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Le Maroc, un «acteur emancipé» dans la géopolitique sahelienne
Beatriz MESA; Yousra HAMDAOUI
Beatriz MESA; Yousra HAMDAOUI
Le Maroc, un «acteur emancipé» dans la géopolitique sahelienne
Paix et Sécurité Internationales – Journal of International Law and International Relations, núm. 6, 2018
Universidad de Cádiz
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Resumen: La nueva política africana de Marruecos, durante los últimos cinco años del reinado de Mohamed VI, ha permitido al país magrebí, más allá de diversificar sus alianzas estratégicas que miraban casi en exclusividad hacia Europa, ganar influencia en la región vecina del África Occi- dental y Central. La mediación, por un lado, de la monarquía asentada en los valores del Islam suní 1 Docteure en sciences politiques (PhD). Chercheur au LePoSHS de l’Université Interna- tional du Rabat (UIR). Professeur Honoraire (Profesora Colaboradora) au Département de Droit International Publique et Relations Internationales de l’Université de Cadiz (UCA) . 2 Doctorante (PhD Candidate) en Droit Publique et sciences politiques à la faculté de Droit de Settat et chercheure associée à Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies (Da- kar) Paix et Securité Internationales ISSN 2341-0868, Num. 6, janvier-décembre 2018, pp. 131-143 131 Maroc « acteur émancipé » dans la géopolitique sahélienne

Palabras clave: Seguridad, política exterior de Marruecos, geopolítica, Sahel, extremismo violento, seguridad religiosa, emancipación, diplomacia migratoria.

Résumé: La nouvelle politique africaine du Maroc durant les cinq dernières années du règne de Mohamed VI a permis au pays maghrébin non seulement de diversifier ses alliances stratégi- ques qui se focalisaient essentiellement sur l’Europe mais de gagner plus d’influence en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. En effet, d’une part, la médiation de la monarchie imprégnée des valeurs de l’Islam sunni en promouvant une « sécurité religieuse » après les conflits Libyen et malien. D’autre part, la présence progressive d’entreprises marocaines sur le marché africain ont repositionné l’État marocain dans la région, en particulier depuis la réoccupation de la « chaise vide » à l’Union africaine en 2017. Cette date a attribué au Maroc dans une place privilégiée dans le paysage géopolitique de l’espace sahélo-sahélien. Dans cet article, nous ne nous intéressons pas aux raisons qui ont amené le Maroc à revoir sa politique étrangère, mais aux outils de la nouvelle politique étrangère qui lui ont permis de passer d’un acteur «passif» à un acteur «médiateur» et «émancipé» «dans la région du Sahel. MOTS CLÉS : Sécurité, politique étrangère du Maroc, Géopolitique, Sahel, Extrémisme violent, sécurité religieuse, Émancipation, Diplomatie migratoire.

Abstract: The new African policy of Morocco during the last five years of the reign of Mo- hamed VI allowed the Maghreb country not only to diversify its strategic alliances which focused mainly on Europe but to gain more influence in West Africa and in Central Africa. In fact, on the one hand, the mediation of the monarchy imbued with the values of Sunni Islam by promoting a “religious security” after the Libyan and Malian conflicts. On the other hand, the gradual presence of Moroccan companies on the African market has repositioned the Moroccan state in the region, especially since the reoccupation of the «empty chair» at the African Union in 2017. This date attri- buted to Morocco a privileged place in the geopolitical landscape of the Sahelo-Sahelian space. In this article, we are not interested in the reasons that led Morocco to review its foreign policy, but in the tools of the new foreign policy that enabled it to move from a «passive» actor to a «mediator» and an «emancipated» actor «in the Sahel region.

Keywords: Security, Morocco’s foreign policy, Geopolitics, Sahel, violent extremism, Reli- gious security, Emancipation, migratory diplomacy.

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Notas

Le Maroc, un «acteur emancipé» dans la géopolitique sahelienne

Beatriz MESA
UCA, España
Yousra HAMDAOUI
Da- kar, Marruecos
Paix et Sécurité Internationales – Journal of International Law and International Relations
Universidad de Cádiz, España
ISSN-e: 2341-0868
Periodicidad: Anual
núm. 6, 2018


