Estudios
Rivalité et quête de leadership au Moyen-Orient a la lumière de l’accord sur le programme nucléaire iranien
Paix et Sécurité Internationales – Journal of International Law and International Relations
Universidad de Cádiz, España
ISSN-e: 2341-0868
Périodicité: Anual
n° 5, 2017
Résumé: L’une des principales sources de tension au Moyen-Orient est la politique étrangère de l’Iran et son programme nucléaire ambigu. La signature de l’accord du 14 Juillet 2015 marque le début d’une nouvelle étape. Cependant, la méfiance d’Israël envers l’Iran, la relation de rivalité et l’hostilité entre ce dernier et l’Arabie saoudite, sont des facteurs qui entravent toute initiative visant la résolution du conflit et la stabilité de la région. Cet article porte sur les principaux défis géopo- litiques et stratégiques pour la stabilité au Moyen-Orient. Pour ce faire, un intérêt particulier est accordé au jeu de rivalité que se livrent l’Iran, Israël et l’Arabie saoudite, en procédant à l’analyse de la position des uns et des autres autour de l’accord sur le programme nucléaire iranien. L’article examine également les facteurs qui ont conduit à la conclusion de cet accord, l’état actuel du conflit et les futurs scénarios du conflit.
Mots clés: Moyen Orient , le programme nucléaire, Iran , Israël , Arabie Saoudite.
Resumen: Una de las fuentes principales de tensión en Oriente Medio es la política exterior de Irán y su ambiguo programa nuclear. La firma del acuerdo del 14 de julio de 2015 supone el inicio de una nueva etapa. Sin embargo, la desconfianza de Israel hacia Irán, la relación de rivalidad y hostilidad entre este último y Arabia Saudí, son factores que obstaculizan cualquier iniciativa que pretende la resolución del conflicto y la estabilidad de la zona. En este artículo estudiamos los gran- des desafíos geopolíticos y estratégicos para la estabilidad de Oriente Medio. Para ello, analizamos la política exterior y de defensa de Irán, su programa nuclear, la política de seguridad y defensa de Israel y su posición respecto al programa nuclear iraní. Al mismo tiempo, estudiamos la posición de Arabia Saudí y la relación de rivalidad entre este último e Irán. Finalmente examinamos los 1 Professeur (Full Professor) à la faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales de Tanger, Université Abdelmalek Essâadi, Maroc. 2 Docteur en Droit et Science Politique de l’Université Autonome de Madrid (Espagne). 71 Paix et Securité Internationales ISSN 2341-0868, Num. 5, janvier-décembre 2017, pp. 71-92 DOI: http://dx.doi.org/10.25267/Paix_secur_ int.2017.i5.03 factores que llevaron a la conclusión de este acuerdo, y el estado actual del conflicto y los posibles escenarios del futuro.
Palabras clave: Oriente Medio, programa nuclear, Irán, Israel, Arabia Saudí.
Abstract: One of the main sources of tension in the Middle East is Iran’s foreign policy and its ambiguous nuclear program. The 14th of July’s agreement marked the beginning of a new era. However, Israel’s lack of confidence towards Iran, rivalty and hostile relations between Saudi Arabia are obstructing any initiatives to resolve this conflict that is threatening the stability of the region. This paper analyzes the major geopolitical and strategic challenges facing the stability of the Middle East. For this propose, we analyze Iran’s defense and foreign policy, its nuclear program, the Israeli defense and foreign policy and its position towards Iran’s nuclear program. Furthermore, we shed light on the persistent rivalry and hostility between Iran and Saudi Arabia. Finally, we examine the factors leading into the conclusion of this agreement, the current state of conflict, and the possible future scenarios.
Keywords: Middle East , nuclear program, Iran , Israel , Saudi Arabia.
I. INTRODUCTION
Le Moyen-Orient est secoué par des dynamiques contradictoires porteu- ses d’incertitudes et d’inquiétudes. L’une des principales dynamiques est la politique étrangère de l’Iran et son programme nucléaire. Après plusieurs an- nées de négociation le groupe E3/UE+3 et l’Iran ont conclu le 14 juillet 2015 un accord sur le dossier nucléaire iranien appelé : le Plan d’action global con- joint (Joint Compréhensive Program of Action ou « JCPOA »). Le 20 juillet, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l’unanimité la Résolution 2231 qui approuve le JCPOA et appelle « à son application intégrale » (art.1).3 Concrètement, le Plan prévoit quatre actions d’envergure : (1) réduire les stocks et les capacités de l’Iran à enrichir de l’uranium, (2) bloquer la produc- tion de plutonium, (3) mettre en place un régime renforcé d’inspections et de contrôle, et (4) renforcer la coopération de l’Iran avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) concernant la dimension militaire présente et passée de son programme nucléaire. L’accord détaille également les condi- tions et les modalités de la levée des sanctions internationales à l’encontre de l’Iran. Téhéran accepte donc de limiter sur le long terme son programme
nucléaire et d’autoriser des inspections de l’AIEA en échange d’une levée progressive des sanctions internationales qui frappent le pays4.
Le 16 janvier de 2016 l’Agence International de l’Energie Atomique, en accomplissement de la résolution 2231 (2015) du Conseil de Sécurité de l’ONU, a présenté un rapport qui confirme que l’Iran respecte, en temps et en forme, les délais établis dans l’accord « Joint Comprehensive Plan of Action », ce qui signifie l’entrée en vigueur de l’accord et le début de la pleine mise en œuvre.
Cependant, des facteurs politiques et stratégiques pourront nuire à la mise en œuvre complète de l’accord, avec le risque d’un éventuel retour au point de départ. Dans ce sens, la méfiance d’Israël envers l’Iran est une évidence, et la constante rivalité et hostilité entre l’Iran et l’Arabie saoudite est chaque fois plus accrue. D’autre part, vue l’importance du programme nucléaire pour la politique étrangère et de défense de l’Iran et pour le régime des ayatollahs, Téhéran ne semble pas prête à revenir sur son choix stratégique sur le long terme.
