste d’entamer sa conquête de l’Afrique francophone. Dans ce sens et pour faciliter davantage son expansion en Afrique et les échanges d’ar- gent entre les utilisateurs, Tencent a signé plusieurs Accords de collaboration avec plusieurs partenaires africains, à l’instar de la société kényane « M-Pesa », pionnière des paiements mobiles en Afrique.
Néanmoins, Tencent n’est pas la seule entreprise chinoise à lorgner le Continent. Les deux géants mondiaux des télécoms chinois Huawei et Xiao- mi, ont pénétré le marché africain en proposant des smartphones polyvalents, de grande qualité et à un prix très réduit, par rapport aux concurrents.
Pour Huawei, premier fournisseur mondial de solutions de technologies de l’information et de la communication, et ambitionne de dépasser Samsung et devenir ainsi le numéro un des Smartphones en Afrique. Déjà implanté dans une quarantaine de pays, en fournissant plus de la moitié du réseau 4G sur le continent, Huawei envisage d’accélérer davantage ses investissements en Afrique surtout après avoir été banni du marché américain, suite à des ac- cusations d’espionnage, et alors même que le quotidien français « Le Monde » avait affirmé, 26 janvier 2018, que la Chine avait espionné le siège de l’Union africaine, construit en 2012 par Pékin, à Addis-Abeba32. Toutefois, la majorité des Africains estiment qu’elle n’a guère le choix, au risque de rater, encore une fois, cette nouvelle révolution du 21e siècle.
Pour ce qui est de Xiaomi dont les mobiles sont les plus vendus en Chine et qui se classe, sur le plan international, en quatrième position derrière Sam- sung, Apple et Huawei, l’entreprise a su, depuis novembre 2015, conquérir l’Afrique grâce à ses prix qui défient toute concurrence.
Profitant d’un partenariat fructueux avec des opérateurs locaux tel que Mobile in Africa Group, la marque s’est attaquée, en premier lieu, aux mar- chés sud-africain, nigérian et kényan et dernièrement au Sénégal et au Maroc, en recrutant du personnel africain, Xiaomi a décidé, en janvier 2019, de créer tout un département Afrique afin d’accentuer ses investissements sur le Con- tinent africain.
l’Afrique. D’ailleurs ce cybercolonialisme « positif » chinois semble être plus accepté, par certains pays africains, que celui des Américains ou même des Européens. Les Accords signés avec la Chine permettent aux Africains de se connecter à des prix très compétitifs, via des mobiles pas chers et qui en- couragent le partage des compétences en ingénierie et en télécommunication ainsi que la réalisation de plusieurs chantiers dédiés au déploiement de l’In- ternet fixe, mobile, de fibre optique et même les câbles sous-marins.
B-VERS NÉO-COLONIALISME NUMÉRIQUE « MADE IN CHINA »
Dans le cadre de sa course à l’hégémonie planétaire, la Chine au travers de différentes réalisations de projets tend à se projeter dans la conquête des marchés africains, via le développement de l’IA, surtout qu’une telle techno- logie ne nécessite pas forcément des infrastructures distinctives. Néanmoins, l’Afrique compte plus d’un milliard d’individus et d’ici 2050 ce chiffre va doubler. Une réalité assez suffisante pour rendre le Continent africain assez attrayant pour les géants chinois et américains de l’IA.
Par le biais de ses nouvelles routes de l’information, concrétisées par des investissements faramineux dans les domaines des télécoms, l’Internet fixe et mobile ainsi que la fibre optique, la Chine prétexte vouloir désenclaver un Continent où un tiers seulement des habitants est connecté, et cela à tra- vers des infrastructures télécoms fiables et performantes, qui n’ont rien à en- vier aux infrastructures et équipements américains. Une stratégie fructueuse puisqu’elle a incité plusieurs gouvernements africains tels que la Zambie, le Zimbabwe et l’Éthiopie à faire appel, en 2018, aux services de plusieurs en- treprises chinoises pour instaurer des systèmes de contrôle d’Internet et des réseaux de télécommunication.
Dans la même logique, Pékin tente de façonner des corridors logistiques à travers son premier câble des nouvelles routes de la soie, baptisé PEACE (Pakistan and East AfricaConnecting Europe). Long de 12.000 km, ce nou- veau câble reliera, d’ici 2020, le Pakistan, Djibouti, le Kenya, l’Égypte et la France pour atteindre, juste après, l’Afrique du Sud. En effet, la Chine a ar- ticulé le numérique et l’IA dans sa stratégie géopolitique, à travers l’initiative Belt& Road,qui vise la construction d’une infrastructure solide capable de re- lierl’Asie, l’Afrique et Europe. « Confirmée par le 19e congrès du PCC, la Belt and Road Initiative (BRI) va guider la politique extérieure de la seconde écono- mie mondiale, appelée à devenir la première dans un futur pas très éloigné.