I. INTRODUCTION

Les visites réitérées du roi du Maroc Mohamed VI en Afrique ont repo- sitionné le pays maghrébin en pivot regional, consolidé par sa réintégration à l’Union Africaine (UA) en Janvier 2017. En effet, d’une part, la nécessité pour la monarchie d’élargir les intérêts socio-stratégiques concentrés jusqu’à présent dans les scénarios européen et moyen-oriental – la politique extérieu- re du roi Mohamed VI qui a fait des relations avec l’Afrique subsaharienne3 une priorité depuis son accès au trône– et, d’autre part, penser qu’à travers l’Afrique, le Maroc pourrait occuper une place dans le paysage géopolitique sahélien surtout après l’éclatement de la Libye et du Mali. Ces deux conflits ont engagé le Maroc dans une nouvelle politique de gestion des crises dans les champs politique, sécuritaire et religieux. Cette analyse contemple le soft power du Maroc en Afrique avec un regard concret vers le « soft power re-

ligieux » qui lui a servi de tremplin pour ses ambitions géopolitiques dans la région sahélienne.

Dans cet article, nous nous intéresserons aux outils de la nouvelle politi- que étrangère du Maroc au Sahel pour devenir un acteur clé dans la région. On considère que ce pays est passé d’un acteur passif à un « acteur émanci- pé »4 à partir de l’instabilité sécuritaire dans la sous-région, particulièrement au Mali et en Libye. En effet, tenant compte de la porosité des frontières et de leur artificialité, les effets des crises politiques dans ces pays se font sentir chez leurs voisins.

En ce qui concerne la Libye, le rôle du Maroc s’agissait fondamentalement de servir de plate-forme pour la médiation et la recherche d’une solution pour la crise éclatée après la désintégration du régime de Muammar El Gadafi. La signature, le 17 décembre 2015 à Skhirat au Maroc, des accords de paix pour la Libye (Les accords de Skhirat) – qui parachèvent un cycle de négociations enclenché en octobre 2014 sous l’égide de la mission des Nations Unies en Libye (UNSMIL) – a mis le Maroc dans une position privilégiée.

Ce rôle de médiation que le Maroc jouait dans la crise inter-libyenne, s’est accompagné d’une offensive diplomatique pour intégrer l’Union Africaine (UA), en démontrant son engagement de mettre fin à la politique de la « chai- se vide » depuis qu’il a quitté l’organisation à cause de la question du sahara. Après la réintégration du Maroc à l’Union Africaine (UA) et en devenant une plaque tournante d’une crise régionale, le pays Maghrébin montre également sa capacité de médiateur politique pour la gestion des crises. Le Maroc a compris que la fragilité sociale, économique et politique au Sahel représente un véritable « trou noir » pour lui en matière de flux migratoires, donc, la né- cessité d’occuper une place influente à l’Union Africaine.

En ce qui concerne le nord du Mali, un conflit territorial, depuis la colo- nisation, a impliqué des acteurs régionaux comme l’Algérie en tant que mé- diateur, tandis que le Maroc a toujours été écarté de ce scénario. Aujourd’hui la gestion de la crise malienne est aussi traitée par le Maroc qui met en avant

sa carte religieuse pour asseoir sa position géopolitique dans la région du Sahel. Cette image se consolide par la prière du vendredi 31 Janvier 2014 à la mosquée Koutoubia à Marrakech accomplie par le Roi Mohammed VI, commandeur des croyants, en présence de Bilal Ag Cherif, secrétaire général du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et Moussa Ag Attaher, porte-parole du MNLA5.

II. UNE RELATION HISTORIQUE ENTRE LE MAROC ET L’AFRIQUE

Si bien qu’aujourd’hui est née une nouvelle littérature sur la nouvelle poli- tique étrangère du Maroc dans les pays de l’Afrique subsaharienne et le Sahel, surtout depuis son entrée à l’Union Africaine en janvier 2017. Il est nécessaire de réaliser une brève rétrospective historique pour comprendre que l’Afri- que subsaharienne et le Sahel représentent des espaces stratégiques pour le Maroc depuis le développement du commerce transsaharien dont les compo- santes essentielles étaient l’or et le sel depuis le XI siècle.

Le Sahel longtemps considéré comme un trait d’union entre l’Afrique occidentale et le Maghreb pour faciliter les liens commerciaux entre les deux bandes. Les premiers marocains commerçants arrivèrent au Sénégal au XI siècle. Il faut attendre jusqu’à la moitié du XIX pour assister à un mouve- ment d’émigration important depuis le Maroc vers Tombouctou, au nord du Mali. Cette ancienne ville connue pour servir de phare dans les études sur l’Islam, disposait d’une place primordiale dans le commerce, c’est la raison pour laquelle de nombreux marocains se sont installés dans la ville en 1864. On y recensait près de 600 commerçants originaires de Touat et entre 20 et 25 commerçants de Fez et de Tafilalet6.