II. LE PROGRAMME NUCLEAIRE IRANIEN: UN PILIER DE LA STRATEGIE DE SECURITÉ ET DEFENSE
La conclusion de l’accord du 14 Juillet 2015 marque une nouvelle étape dans l’histoire contemporaine de l’Iran. Après plus de deux ans de négocia- tions, flux et reflux, menaces et tensions, Téhéran a finalement accepté de renoncer aux quelques privilèges pour parvenir à un accord qui vise à garantir les dimensions pacifiques de son programme nucléaire, et par conséquent, la fin d’un conflit qui déstabilise la région depuis des années. Cependant, si nous analysons la politique étrangère de l’Iran et l’importance du program- me nucléaire pour le régime en place, nous arrivons à la conclusion qu’il est inconcevable que Téhéran renonce aussi facilement aux progrès scientifiques et technologiques atteints. D’autre part, il paraît difficile que Téhéran renon- ce à la stratégie de sécurité et de défense qui lui assure survie, légitimité, prestige, indépendance et leadership régional. Toujours est-il que les facteurs explicatifs de l’engagement iranien en faveur de la conclusion de l’accord se
trouvent dans la nouvelle vision stratégique de l’Iran et dans la convergence des intérêts des principaux acteurs dans ce conflit.
1. MOTIVATIONS ET CONTEXTE GEOPOLITIQUE
En premier lieu, le programme nucléaire iranien n’est pas le résultat du régime des ayatollahs instauré après la Révolution de 1979. Il remonte à 1957 lorsque le Shah Reza Pahlavi a établi un ambitieux programme nucléaire civil dans le cadre de l’Atome pour la Paix, lancé par le président américain Dwi- ght David Eisenhower pour faire face à l’expansion soviétique5. Pour le Shah, l’acquisition d’une capacité nucléaire est un rêve qui permettrait à l’Iran de devenir une «grande civilisation».
Après le succès de la Révolution Islamique, le nouveau leader révolution- naire Ayatollah Khomeini a procédé à l’annulation des contrats internatio- naux et à l’abandon du programme nucléaire. Le nouveau régime en place considérait cette science comme anti-islamique et occidentale. Ce n’est qu’à la suite de la guerre contre l’Irak que l’Iran a repris ce programme sur décision du gouvernement du président Rafsanjani.
Le développement du programme nucléaire était à son début une ques- tion de survie du régime, de dissuasion face aux « ennemies », d’affirmation de l’identité nationale, avant de devenir également un enjeu de politique inté- rieure, d’égalité de traitement avec l’Occident, et surtout une quête de leader- ship régional. Principalement, l’Iran post guerre Irano-irakienne s’est donné comme objectif stratégique de façonner les règles du jeu dans la région au service de son leadership régional, en profitant de sa position stratégique, in- fluence religieuse, capacité de pénétration politique, ressources énergétiques, et ces missiles balistiques.6 Ces aspirations ne sont pas limitées aux élites po-
litiques, mais s’étendent à la société entière, profondément nationaliste, qui se sent héritière de la splendeur des civilisations des siècles passés.
Le desideratum de leadership régional a été alimenté par de nombreux fac- teurs : d’abord, la position géographique stratégique de l’Iran dans la riche zone pétrolière du Golfe Persique, et le bassin de la mer Caspienne pourrait permettre à l’Iran avec sa « capacité de dissuasion nucléaire virtuelle » de ren- forcer encore sa position dans le secteur de l’énergie aux niveaux régional et international.
En outre, l’intervention de la coalition internationale en 1990 pour l’ex- pulsion des troupes d’occupation irakiennes du Koweït a provoqué le désé- quilibre de pouvoir dans la région en faveur du Téhéran. En outre, la division entre les Etats arabes dans ce conflit a favorisé la montée en puissance de l’Iran dans la région. Dans le même sens, l’embargo international imposé à l’Irak au cours de la seconde moitié des années quatre vingt dix a conduit à une expansion économique de l’Iran. Plus tard, l’intervention américaine en Irak en 2003 a déséquilibré encore plus la balance à faveur de l’Iran. Téhéran a vu disparaitre deux de ses ennemis traditionnels: le régime de Saddam Hus- sein, et les talibans en Afghanistan, alliés de l’Arabie saoudite. Cette nouvelle donne géopolitique a favorisé l’émergence des acteurs chiites en Irak. En ajouter également que la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis a augmenté la valeur géostratégique de l’Iran au Moyen-Orient.
D’autre part, le régime iranien est conscient qu’avant de chercher le lea- dership régional, il faut d’abord assurer la survie du système. Cela dépend principalement du jeu des pays, qualifiés de grandes menaces ; Israël et les Etats-Unis d’une part, et les voisins arabes de majorité sunnite, avec l’Arabie saoudite en tête, d’autre part. L’Iran se sent entouré d’ennemis qui cherche- raient le renversement de son régime. En cas de déclenchement d’une guerre, les bases militaires des États-Unis dans la région pourront servir de plate-for- me7. En d’autres termes, Téhéran est conscient que les États-Unis considèrent qu’un Iran doté de capacités nucléaires militaires pourrait impacter leur statut
de régulateur stratégique dans la région. En ce sens, l’intervention américaine en Irak et en Afghanistan a joué un rôle important pour convaincre l’Iran de la nécessité de développer un programme nucléaire comme stratégie de dis- suasion contre une possible attaque étrangère.
Il faut signaler aussi que l’expérience de la guerre contre l’Irak a laissé un résultat amer, et a révélé la faiblesse des forces de défense iranienne contre un ennemi, partageant certes la même religion, qui n’a pas hésité à perpétrer des attaques avec des armes chimiques. Face à cet état de fait, l’élite politique et l’opinion publique iranienne semblent être convaincues de l’utilité de la possession d’armes nucléaires, ou au moins la démonstration de la capacité de fabrication, pour la sécurité et le prestige du pays. Cette perception partagée de l’intérêt nationale fait du programme nucléaire un facteur d’union.
Etant un pays perse et de population majoritairement chiite, l’Iran est un pays unique, relativement solitaire, et se perçoit menacé par les pays arabes et leur idéologie religieuse sunnite. Dans cette ordre d’idée, l’idéologie de Khomeiny est venue renforcer les ambitions nationalistes et de leadership iraniens, à travers l’exportation de son model révolutionnaire et chiite au reste du monde musulman, qui souffre de constantes instabilités politique et idéo- logique8. L’objectif est alors la pénétration idéologique dans ces pays devant offrir à l’Iran plus de capacité d’influence, et par voie de conséquence, plus d’intervention dans leurs affaires intérieures.
En fait, au cours des dernières années, la pensée chiite s’est étendue à plusieurs pays arabes. D’autre part, l’Iran est devenu un acteur majeur dans les conflits internes de la région. Cette situation a augmenté la tension et l’an- tagonisme entre les pays arabes et l’Iran, en particulier avec l’Arabie saoudite qui tente de se projeter comme le défenseur de l’Islam sunnite et la seule en mesure de façonner le leadership régional.