Le rêve chinois, formulé par XI Jinping, se retrouve dans cette initiative qui entend contribuer à l’amélioration du niveau de vie des populations chinoi- ses, mais aussi à la renaissance de la nation chinoise, renaissance qui n’est pas seulement puissance matérielle, mais aussi morale et civilisationnelle »33. La dernière avancée du programme a été concrétisée par la création, en février 2018, d’un nouveau centre international d’excellence des « Routes digitales de la Soie » en Thaïlande.
D’ailleurs, depuis quinze ans les BHATX, et en collaboration avec l’État chinois, n’ont cessé de diversifier les investissements dans les équipements télécoms, mais aussi dans les câbles sous-marins en Afrique, afin de faire du Continent un tremplin essentiel dans la quête mondiale de leadership en matière d’IA.
Néanmoins, cette stratégie cyber-colonialiste chinoise est loin d’être com- plètement favorable au Continent africain. Encore traumatisés par les séque- lles de la colonisation européenne, plusieurs pays africains sont en train de nouer avec Pékin un partenariat techno-industriel logique, mais largement déséquilibré. À l’image du plan Marshall et des Américains en Europe après la Seconde Guerre mondiale, l’empire du Milieu exporte massivement en Afri- que ses technologies, sa culture, ses standards. Alors qu’en réalité le régime communiste chinois ne recherche qu’à fournir aux BHATX un support fiable de commercialisation de leurs produits et services en Afrique, face à la con- currence des GAFAMI américains.
Sans oublier que le déploiement de ces infrastructures télécoms facilitera, pour Pékin, le développement de son bizness dans des secteurs vitaux, com- me celui des mines et les métaux rares, indispensables pour la fabrication de la majorité des produits high-tech. D’ailleurs, pour atteindre ses objectifs, la Chine n’hésite point à recourir à une arme redoutable, à l’instar de plusieurs pays occidentaux, qui consiste à endetter au maximum certains pays africains afin de créer et pérenniser un état de dépendance vis-à-vis de la Pékin. En 2017, avec une hausse de 40 % en trois ans, la dette publique en Afrique subsaharienne, par exemple, a représenté 45 % du PIB, et bien évidemment l’empire du Milieu demeure le premier créancier. Une situation qui risque de faire perdre à plusieurs pays africains leur souverainetéou, au moins, ce qu’il en reste.
Pour ainsi dire, dans cette course à l’Intelligence artificielle, les Chinois ont décidé de jeter leurs dévolus sur l’Afrique afin de réaliser des projets ayant une ampleur géostratégique dans leur positionnement sur la scène internatio- nale. Et dans un Continent, incapable de couper le cordon ombilical aussi bien avec la Chine qu’avec les États-Unis, l’Afrique est devenue l’un des terrains de guerre d’influence, privilégié, entre les puissances chinoises et américaines et un terrain d’affrontement pour les empires digitaux. « Ces grandes plates-for- mes captent toute la valeur ajoutée : celle des cerveaux qu’elles recrutent, et celle des applications et des services, par les données qu’elles absorbent. « Le mot est très brutal, mais techniquement c’est une démarche de type colonial : vous exploitez une ressource locale en mettant en place un système qui attire la valeur ajoutée vers votre économie.
Cela s’appelle une cybercolonisation »34.Une situation qui ne laisse pas in- différente les autorités américaines puisque, un mois après la décision du pré- sident Xi Jinping, lors du Sommet Chine-Afrique en septembre 2018, de con- sacrer un fonds de 60 milliards de dollars pour développer les infrastructures africaines, le Sénat américain a voté, en octobre 2018, la loi BuildAct dans le but de créer une nouvelle Agence, appelée « US International Development Finance Corporation », dédiée au développement du continent africain et qui sera, aussi, d’une enveloppe de 60 milliards de dollars. De même, lors de son premier roadshow en Afrique, l’entreprise américaine SAS, spécialiste du Big Data, a annoncé en avril 2019 un investissement de 1 milliard de dollars en Afrique, dans le but d’assurer l’accès des opérateurs locaux à ses dernières te- chnologies liées à l’intelligence artificielle, ce qui permettra au géant américain de développer sensiblement sa présence sur le Continent.