Il est nécessaire de rappeler un épisode remarquable dans l’histoire qui explicite la continuité de l’importance géopolitique du Sahel pour le Maroc. Une attaque dirigée par Jaoudar Pacha, un morisque récupéré dans un assaut, emprisonné et rendu esclave. Grâce à son intelligence et son charisme, il a

gagné la confiance du Sultan Ahmed El Mansour et est devenu son conseiller. Le sultan l’a envoyé pour une expédition dont l’objectif principal était Gao, la capitale de l’empire Songhaï et centre du pouvoir d’Ishak II7. En avril 1591, Jaoudar Pacha arrive avec ses troupes dans la plaine de Tondibi, à 60 Km au nord de Gao8. C’est la bataille de Tondibi qui a été à l’origine de la création d’une dynastie marocaine à Gao et qui existe toujours.

En effet, les Arma sont l’une des populations qui existent au nord du Mali. Ils sont considérés comme les descendants des conquérants marocains qui ont mis fin à l’empire songhaï en 15919.

Cet épisode de l’histoire nous rappelle l’importance géopolitique du grand Maroc qui arrivait jusqu’à la boucle du Niger. Par conséquent, le Ma- roc a accordé une importance capitale au continent après son indépendance. En 1961, le roi Mohamed V organise la première grande réunion des chefs d’Etats africains à Casablanca. Cet évènement a permis l’adoption de la “ Charte de Casablanca” qui peut être considérée comme la pierre angulaire de la création de l’organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1963, devenue l’Union africaine (UA) en 2002.

Après le retrait du Maroc de cette organisation en 1984, le royaume s’est retrouvé dans une situation d’isolement au niveau du continent africain10. Ce- pendant, bien que le Maroc ait été déplacé de la politique africaine jusqu’à sa réintégration en 2017, le pays a maintenu une politique active dans le domaine religieux à travers les canaux symboliques. En effet, ces relations facilitées par le partage d’une religion ; l’Islam11. Mais, aussi, à travers les relations séculai- res entre le Maroc et le Sénégal qui puisent leur force dans le patrimoine de la confrérie Tijâniyya dont le fondateur est enterré à Fès au Maroc. Ce legs religieux est en effet l’élément incontournable qui a consolidé les relations

diplomatiques entre les deux pays. Cette diplomatie ne s’est pas cantonnée au Sénégal mais s’est également élargie aux autres pays de la région.

III. LA TRIPLE RÉPONSE DU MAROC AU SAHEL

Cette lecture rétrospective nous permet de mieux comprendre les nouve- lles dynamiques qui s’ouvrent entre le Maroc et l’Afrique Occidentale. Nous situons ainsi la géopolitique du Maroc fondamentalement dans trois volets: la diplomatie économique, la diplomatie sécuritaro-religieuse et la diplomatie migratoire.

1. LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE

Les trois volets que nous développerons dans cet article constituent le fil d’ariane de la politique africaine du Maroc lui permettant d’occuper une po- sition centrale face aux nouveaux enjeux africains. Ainsi, le Maroc est passé d’un pays de transit, observateur à un pays acteur ou bien émancipé.

Aujourd’hui, le Maroc constitue un pays acteur dans la diplomatie économique. D’abord, parce que l’Afrique Subsaharienne devrait connaître une croissance estimée à 3,2 % en 2018 et 3,5 % en 2019 selon la Banque Mondiale. De plus, certains pays subsahariens sont riches en ressources naturelles (le cas du Nord-Est du Mali, frontière avec la Mauritanie). Ensuite, les entreprises africaines sont face à l’émergence d’un nouveau modèle économique ; celui des énergies renouvelables. D’ailleurs, le Maroc a commencé à expérimenter cette nouvelle piste de développement économique. Le royaume s’est fixé un objectif ambitieux de fournir 42% d’électricité grâce aux ressources renouvelables d’ici 202012.

Un vaste chantier ouvert dans le domaine des énergies renouvelables pour trouver des solutions à une région comme le Sahel qui se caractérise par une pauvreté endémique, conséquence d’une mauvaise répartition des ressour- ces, naturelles et non naturelles. Une région déjà fortement touchée par le changement climatique, les crises alimentaires, la sécheresse , la croissance de la population, la corruption et tout une économie criminelle qui s’est insti- tutionnalisée en menaçant la stabilité de la région. La précarité et l’économie criminelle ont poussé à la reconfiguration des groupes armés. Quelque soit leurs idéologies, ces groupes servent à fournir une reconnaissance sociale,

à partir du principe de la tribu, à une jeunesse en perte de repères. Donc, chaque défi au Sahel se répercute sur ses voisins. Conscient de ce contexte économique tumultueux, le Maroc pourrait développer les ressources énergé- tiques qui vont ouvrir une nouvelle vision géopolitique dans le Sahel13.