La rivalité entre sunnisme et chiisme remonte à plusieurs siècles, il s’agit de profondes divisions historiques qui alimentent la méfiance mutuelle sans sombrer pour autant dans une conflictualité chronique. C’est une bataille au sein de l’islam entre ses deux grands courants religieux. Une rivalité d’origine politique avant que la dimension religieuse ne prenne place dans l’argumen- taire des deux parties. Par la suite, les intérêts politiques font que les deux
courants s’éloignent progressivement, et le désaccord idéologique et politique devient antagonique9.
De son côté, le régime des ayatollahs dans le but de gagner en légitimité et d’assurer la survie et le leadership régional, se présente comme le défenseur de causes arabes et musulmanes. Pour ce faire, Téhéran ne cesse de montrer son inquiétude et son opposition à l’existence d’Israël sur les territoires pa- lestiniens. Il déclare constamment son rejet de la normalisation des relations entre Tel-Aviv et les pays arabes.
Un autre facteur important qu’il faut prendre en considération lors de l’analyse des motivations qui peuvent conduire l’Iran à développer son pro- gramme nucléaire ; c’est l’absence d’une intervention militaire étrangère con- tre les Etats qui ont développé des armes nucléaires. Nous nous référons ici à l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord. Cette réalité a accrédité l’idée qu’en cas de divulgation de l’existence d’un éventuel programme nucléaire militaire, l’Iran n’aurais pas à subir une intervention militaire extérieure. En même temps, cela pourrait convaincre l’Iran que la seule possession d’armes atomiques peut lui éviter de subir le même destin que celui de son voisin irakien.
En somme, la survie du système et celui du leadership régional est au cœur de la stratégie iranienne. Elle se traduit par la volonté de se doter d’une force de dissuasion nucléaire -pour l’instant virtuelle- pour faire face à tou- te attaque ou menace qui viendraient de l’extérieur. En même temps, l’Iran cherche à assurer la liberté d’action en politique étrangère pour se positionner comme un leader régional.
2. L’IMPORTANCE DU PROGRAMME NUCLEAIR POUR LE REGIME IRANIEN
L’arrivée du «réformiste» Hassan Rohani au pouvoir a ouvert une nou- velle période dans la politique étrangère de l’Iran. Ses promesses, durant la campagne électorale, ont laissé entendre la survenue d’une nouvelle étape. Le programme nucléaire était l’une des priorités qu’Hassan Rohani a promis de réaliser à travers la conclusion d’un accord avec la communauté interna- tionale. Une fois arrivé au pouvoir, le nouveau président a tenu sa promesse. Cependant, cette décision n’émane pas de la conviction personnelle du nou-
veau président. Si on analyse le système politique et le processus de prise de décision en Iran on observera que la décision dans cette affaire ne relève pas uniquement du président du gouvernement, dès lors qu’elle implique un cer- tain nombre d’acteurs. Du coup, une décision de cette envergure ne peut être encouragée par un simple changement de gouvernement.
En premier lieu, le système politique iranien est complexe et polycen- tré. Il est vrai que l’Iran a un président de la république et un parlement élu au suffrage universel. Toutefois, ils coexistent avec d’autres institutions qui sont au-dessus. D’abords le Guide suprême, ensuite le Conseil des Gardiens de la Révolution (Les Pasdaran) ; les institutions emblématiques et les plus puissants dans cette hiérarchie. Ensuite ; le Conseil Suprême de la Sécurité Nationale, chargé de négocier et de décider les politiques de sécurité natio- nale et de la défense comme le développement du programme nucléaire et le développement de la doctrine militaire de l’Iran est. Ce corps est composé de représentants des différentes institutions10, ainsi que de deux représentants du Guide suprême. Ce dernier est le responsable de la nomination du secré- taire du Conseil qui, à son tour, assume la position de chef de l’équipe de négociation du programme nucléaire.
Pour autant, les décisions sur ces questions relèvent directement du Guide suprême, et d’une manière indirecte de l’influence qu’exercent les Gardiens de la Révolution, et dans une moindre mesure les deux fractions politiques, conservateurs et réformistes, et en dernier lieu, les scientifiques. Cela signifie que les politiques établies par les gouvernements en place incarnent la vo- lonté de ces puissants appareils. Pour le président du gouvernement, le défi réside dans le pouvoir de concilier les intérêts de ces appareils avec sa vision et la politique qu’il veut établir.
Le problème actuel c’est que vue l’importance du programme nucléaire pour le régime des ayatollahs, il est difficile d’imaginer que le Guide suprême et les Gardiens de la Révolution acceptent facilement de renoncer à un pro- jet qui devrait leur garantit la survie, l’indépendance, et surtout la légitimité.
On peut argumenter cette hypothèse par le fait qu’aucune faction politique iranienne ne remet en cause le droit légitime de l’Iran à développer son pro- gramme nucléaire. L’idée de développer la technologie nucléaire est partagée par toutes les élites iraniennes avant même la révolution de 1979.
Cela étant, on peut expliquer la nouvelle politique d’ouverture qui vient d’établir Rohani par la volonté du régime iranien de sortir de la récession éco- nomique qui frappe le pays, affectant négativement le régime des ayatollahs et l’image du Guide suprême. En fait, les critiques formulées par Hassan Rohani durant la campagne électorale au gouvernement d’Ahmadinejad étaient au- tour de deux points essentiels; la viabilité de l’«économie de la résistance» qui a conduit le pays a l’abîme, et l’incapacité de ce dernier à arriver à conclure un accord sur le programme nucléaire pour la levée de sanctions internationales.
Convient-il de signaler dans ce sens qu’au cours de l’exercice économique de 2012/2013, les exportations de gaz et de pétrole ont chuté d’environ 50% affectant directement l’ensemble des exportations globales. En 2014, l’extrac- tion du pétrole est passée à un minimum de 2 millions et demi de barils par jour, et en 2015 celui-ci est tombé à 2 millions de barils par jour. Les sanc- tions internationales ont donc eu un impact négatif sur les taux d’inflation et de chômage, accélérant, par ricochet, la détérioration du niveau de vie de la population.11
Pour faire face à cette situation, il semble que le Guide suprême a accepté la nouvelle stratégie proposée par les « réformistes » qui optent par la con- clusion de l’accord sur le programme nucléaire. Pour y parvenir, il a mis en avant Hassan Rohani, un des responsables les plus proches des décideurs du régime et ancien chef du comité de négociation sur le programme nucléaire. L’objectif principal est de sauver le pays de la crise économique tout en ren- forçant la légitimité du régime.
III. ISRAËL CONTRE LE PROGRAMME NUCLEAIRE IRANIEN
La position d’Israël dans le conflit sur le programme nucléaire iranien est centrale. Dès le début du conflit autour du programme nucléaire iranien, Tel Aviv ne ménageait aucun effort pour alimenter l’hostilité de la communauté internationale envers le programme nucléaire iranien.