Dans le même sens, et afin de contrecarrer l’expansion des BHATX, Google avait lancé, en 2012, en partenariat avec d’autres entreprises comme BlackBerry ou MasterCard 2012, l’institut africain pour les sciences mathé- matiques. Et en avril 2019, la firme californienne via son groupe de Moun- tainView a lancé à Accra, comme nous l’avions expliqué précédemment, un nouveau centre de recherche en intelligence artificielle. Donc, les GAFAMI multiplient les incubateurs de start-up et les programmes de soutien au dé- veloppement des talents africains dans les domaines de l’IA. Ce qui revient à dire que, malgré tous les exploits des Chinois, les Américains gardent enco-
re des avantages concurrentiels sur le Continent africain. Et abstraction fait de l’IA l’Afrique demeure, en effet, tributaire de l’appui américain dans plu- sieurs domaines, surtout militaire, et d’autant plus que ces dernières années ont été le témoin d’une mutation rapide du terrorisme et de l’islamisme sur tout le continent. Les réponses aux niveaux régional, sous-régional et national n’ayant pas pu endiguer ce fléau, plusieurs pays africains comme le Nigéria, le Kenya, le Tchad ou le Cameroun dépendent encore de la collaboration mi- litaire avec les Américains pour pouvoir lutter contre les groupes terroristes. Ceci dit, cette avancée risque d’être de court terme puisque lors du pre- mier « Forum sino-africain sur la défense et la sécurité» tenu à Pékin en juin 2018, le président chinois s’est engagé à mettre en place des mécanismes de coopération et de financement des armées africaines, dans le but de former les officiers africains, et par la même, énoncer une image de puissance mon- diale. D’ailleurs, la Chine qui ambitionne de devenir la première puissance mondiale et qui a déjà lancé des programmes de modernisation de son armée depuis plus de 10 ans consacre plus de 157 milliards d’euros au budget Dé- fense du pays, le deuxième du monde après celui des États-Unis. Ainsi, selon un récent rapport du Sipri, le Stockholm international peace research insti- tute, « les ventes d’armes chinoises à l’Afrique ont augmenté de 55%, depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping en 2013 »35. Une situation qui risque de déplacer des conflits sur d’autres terrains non moins dangereux que celui de la tech et défricher des chemins dont il est, aujourd’hui, impossible de savoir oú mènent.
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– MIAILHE, Nicolas, « Géopolitique de l’Intelligence artificielle : le retour des empires ? »,
Politique étrangère, 2018-3 (Automne).
– RICHAUD, Nicolas, « Bourse : le géant chinois Tencent a dépassé Facebook », Les Échos, 19-01- 2018.
– RODER, Stéphane, Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise : Anticiper les transforma- tions, mettre en place des solutions, Ed. 1, Eyrolles, Paris, 2019.
Les références
Guide pratique de l’intelligence artificielle dans l’entreprise : Anticiper les transforma- tions, mettre en place des solutions
Les références
(« Vallée du silicium ») désigne le pôle des industries de pointe situé dans la partie sud de la région de la baie de San Francisco en Californie, sur la côte ouest des États- Unis, dont San José est la plus grande ville.
Le concept d’industrie 4.0 ou industrie du futur correspond à une nouvelle façon d’orga- niser les moyens de production. Cette nouvelle industrie s’affirme comme la convergence du monde virtuel, de la conception numérique, de la gestion (finance et marketing) avec les produits et objets du monde réel.
Un service français d’écoute de musique en streaming sous la forme d’un site Web et d’ap- plications mobiles.
Washington prépare son offensive contre les géants de la tech
Le Smart Africané en 2013, lors du TransformAfricaSummit qui s’est tenu à Kigali au Rwanda. Les pays se sont rendu compte que l’Afrique du Nord et ses partenaires du Moyen- Orient évoluent dans leur plan de développement par les TIC alors qu’en Afrique Subsaha- rienne les choses bougent très lentement. Les réalisations individuelles étant plus longues à réaliser, ils ont donc décidé de se rassembler pour aller plus vite.
L’Année des Professions Financières (2019) : Quelle finance en 2030 ? 40 points de vue d’experts
Un monde meilleur : Et si l’intelligence artificielle humanisait notre avenir ?
Comment l’espionnage chinois s’intensifie aux États-Unis
En 2018 les investissements ont baissé à 5,6 milliards de dollars, avec une chute de 80%, à cause des restrictions qui ont été imposées par D. Trump, mais aussi parce que les autorités chinoises ont incité certaines multinationales à diversifier leurs investissements, partout dans le monde, pour assurer davantage leur santé financière.
Société de technologie des services financiers basée à Los Angeles, qui utilise l’apprentis- sage automatique et la science des données pour aider les entreprises à prendre des décisions de crédit plus précises.