Les ressources énergétiques renouvelables pourraient constituer une ré- ponse aux problèmes des populations locales qui manquent de ressources vitales telle que l’électricité. Le Maroc a déjà commencé une politique de sé- curisation énergétique dans les villes de Oujda (nord-est) et Ouarzazad (sud) qui servent de modèle dans la région. En effet, la société marocaine qui s’oc- cupe du développement des énergies renouvelables (MASEN) veut partager son savoir-faire avec l’Afrique. Une panoplie de marchés restent à prendre au niveau continental et, dans ce sens, le Maroc pourrait présenter son ex- pertise aux investisseurs étrangers et pour le reste de l’Afrique. Le Maroc est ainsi considéré comme un véritable acteur stratégique dont les relations avec l’Europe dépassent la question de la sécurité pour devenir la porte d’entrée en Afrique14.

La nouvelle donne de l’économie mondiale se tourne vers la coopération Sud-Sud. Le Royaume a saisi cette équation et a mis de son côté toutes les variables pour s’assurer de la réussite de sa politique africaine. Concrètement, cette coopération économique se traduit par l’implantation de plusieurs en- treprises marocaines telles que Maroc Télécom, Attijariwafa Bank , le groupe minier Managem ou encore le groupe immobilier Addoha. En outre, cette coopération revêt un aspect humanitaire qui s’articule essentiellement sur des œuvres caritatives comme la construction d’hôpitaux de compagne, l’or- ganisation de compagnes de vaccination et le financement de petits projets comme c’était le cas à Dakar le 7 novembre 2016 où le roi signe un mémo- randum avec le gouvernement sénégalais pour le financement de 7000 petits paysans15.

En résumé, les pays du Sahel disposent aujourd’hui de trois avantages es- sentiels : la technologie, les ressources naturelles et non naturelles. Le Maroc pourrait reluquer la place d’un acteur stratégique dans ce domaine.

2. DIPLOMATIE SÉCURITARO-RELIGIEUSE

La montée de la menace radicale dans la région du Sahel et la propaga- tion des groupes armés qui se servent du djihad comme idéologie a ouvert toute une production scientifique sur la sécurité et la façon de répondre à la menace à partir de la vision classique réaliste qui consiste à mettre en place des programmes militaires pour affronter les diverses menaces dans la région caractérisées par une hybridité complexe, car il existe une convergence étroite entre les groupes armées idéologiques et les groupes armés liés à la dépréda- tion économique.

L’engagement de la France dans la région sahélienne a pris une dimension opérationnelle imposante avec l’opération serval en 2013 pour la restauration de l’intégrité territoriale du nord du Mali et juguler les prétentions expansion- nistes des terroristes dans la zone. En outre, les autres pays de l’Union Euro- péenne (UE) ont élaboré une mission de formation de l’Union Européenne au Mali EUTM Mali qui est une opération de l’UE décidée dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) pour améliorer les ca- pacités techniques des Forces armées maliennes (FAMA). La communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a mis en place une Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA). Cette dernière est relayée par la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA) à partir du 1er juillet 2013. D’autres pays de la région, se sont impliqués dans la médiation politique et la prévention. C’est le cas du Maroc qui s’est doté d’une nouvelle diploma- tie sécuritaro-religieuse pour faire face à cet imbroglio sécuritaire en Afrique Subsaharienne et au Sahel.

Jusqu’à récemment, le rôle du Maroc dans le champ religieux avec cer- tains pays voisins se limitait à l’encadrement purement culturel et spirituel. Le renforcement des liens religieux et spirituel ainsi que la consolidation du rite malékite dans les pays africains à dominante musulmane a abouti à l’établisse- ment de projets comme la ligue des oulémas du Maroc et du Sénégal créée en 1985. Un moyen d’établir des relations étroites par la promotion des canaux spiri- tuels et religieux entre les deux pays. Les Confréries, notamment la confrérie

Tijâniyya, ont joué un rôle incontournable dans ce processus en promouvant un Islam soufi nourri du rite malékite16. Dans cette optique, on peut dire que cette relation historique entre le Maroc et le Sénégal bâtie sur le socle reli- gieux a facilité l’introduction de Maroc en tant qu’acteur géopolitique dans la région.