En fait, juste après la conclusion de l’accord, le 14 juillet 2015, le président israélien Benyamin Netanyahou déclare que « L’accord sur le programme nu- cléaire iranien est une erreur grave aux conséquences d’ampleur historique ». Bien qu’Israël bénéficie de nombreuses garanties sécuritaires des Etats Unies, elle continue à entretenir la même position qu’auparavant.12
En même temps Netanyahou a demandé aux Etats-Unis des compensa- tions supplémentaires, notamment la conclusion d’un contrat militaire avan- tageux, le renforcement de la coopération sécuritaire entre le Mossad et la CIA et la possibilité de bénéficier du « parapluie américain » considérant toute attaque iranienne contre Israël serait comme une attaque contre les États- Unis13.
La position Israélienne trouve son sens dans la doctrine stratégique qui perçoit les Etats arabo-musulmans comme une menace tangible contre sa survie. Tel Aviv estime que si ces pays obtiennent des armes de destruction massive, ils vont les utiliser non seulement à des fins dissuasives, mais surtout pour des raisons. En outre, Tel Aviv estime que si Téhéran arrive à acquérir les armes nucléaires il peut décider de les transférer au Hezbollah libanais ou au Hamas palestinien, ce qui représenterait une menace majeure pour sa sécu- rité. Pour ces raisons, Israël n’accepterai jamais l’émergence d’une puissance nucléaire dans la région.
D’autre part, pour Israël, l’Iran avec ses armes nucléaires constitue une menace pour le projet sioniste qui incite la population juive à s’installer en Israël. Les menaces iraniennes peuvent provoquer un sentiment d’insécurité, et par ricochet, conduire à un ralentissement de l’émigration vers Israël. En bref, pour Tel Aviv la menace iranienne est existentielle.
Cette menace provoque un débat entre les experts israéliens. Certains spécialistes comme Samy Cohen14, considèrent que l’objectif principal du programme nucléaire iranien est d’étendre son influence dans le monde isla- mique et non seulement la destruction d’Israël. Cet auteur estime que vu les rapports de forces entre l’Iran et Israël, il est risqué pour Téhéran d’entrer
dans une guerre pour un défi si déséquilibré. Il soutient ensuite que le soutien de l’Iran aux palestiniens est superficiel, et que son programme nucléaire ex- cite le nationalisme nécessaire pour la consolidation du régime d’ayatollahs. Cohen considère également que les attaques verbales des dirigeants iraniens contiennent une partie de «sincérité». L’objectif principal est d’attirer le sou- tient des pays arabes, en assurant que l’arme nucléaire n’est pas destinée con- tre eux, mais plutôt contre Israël.
Pour sa part, Shahram Chubin15 considère que certains responsables du régime iranien16 estiment que la survie du régime est entretenue par la crise et la confrontation plutôt que par la modération et la normalisation. Par ri- cochet, le Corps des Gardiens de la révolution islamique pourrait avoir une conception différente de l’utilisation des armes nucléaires de celle officielle- ment en vigueur.
Cependant, malgré les analyses rassurantes des experts israéliens, les res- ponsables préfèrent opter par une politique préventive qui prend en compte tous les scénarios possibles. Il s’agit d’une constante stratégique, dont les con- tours ont été établis par l’ex-premier ministre et fondateur de l’Etat hébreu David Ben Gourion. Celui-ci précisait qu’Israël devrait construire une force de frappe disproportionnée, basée sur les armes conventionnelles et non con- ventionnelles comme condition sine qua non pour la survie du pays. De son côté, l’autre ancien premier ministre Menhamen Begin a adopté la stratégie des attaques préventives conventionnelles contre les installations d’armes de destruction massive, les meurtres ciblés d’ingénieurs, de scientifiques et de diplomates. L’idée est d’empêcher tout développement de tout programme d’armes de destruction massive dans la région17.
En parallèle Israël démontre constamment ses capacités militaires tout en indiquant leur détermination à les utiliser. Dans une approche clauswitziane (du stratège Cal Von Clausetwitz), les dirigeants israéliens considèrent que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Ils estiment que la dissuasion conventionnelle est insuffisante, en dépit de la supériorité mili-
taire israélien, et l’alliance avec les États-Unis. Pour les dirigeants israéliens la véritable dissuasion s’obtient à travers la capacité nucléaire.
Il convient de souligner qu’Israël n’a jamais réalisé un essai nucléaire pour la démonstration de sa capacité, mais en même temps, il n’a jamais nié la pré- sence d’un arsenal nucléaire18. Conscients du fait que toute stratégie peut être contrecarrée, les gouvernements israéliens sont toujours imprévisibles, ils in- cluent dans leurs stratégies miliaires le caractère d’irrationalité. C’est pour ces raisons qu’Israël n’a jamais défini clairement ses intérêts vitaux. Il s’agit alors d’une stratégie nucléaire volontairement ambigüe qui a permis à Tel Aviv de construire une véritable stratégie de dissuasion contre les voisins arabes, et d’éviter par la suite la possibilité d’entrer dans une guerre totale19. D’autre part, l’ambigüité de cette stratégie sert d’excuse pour éviter les sanctions in- ternationales, ainsi que la prolifération nucléaire au Moyen Orient20.
Israël justifie cette stratégie par le fait qu’il ne faut pas compter sur les alliés occidentaux, il estime que ses alliés ne partagent pas toujours la même vision et les mêmes intérêts. Dés lors, si les alliés occidentaux n’accomplissent pas leurs devoir, « l’arme absolue » permettrait de combler leur désistements. Les constantes déclarations iraniennes, accompagnés par le développe- ment de ses capacités de missiles et le programme nucléaire font qu’Israël se sent de plus en plus menacé. Cet état de fait, fait que Tel Aviv ne fait confiance à aucun changement de gouvernement ou de position iranienne. L’arrivée du président Hassan Rohani au pouvoir n’a fait que renforcer la méfiance de Tel- Aviv. Bien que depuis l’arrivée du nouveau président au pouvoir, les tensions rhétoriques entre les deux pays se sont assouplies, les autorités israéliennes refusent d’accepter la montée en puissance de l’Iran et le renforcement de sa position en tant que médiateur et partenaire indispensable au Moyen-Orient.
IV. L’ARABIE SAOUDITE RIVALE GÉOPOLITIQUE DU REGIME IRANIEN
L’Arabie saoudite est le grand adversaire du régime des ayatollahs et de sa politique étrangère. Bien que l’inimitié entre l’Arabie saoudite et l’Iran a oscillé entre des périodes d’hostilité et de rapprochement possible. Au cours de la dernière décennie, les relations entre ces deux pays ont été brouillées.
Riyad a émis une première réaction diplomatique en faveur de l’accord pour empêcher Téhéran d’acquérir des armes nucléaires, en insistant, tou- tefois, sur la nécessité d’établir un strict régime d’inspection, y compris la capacité de répondre avec des sévères sanctions à toutes les éventuelles viola- tions. Riyad était le pays arabe le plus réticent sur les négociations entre l’Iran et le groupe de 5+1 : la conclusion de l’accord signifie le retour en grâce de l’ennemi perse.
La rivalité entre Riyad et Téhéran a pour enjeux le leadership régional et, accessoirement, le contrôle du prix du pétrole. En même temps, la relation d’hostilité entre les deux pays est une question de survie de leurs régimes in- timement liés au facteur religieux. L’avènement de République islamique est perçu par les saoudiens comme un défi à leur statut de garant de l’islam et de protecteurs des deux lieux sacrés de l’islam. En effet, dès les années 1980, les deux pays se sont embarqués dans un processus rhétorique destiné à accroî- tre leur propre légitimité islamique et à amoindrir celle de l’autre.
Le système politique saoudien est basé sur la pensée religieuse wahha- bite et le patrimoine Hanbalite islamique sunnite. Ce fondement religieux / idéologique est un instrument qui permet à la famille Al Saoud d’assurer son pouvoir et d’exercer un strict contrôle sur le peuple. La relation entre le cou- rant wahhabite sunnite et la survie de la famille Al Saoud au pouvoir est très étroite, il remonte à plusieurs siècles lorsque le réformateur religieux Muham- mad ibn Abd al-Wahhab (1703 à 1792) a décidé de se déplacer vers la ville de Diriyah et de former une alliance avec le dirigeant saoudien pour conquérir le reste de l’Arabie et promulguer le courant wahhabites.
Selon Ibn Abd Al Wahhab, le salafisme21 est la pratique correcte de l’is- lam. L’idée était alors de justifier la conquête de l’Arabie pour restaurer la pureté de l’Islam. C’était sous cette base idéologique que les Al Saoud ont
commencé à conquérir la péninsule arabique, en fondant ainsi le premier Etat de l’Émirat de Diriyah avant d’établir l’Etat saoudien moderne en 1932.
Il donc claire que l’Etat saoudien est basé sur une alliance structurante entre l’establishment religieux wahhabite, qui procure une légitimité au régime, et les Al Saoud qui adoptent sans équivoque ce courant, y compris le principe de l’anti-chiisme.
La dynamique enclenchée « le printemps arabe » a intensifié la rivalité en- tre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Les deux pays ont démontré qu’ils ne peuvent pas résister devant l’opportunité de se renforcer eux-mêmes et d’affaiblir l’au- tre. Ainsi, l’Iran a procédé a appuyer les factions chiites au Yémen, en Syrie et en Irak, provoquant une réaction forte de l’Arabie Saoudite et ses alliés. En effet, Riyad a établi une politique plus agressive contre les intérêts de l’Iran, a travers la formation d’un front commun, composé par les monarchies sunni- tes du Conseil de Coopération du Golfe. L’objectif est de limiter l’influence des chiites dans les pays sunnites. Dans ce sens, immédiatement après les protestations du 14 février au Bahreïn, les forces militaires du Conseil de coopération du Golfe, dirigées par l’Arabie saoudite, sont entrées au Bahreïn et ont contribué à consolider le régime des Al Khalifa. En parallèle, l’Arabie saoudite coopère avec le Qatar et la Turquie pour soutenir l’opposition en Syrie contre le président pro-Iran Bachar al-Assad. En ce sens, Riyad s’engage à payer les salaires des rebelles de l’Armée syrienne libre. En même temps, l’Arabie saoudite joue le rôle de médiateur pour la livraison de l’armement américain à d’autres groupes rebelles. Riyad dirige aussi une autre action mili- taire contre les Houthis (chiites) au Yémen, suite à une demande d’assistance écrite par le président yéménite Mansur Hadi adressée aux six membres du Conseil de Coopération du Golfe22. Le régime saoudien finance aussi plusieu- rs mouvements djihadiste dans plusieurs zones de la région, qui en dépit de la difficulté de leur contrôle servent les intérêts de Riyad, en faisant face aux intérêts de l’Iran23.
L’autre terrain de dispute entre l’Arabie saoudite et l’Iran est le pétrole. Riyad fait tout pour que le retour de l’Iran sur le marché se passe le plus mal
possible après la conclusion de l‘accord de juillet 2014 sur le programme nu- cléaire iranien. Il convient de signaler dans ce sens que l’accord a ouvert la voie à une levée rapide de l’embargo pétrolier décrété en 2012 contre l’Iran. Riyad a baissé le prix du pétrole pour affaiblir l’Iran, lourdement tributaire des hydrocarbures pour financer son budget. Elle vend avec des rabais son brut aux clients habituels des iraniens, comme la Chine et l’Inde. En même temps Riyad continue à produire massivement24. Bien que les représentants saoudiens ont indiqué qu’il est possible de maintenir la baisse du prix du pétrole pendant une longue période, cela aura des effets pervers sur le plan économique.
En outre, le changement de la position des Etats-Unis opéré par l’ex-pré- sident Barak Obama après la signature de l’accord sur le nucléaire iranien a augmenté les inquiétudes de l’Arabie saoudite. L’accord du 14 juillet 2015 vient renforcer le scenario que craignait Ryad ; le rapprochement américa- no-iranien. La politique établi par Obama a laissé entendre que l’Arabie saou- dite n’est plus l’allié unique des Etats- Unis. L’influence exercée par Téhéran, son poids dans les conflits régionaux et la pression exercée par la Russie ont convaincu l’ex-président américain de la nécessité de se rapprocher du régime iranien pour l’associer progressivement au dialogue sur de la nouvelle réalité au Moyen-Orient.
L’Arabie saoudite craint la perte du parapluie stratégique américain, ce qui mènerait au déséquilibre des puissances à la faveur de l’Iran. En ce sens, le déblocage des avoirs iraniens dans les banques internationales permettrait à Téhéran de se lancer dans l’achat d’armes conventionnelles. En effet, l’ac- cord conclu sur le programme nucléaire iranien contient des dispositions qui ouvrent la possibilité de lever des sanctions sur l’exportation des armes con- ventionnelles et des missiles balistiques avant la date limite.