Le roi Mohamed VI, est d’abord accueilli en tant que commandeur des croyants en Afrique Subsaharienne selon les perceptions nourries des liens historico-symboliques qui rapprochent le Royaume du Sud du Sahara17. Elle se manifeste par la fréquence des visites africaines effectuées par le roi Mo- hamed VI depuis son accès au trône. Cette dynamique active s’est achevée avec la réintégration du Maroc à l’union africaine le 30 Janvier 2017 que le Royaume avait quitté depuis 1984. (Tableau 1)

En outre, lors des tournées africaines, le roi Mohamed VI tient à consoli- der la dimension religieuse de ses visites à travers la mobilisation des ressour- ces symboliques comme la prière du Vendredi dans les mosquées africaines et la distribution du coran. En outre, en décembre 2017, le Maroc a annoncé à travers le ministère des Habous et des affaires islamiques qu’il consacre une enveloppe budgétaire de 108 millions d’euros pour la construction, l’entretien et la réhabilitation de mosquées dans les pays africains18.

Il faudra comprendre cette stratégie dans un cadre plus large d’un posi- tionnement de Rabat dans un contexte géopolitique fortement marqué par la crise sahélienne. L’offre du Maroc d’un Islam « modéré » et « moderne » participant à la stabilité des Etats face à un salafisme qui séduit les jeûnes de plus en plus et qui a pris de l’ampleur dans la région.

La dynamique du Roi de déployer une diplomatie religieuse dans un con- texte d’insécurité au Sahel à partir de la crise du Mali (2012) a été initiée en 2015 avec la création de l’Institut Mohamed VI pour la formation de imams prédicateurs et prédicatrices de Rabat et la Fondation Mohamed VI des Ou-

lémas africains. Les deux s’inscrivent dans une politique religieuse préventive inédite au Maroc et dans son engagement pour la stabilité et la sécurité dans le reste du continent africain.


Visites du roi Mohamed VI en Afrique (2001-2017)

(Source : Jeune Afrique n°2915/MAP)

La politique préventive du Maroc pour la stabilité du Sahel s’inscrit dans un processus de continuité qui a comencé après les attentats de Casablanca en 2003.

En effet, le Maroc a procédé à la fermeture de certaines mosquées, l’éli- mination des livres religieux dont le contenu ne s’arrime pas au contexte reli- gieux marocain, un contrôle exhaustif des discours religieux. Cette politique s’est accompagnée de mesures coercitives ; des arrestations répétitives des personnes accusées de faire de l’apologie du discours djihadiste. En outre, le royaume a mis à sa disposition des outils spécialisés dans la lutte contre la menace terroriste. Le 20 Mars 2015, le Bureau central d’investigations judi-

ciaires (BCIJ). Cet organe constitue une référence en matière de lutte contre les réseaux terroristes19. Le bureau a démantelé 21 cellules en 2015, 19 en 2016 et 9 en 201720.

La montée du radicalisme dans la région du Sahel est associée à la expan- sion du wahhabisme prônée par la prosélytisme saoudien dans la sous-région dans les années 1970. La progression du wahhabisme commence à préoccu- per les différentes sphères des Etats sahéliens, cette inquiétude soulève une nouvelle possibilité d’émancipation du Maroc en étant la seule monarchie dans la région, de servir de référence pour l’Islam dont le soufisme est l’élé- ment essentiel et que le royaume partage avec les autres pays de l’Afrique subsaharienne. Une fédération des différentes voies soufies de la région pour faire face à la montée en puissance du chiisme et du wahabbisme au Sahel. La question qui se pose aujourd’hui: le Maroc pourrait-il englober les différentes voies du soufisme de la région sahélienne?21.

Cette promotion de la sécurité religieuse par le Maroc pour la protection de l’Islam malékite s’arrime avec ses ambitions régionales pour l’exportation d’un modèle religieux qui ressemble aux réalités religieuses africaines. A tra- vers la nouvelle diplomatie religieuse du Maroc dans la région, le pays conso- lide sa position géopolitique.