Toujours est-il que l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine boulverse la donne dans la région. Les décisions et le discours de la nouve- lle politique extérieure américaine semblent pencher la balance en faveur de Ryad et de ses aspirations. Dès le début, le président américain a estimé que l’accord signé avec l’Iran est « l’un des pires accords internationaux négociés
à ce jour, il sert mal les intérêts américains »25. Pour palier aux lacunes de cet accord, il offre à l’Arabie saoudite et a Israël des nouvelles garanties sécuri- taires. Ainsi, la première visite de Trump à Ryad a mis en forme une vision stratégique conjointe éclairant le nouvel cadre des relations bilatérales. Le porte-parole de la Maison-Blanche, a évoqué des contrats militaires d’une valeur de près de 110 milliards $, présentés comme «l’accord d’armements le plus important de l’histoire des États-Unis». L’accord aurait pour but de «sou- tenir la sécurité à long terme de l’Arabie Saoudite et de l’ensemble du Golfe face à la mauvaise influence iranienne et aux menaces liées à l’Iran qui existent aux frontières de l’Arabie Saoudite», a déclaré le responsable américain26.<<
V. UN ACCORD POLITIQUE AUX PERSPECTIVES INCERTAINES
1. LE JEUX DES ACTEURS DANS LA CONCLUSION DE L’ACCORD
Sans aucun doute, la conclusion de l’accord du 14 juillet 2015 est un grand succès pour le Moyen Orient et pour la communauté internationale. Il incar- ne un changement paradigmatique majeur dans la région, qui a mis fin à plus de 36 ans de Guerre froide et d’hostilité viscérale entre l’Iran et les Etats Unis. L’aboutissement à l‘accord sur le programme nucléaire iranien est le fruit d’un compromis mettant en correspondance les intérêts des puissances en jeu et les contraintes de l’équilibre régional.
D’abord, le consensus n’aurait pu être atteint sans un facteur extérieur à la négocia- tion, à savoir la détente dans les relations entre les Etats-Unis et l’Iran après 36 ans de guerre froide. En effet, face à l’escalade des conflits au Moyen-Orient et le rôle accru joué par l’Iran dans la région, les Etats-Unis ont saisi l’occasion de l’avènement du nouveau président « réformateur », Hassan Rouhani, pour engager un dialogue positif. Il semble que Washington ait finalement admis que l’Iran est non seulement une puissance régionale, mais également un ac- teur qui pourrait jouer un rôle de stabilisateur. Depuis le début du conflit sur
le programme nucléaire iranien, les Etats Unis ont constamment montré leur intention d’opter pour la voie militaire. Mais en raison de considérations stra- tégiques et tactiques, Washington a écarté cette option. Opter pour la guerre contre l’Iran est une décision difficile tant sur le plan multilatéral (au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies), ou nationale (position de l’opinion publique). Washington s’est également rendue compte que l’Iran n’est pas l’Irak, ni en termes de densité ni en termes de capacités de représailles. L’Iran a une superficie quatre fois plus grande que l’Irak (1 648 000 km2), une po- pulation de près de 80 millions, et une forte mobilisation militaire incompa- rable. En outre, la capacité de frappe de l’Iran dépasse de loin celle de l’Irak de Saddam Hussein. Les missiles stratégiques que possède Téhéran peuvent atteindre une portée de 2000 kilomètres, assez suffisant pour attaquer sans problème non seulement Israël, mais tous les alliés régionaux qui seraient impliqués dans une éventuelle opération, ainsi que toutes les bases militaires terrestres et les unités navales des États-Unis dans la région. En plus, sur le plan tactique, l’invasion de l’Iran requérait des centaines de milliers de soldats. Il est difficile d’imaginer que l’armée américaine prenne le risque encore une fois pour entamer une opération terrestre conventionnelle de cette ampleur, surtout après les mauvaises expériences en Irak et en Afghanistan.
Par ailleurs, le succès des négociations peut être mis au crédit du président Obama, soucieux d’obtenir l’appui de l’Iran pour stabiliser le Moyen-Orient, afin d’opérer son pivot sur l’Asie-Pacifique. Obama cherchait à conclure son mandat avec un succès sur le plan international. Après le retrait d’Afghanis- tan et de l’Irak, et son impuissance dans le conflit israélo-palestinien, Obama infléchis la stratégie américaine au profit d’une ouverture sur Cuba, la Bir- manie et l’Iran. Ainsi, pour le président américain la conclusion de l’accord avec l’Iran, -malgré ses lacunes -, est un succès politique. Au fond, Obama espérait un scénario où l’Iran révolutionnaire deviendrait progressivement, de par son ouverture économique, une puissance plus raisonnée, qui l’aiderait à se retirer d’Afghanistan, à affronter Daech, et à résoudre les crises irakienne et syrienne27.
En suite, la conclusion de l’accord sur le programme nucléaire iranien est due sans dou- te au rôle joué par la Russie. La diplomatie russe a réussi à imposer ses règles du
jeu dans la région, en parvenant à conclure un accord qui favorise sa position, et celle de son allié, l’Iran. Il convient de signaler dans ce sens que la Russie entretient des relations étroites d’échange militaire, commercial et technolo- gique avec l’Iran, En outre, elle est son principal fournisseur de technologie nucléaire, et un partenaire dans l’entretient des centrales nucléaires iranien. Ce qui explique l’engagement de Moscow pour un accord garantissant à l’Iran le développement de l’énergie nucléaire civile, la levée des sanctions internatio- nales qui gênent le développement de ce programme nucléaire. Dans sa quête de se repositionner comme une puissance internationale, Moscou ne veut pas perdre son influence dans une zone stratégique, ni non plus le rôle d’un allié historique et important. En outre, les attaques terroristes du 13 novembre 2015 à Paris ont convaincu les rivaux européens, ainsi qu’aux États-Unis de la nécessité de coopérer avec la Russie pour lutter contre le terrorisme in- ternational. Cette réalité a renforcé la position de Moscou comme un acteur incontournable au Moyen-Orient.
Puis, il ne faut pas omettre le rôle que la Chine a joué dans ce conflit. Pékin a mon- tré de son côté un soutien inconditionnel à l’Iran, en s’opposant au sein du Conseil de sécurité à toute initiative militaire, tout en favorisant le processus de négociation pour assurer le maintien du programme nucléaire civil, et la levée des sanctions internationales. Faut-il souligner que Téhéran est un élé- ment clef de la nouvelle stratégie globale de la « Route de la soie », qui vise à étendre la zone d’influence économique de la Chine vers l’Ouest. I‘Iran est le deuxième fournisseur de pétrole à la Chine (couvre entre 15% et 20% de ses besoins). Au cours des prochaines années, la Chine, avec de croissant besoins en énergie, va continuer à renforcer les liens avec l’Iran. De plus, la Chine est le premier investisseur en Iran, son partenaire commercial, industriel et infrastructurel. Aussi la levée de sanctions internationales contre l’Iran con- tribuerait-elle au renforcement de la présence chinoise dans ce pays.
Enfin, l’Iran qualifie cet accord de succès diplomatique, dès lors qu’il met fin à son isolement économique et politique, en créant les conditions de son émergence économique et en renforçant son leadership dans la région. L’aboutissement de l’accord doit être aussi mis au crédit du président iranien Hassan Rohani, qui a réussi à établir un accord qui pourrait assurer la légitimité et la survie du régime. En échange de garanties pour son programme nucléaire et la levée des sanctions internatio- nales, l’Iran a fait énormément de concessions: diminution à 66 % du nombre
de centrifugeuses ; réduction des réserves d’uranium enrichi de 10 000 kg à 300 kg ; stabilisation du degré d’enrichissement à 3,67 %. Cependant, l’accord demeure discret sur un certain nombre de questions de fonds : 1) l’Iran n’est pas obligée de fermer ses installations nucléaires avancées ; 2) il est libre de ne pas ratifier le protocole additionnel sur les garanties permettant aux ins- pecteurs de l’AIEA l’accès aux installations militaires : 3) les visites des ins- pecteurs de l’AIEA aux installations doivent être préalablement sollicitées :
4) le droit de refuser les inspections, considérées comme une menace contre la sécurité nationale : 5) le droit de produire tout le combustible nucléaire pour les quinze ans à venir, ainsi que le droit de réaliser des recherches sur les centrifugeuses avancées pour les huit ans à venir. Ce qui signifie que Téhéran aura la capacité de fabriquer des armes nucléaires quand il veut ; 6) l’accord ne prévoit pas de mesures ou de garanties de sécurité pour les acteurs de la région. La non-participation d’Israël et de l’Arabie saoudite dans ces négocia- tions laisse entrevoir une issue incertaine, ou du moins chargée d’incertitudes, à la dynamique post-accord.
2. ETAT ACTUEL ET SCENARIOS FUTURS
Plus de deux ans après la signature de l’accord sur son programme nu- cléaire, la République islamique d’Iran souffre encore de la crise économique. Jusqu’à présent l’impact de l’accord sur l’économie de pays est mince. L’Iran a certes pu augmenter ses exportations de pétrole et bénéficie de quelques investissements étrangers, mais les gros contrats, attendent toujours. Téhé- ran souffre du dysfonctionnement du système économique : une croissance économique négative ; un taux d’inflation élevé, une formation de capital minime ; la monopolisation de pans entiers de l’économie par les Gardiens de la Révolution Islamique ; l’augmentation inquiétante des liquidités ; le dys- fonctionnement du système bancaire ; la vétusté de l’industrie pétrolière ; la crise des subventions. Trois scenarios se profilent à l’horizon :
• Crise politique interne et durcissement de la position iranienne
Cette crise économique est accompagnée de tensions permanentes au sein du régime. Le Guide suprême et les conservateurs sont toujours méfiants de cet engagement. Quant aux Gardiens de la Révolution, ils le considèrent comme une défaite diplomatique et une trahison du président Rohani. Le débat entre, d’une part, le Guide, les Gardiens de la Révolution, et, d’autre
part, les «réformateurs» porte sur la politique «d’ouverture» et la forme d’in- tégration dans le marché mondial. Le Guide suprême privilégie «l’économie de résistance», en critiquant le manque de résultats «tangibles» de l’accord et en s’attaquant régulièrement à «l’ennemi américain».
Les Gardiens de la Révolution et le Guide suprême ont beaucoup perdu après cet accord. L’ouverture au marché mondiale implique l’intégration des banques iraniens au système financier international, et cela supposerait des reformes fiscaux profondes qui menaceraient les intérêts économiques de ces deux institutions. Par conséquent, il n’est pas exclut que ce lobby fasse pres- sion pour un infléchissement au profit d’une application sélective de l’accord, comme cela a été fait auparavant avec le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Pour l’Iran l’important était la levée des sanctions inter- nationales. De même qu’une bonne partie de l’establishment ne semble pas prête à sacrifier les acquis technologiques politiques, stratégiques et financiers du programme nucléaire.
Bref, cette réalité laisse entendre que l’Iran pourrait à tout moment, de- vant l’échec de cette nouvelle politique et face aux pressions internes, ou le retour des conservateurs au pouvoir, de travailler clandestinement pour relan- cer le développement de son programme nucléaire.
• Une logique de détente édifiant la confiance
Dans une logique de détente, l’Iran décide d’adopter un profile coopératif et non-interventionniste dans la région. Elle favoriserait l’établissement de bonnes relations avec ses voisins et enclencherait, par voie de conséquence, une dynamique positive soutenue par la communauté internationale. Tou- tefois, même si l’Iran le voulait, et il est possible qu’il s’y affère, ce scenario dépend surtout des dispositions des pays concernés ; la Russie, les pays du Golf, notamment l’Arabie saoudite, les Etats-Unis, les pays européens et Is- raël. En attendant, force est constater que depuis la conclusion de l’accord, l’Iran a accru son implication dans les conflits de la région. Il a intensifié sa rivalité avec l’Arabie saoudite, en refusant des changer ses positions sur les dossiers de Yémen, Irak, et surtout en Syrie.
• Conflit ouvert entre l’Arabie saoudite et l’Iran
Pour le régime d’ayatollahs, la Syrie est devenue un élément clé de leur système d’alliances. Ce pays fait partie de « l’Arc chiite », et sphère d’influence iranien qui va de Liban jusqu’au l’ouest de l’Afghanistan, sans oublier le Yé-
men et certains pays du Golfe. Cette zone géographique permet à Téhéran de se positionner comme une puissance régionale. Le maintien de cette influen- ce est une priorité pour le régime iranien conscient que la chute de Bachar al-Assad et l’arrivé au pouvoir d’un sunnite affaiblirait sa position régionale avec des conséquences imprévisible sur sa présence en Irak. Pour Téhéran ainsi que pour toute la classe politique qui a vécu les huit ans de guerre contre l’Irak, l’hypothèse d’un gouvernement irakien contrôlé par la monarchie Al- Saoud est inconcevable.