3. RÉGULARISATION SANS INTÉGRATION

Le troisième volet c’est l’immigration, question sur laquelle le Maroc a travaillé dans les dernières années pour mettre en oeuvre un processus de régularisation massive des étrangers subsahariens. Au total, l’Etat marocain a régularisé près de 50000 migrants en deux étapes22. Cette politique des « pa- piers pour tous » a signifié une contribution à la diplomatie active du Maroc en Afrique Occidentale afin de réoccuper « la chaise vide » longtemps dé- laissée au sein de l’UA. La question qui se pose aujourd’hui après sa réin- tégration de l’Union Africaine, le Maroc pourrait-il faire face à la nouvelle

vague de régularisation des migrants tout en tenant en compte les politiques publiques qui concernent l’accès à la santé et à l’éducation ?.Pour l’instant, l’Etat ne propose pas de vraies réformes qui s’acheminent vers une véritable intégration des migrants. Il est donc nécessaire que les institutions publiques réfléchissent à une politique d’intégration dont les effets auront un impact sur la sphère privée (société)23. La création d’un débat entre les migrants et la société civile commence à prendre forme dans un Maroc qui passe d’un pays de transit à un pays d’accueil.

La gestion de la migration subsaharienne s’avère être une équation à plu- sieurs inconnus. En effet, les frictions des migrants avec les populations, à l’instar des rixes produites à la gare de Ouled Ziane à Casablanca en décem- bre 201724. Il est impératif de réfléchir à une véritable politique de gestion de l’immigration en tenant compte des prévisions démographiques futures au Sahel. En 2050, cette région devra abriter plus de 240 millions d’habitants25.

La natalité est un facteur très préoccupant pour les Etats du Sahel et pour l’Afrique subsaharienne ainsi que pour le Maroc qui passe d’un pays de transit à un pays d’accueil. D’où la nécessité d’accompagner ces politiques migratoires d’une éducation à la diversité et à l’acceptation de l’autre dans un pays où les jeunes marocains se disent majoritairement opposés à la migration des subsahariens selon une étude récente publiée le 21 Mars 2018 par le quotidien économique du Maroc l’Economiste26.

V. CONCLUSIONS

L’ardeur diplomatique du Maroc en Afrique occidentale et au Sahel cou- ronnée par sa réintégration à l’Union Africaine (UA) en 2017, ses liens cul- tuels avec les pays de la région, son engagement sécuritaire et son dynamisme économique sont les ingrédients de la politique émancipatoire associée aux transformations géopolitiques dans la région.

Il n’est pas superfétatoire de souligner le rôle prépondérant du triptyque religieux ; commanderie des croyants, malékisme-acharisme et soufisme dans la promotion de sa politique africaine à portée émancipatrice en s’appuyant sur ce legs symbolique.

Dans cet même angle sécuritaire, le Maroc s’est engagé dans la lutte pré- ventive et répressive contre les métastases terroristes qui ont contribué à la déstabilisation latente de la région et particulièrement de la partie sahélienne. Cette décision stratégique du royaume est parallèle à son ambition de s’affir- mer sur les scènes régionale et internationale via ses compétences en matière de renseignement. Encore une fois, cette stratégie sécuritaire a été accompag- née par un renforcement de son management religieux local.

Enfin, la non-adhésion du royaume à la CEDEAO après plusieurs années de diplomatie active suggère dans un premier temps de réfléchir à d’autres structures institutionnelles comme la Communauté des États sahélo-saha- riens (CEN-Sad) où le Maroc pourrait jouer un rôle prépondérant dans une institution en quête de repères après la mort du colonel Khadafi et surtout consolider un leadership basé sur la confiance avec l’Afrique.

Material suplementario
Referencias
Nous nous inspirons dans ce texte de la théorie de l’émancipation développée par plusieurs théoriciens l’école de Franckfort et particulièrement de Ken Both de l’école Aberystwyth qui voit que l’émancipation des individus, bien plus que la reproduction de l’appareil étatique, devrait être au cœur des études de la sécurité. Dans ce travail, nous considérons que le Maroc à travers ses trois outils diplomatiques (sécuritaro-religieux, économique, migratoire) se po- sitionne comme un « acteur émancipé » politiquement dans la région
Comment les Touaregs ont perdu le fleuve. Eclairage sur les pratiques et les représentations foncières dans le cercle de Gao (Mali), XIXe-XXe siècle
«Des usages du Soft Power et de la diplomatie religieuse du Maroc sous le règne de Mohamed VI»
Des usages du Soft Power et de la diplomatie religieuse du Ma- roc sous le règne de Mohamed VI
Le Maroc dans la géopolitique sahélienne
«Les migrantes subsahariens au Maroc Kon- rad Adenauer Stiftung e.V
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Visites du roi Mohamed VI en Afrique (2001-2017)

(Source : Jeune Afrique n°2915/MAP)
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