Ces enjeux sont aujourd’hui une constante de la région du Golf persique. Ils prennent de l’ampleur au lendemain de l’accord sur le nucléaire iranien et l’amélioration des relations de l’Iran avec l’Occident. Ce nouveau contexte a conduit les acteurs de la région à reconsidérer leurs relations. Le Qatar par exemple adopte une posture neutre entre l’Arabie saoudite, son partenaire du Conseil de Coopération du Golfe, et l’Iran. Il a toujours refusé d’être sous influence saoudienne, en diversifiant ses alliances en général. Ces tensions discrètes remontent à la surface avec la crise actuelle qui oppose le Qatar à l’Arabie saoudite et ses alliés (Emirats arabes Unis, Bahreïn, Egypte)28. L’en- jeu de cette crise dépasse bien évidement le Qatar pour déborder sur l’épineu- se question des équilibres stratégiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Nous sommes donc face à une crise inaugurant un cycle d’instabilité qui pourrait hypothéquer l’avenir de l’accord sur le nucléaire iranien, s’il n’aboutit pas à un affrontement militaire entre ces deux pays.
VI. CONCLUSION
La conclusion de l’accord sur le programme nucléaire iranien a suscité simultanément enthousiasme et controverse à l’échelle internationale. Sans aucun doute, l’accord est un succès pour la communauté internationale. Tou- tefois, il ne suppose pas la fin de la controverse suscitée par les fins pacifiques du programme nucléaire iranien. Il n’oblige pas le régime de Téhéran à dé- manteler complètement son programme nucléaire tout comme il n’offre pas de garanties quant aux intentions militaires du programme nucléaire iranien. L’accord s’est borné à établir des limites «strictes» pour retarder, ou empêcher l’enrichissement d’uranium et du plutonium.
Malgré sa réticence envers la politique étrangère et de défense iranienne, Israël est conscient qu’au fond le programme nucléaire iranien n’est pas des- tiné contre le pays. La confirmation du leadership et la survie du régime des ayatollahs ne passerai pas par Israël, mais plutôt par le Golfe sunnite. Cepen- dant, Tel Aviv préfère un Iran sans capacité nucléaire, tout en maintenant son avantage comparatif conventionnel et nucléaire. Par ailleurs, vue la relation de rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite, aucune initiative ne résoudra le conflit si ces deux Etats n’établissent pas des pourparlers directes pour clarifier les visions, régler les malentendus et rapprocher les positions. L’Arabie saoudite devrait accompagner la phase d’ouverture de l’Iran, et accepter les demandes de pourparlers de Téhéran pour discuter les affaires de la région. Pour sa part, l’Iran devra infléchir politique régionale pour sortir de son isolement et de la récession économique.
En somme, l’accord ne signifie pas un changement positif dans le sens d’une atténuation de la tension régionale. L’Arabie saoudite et l’Israël conti- nuent d’exprimer leurs craintes en dépit des garanties qu’inclut l’accord. Leur non-participation aux négociations, ainsi que la non-inclusion des garanties en leur faveur pourraient être des éléments qui feront échouer l’objectif prin- cipal de cet accord, la stabilité et la sécurité au Moyen-Orient.
Les références
Security Council, Adopting Resolution 2231 (2015), Endorses Joint Comprehensive Agree- ment on Iran’s Nuclear Programme.
Discours historique prononcé par le président des États-Unis Dwight D. Eisenhower en dé- cembre 1953 devant l’Assemblée générale des Nations Unies, où il a exhorté la communauté internationale à donner la priorité aux utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire et encou- rageait les dirigeants des pays alliés à lui emboîter le pas dans sa quête en vue de changer le cours de l’histoire atomique.
Iran possède des missiles de courte portée comme le Shehab-III de 1.300 km à 1.500 km. Son armée possède aussi plusieurs missiles de croisière, et des missiles de longue portée comme Sejil (aussi appelé Ashura) et Qader, capables d’atteindre 2.000 kilomètres. L’Iran a révélé avant qu’il possède un vecteur terre-mer adéquat pour son programme nucléaire. Ce fait a été confirmé le 2 Janvier 2012
Les Etats Unies ont des bases militaires en Afghanistan, Arabie Saoudite, Azerbaïdjan, Bahreïn, Emirat Arabes Unies, Irak, Oman, Pakistan, Turquie et Ouzbékistan. En plus, ils ont des forces aériennes et navales dans l’Océan Indien, dans le Golf Persique et le Médi- terranée.
Après son arrivée au pouvoir en 1979, Khomeiny a encouragé le reste des pays du Golfe à suivre l’exemple de l’Iran, en faisant leur propre révolution islamique pour se débarrasser de leurs rois et émirs.
Il convient de signaler dans ce sens que le Conseil de Coopération du Pays de Golfe a été créé en 1981 principalement comme une réponse contre les ambitions régionales de l’Iran.
Font partie de ce Conseil les présidents du pouvoir législatif, exécutif (qui préside les réu- nions) et judiciaire; le chef du Conseil Suprême des Forces Armées; l’officier en charge des affaires de planification et de budget; deux représentants élus par le Guide suprême; les mi- nistres des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de la sécurité nationale et du renseignement; le ministre responsable des affaires en discussion; et le haut commandement des Forces Armées et la Garde Révolutionnaire Islamique.
Irán y su estratégico acuerdo nuclear”
“Israël et Iran: La bombe ou le bombardement?”
Notamment le Guide suprême, le Corps des Gardiens de la Révolution, et les conserva- teurs.
Sur cet affaire dans les dernières années l’Iran accuse Israël de l’assassinat de plusieurs scientifiques iraniens, en même temps Téhéran accuse Tel Aviv d’avoir attaqué ses installa- tions nucléaires par le virus FLAME et STUXNET.
Israël a construit dans le désert de Dimona la centrale nucléaire du Néguev avec l’aide de la France. Cette centrale n’est pas soumise aux sauvegardes de l’Organisation internationale de l’énergie atomique. Probablement depuis 1966 Israël dispose d’un arsenal nucléaire.
‘Les déterminants de la pensée stratégique d’Israël’
C’est un mouvement sunnite qui revendique le retour aux origines de l’Islam, basé sur le Coran et la Sunna, et le consentement des compagnons du prophète Mohamad.
Quatre membres du Conseil du Coopération du Golfe sont intervenus contre les Houthis, à savoir; l’Arabie Saoudite, Qatar, les Emirat Arabes Unies, et le Bahreïn. Voir BINNIE, J., “Arab states deploy more ground forces to Yemen”, IHS Jane’s, 9 septembre 2015.
« Le pétrole autre guerre entre l’Iran et l’Arabie saoudite »
« l’industrie militaire américaine comblée par le voyage de Donald Trump en Arabie Saoudite »
« L’accord iranien sur le nucléaire, une révolution géopolitique pour la région et pour le monde »
Ils ont imposé un blocus à la fois économique et diplomatique (rupture des relations diplo- matiques et consulaires) à Doha.