Dossier: Droit International Privé: Droit de Famille au Maroc
Résumé: Dans le système marocain, la protection juridique de l’enfant dépend de la légitimité de la filiation. C’est principalement le mariage musulman des parents qui permet d’établir la reconnaissance de la filiation (hijos al firach), mais il existe également d’autres modes d’établissements de celle-ci : la reconnaisance de la paternité ( istilhak de los arts. 160 a 162 CFM; les relations sexuales par erreur (subha contemplada en el art. 155 CFM ; les enfants issus d’unions entre parents qui n’ont pas pu faire reconnaître leur mariage ou lorsque ces unions ont été contractées à l’étranger selon la loi locale (art. 16 CFM) ; et pour lesquelles le gouvernement marocain vient de prolonger le délai afin de réaliser ce type d’actions, l’enfant nés de fiançailles reconnues. Pour résoudre les problèmes relatifs aux enfants issus de relations extra-conjugales, nous démontrerons comment ces deux derniers modes d’établissement offrent des solutions pour pouvoir établir la filiation hispano-marocaine, mais il faudra toutefois évaluer les effets « pervers », que celles-ci contiennent. MOTS CLES : Filiation légitime et illégitime au Maroc ; obstacles à la réclamation ou contestation de la filiation hispano-marocaine; effets « pervers » de la paternité légitime marocaine en Espagne. EFECTOS «PERVERSOS» DE LA PATERNIDAD LEGÍTIMA MARROQUÍ EN ESPAÑA: UNA CUESTIÓN A RESOLVER
Resumen: En el sistema marroquí, la protección jurídica del hijo depende del carácter legítimo de la filiación. Ciertamente, el cauce principal para determinarla es el matrimonio musulmán de los padres (hijos al firach), aunque existen otras vías: el reconocimiento de la paternidad (istilhak de los arts. 160 a 162 CFM; las relaciones sexuales mantenidas por error (subha contemplada en el art. 155 CFM); los nacidos de uniones entre los progenitores que no pudieron validar sus matrimonios o cuando dichos enlaces fueron contraídos en el extranjero según la ley local (art. 16 CFM), para los cuales que el Gobierno marroquí acaba de prorrogar el plazo para realizar este tipo de acciones; el hijo nacido de noviazgo oficial (art. 165 CFM). Para afrontar los problemas de los hijos nacidos en España de relaciones extramatrimoniales, pondremos en evidencia cómo estas dos últimas vías son respuestas para la determinación de la filiación hispano-marroquíes, aunque habrá que evaluar los efectos maliciosos que contienen estas soluciones.
Palabras clave: Filiación legítima e ilegítima en Marruecos, obstáculos a la reclamación o la.
Abstract: In the Moroccan system, the legal protection of the child depends on the legitimacy of the filiation. It is mainly the parents’ Muslim marriage that allows establishing the recognition of the filiation (sons of al firach), but there are other ways of establishing a filiation such as: the recognition of paternity (Istilhak in arts. 160 to 162 of the Moroccan Family code MFC); Sexual relations by mistake (shubha in art. 155 MFC); Children whose parents were not able to have their marriage recognized or who entered into unions abroad in accordance with a local Law (art. 16 MFC) and for whom the Moroccan Government just extended the deadline for recognition procedures; Children born from official engagements. To resolve the problems concerning children born from extramarital relationships, we will demonstrate how these two last recognition proceedings offer solutions to establishing the Spanish Moroccan filia- tion. However, it is important to assess the “perverse” effects contained in them.
Keywords: Legitimate and illegitimate filiation in Morocco, barriers to the claims or disputes regarding the Spanish Moroccan filiation, « perverse » effects of the Moroccan legitimate paternity in Spain.
I. INTRODUCTION
L’augmentation en Espagne des naissances d’enfants de père ou de mère de nationalité marocaine conduit à la prolifération de situations juridiques pour lesquelles il est nécessaire de résoudre la question de l’établissement du lien de filiation, étant donné que celui-ci a une influence directe sur la nationalité et l’autorisation de résidence de l’enfant, la responsabilité parentale, la pension alimentaire et le droit successoral.
Dans ce chapitre, nous allons nous focaliser sur les cas où l’enfant est né en Espagne de parents marocains –que l’enfant soit marocain, espagnol ou qu’il possède la double nationalité- et laisserons de côté les cas où les enfants auraient une nationalité différente de celles que nous venons de signaler. En l’espèce, il nous faut faire référence à la solution adoptée par le législateur marocain face à une situation de double nationalité, solution qui consiste à maintenir à tout prix la nationalité marocaine de ses citoyens, en suivant l’adage « Qui nait marocain meurt marocain », indépendamment du fait qu’une personne possède également une autre nationalité. Voilà pourquoi, pour l’établissement d’un lien de filiation d’un enfant hispano-marocain, les solutions offertes par les autorités espagnoles ou marocaines peuvent être
différentes, car le principe recteur du favor filii diffère dans les deux systèmes juridiques mentionnés. Dans le système espagnol, ce concept semble correspondre à l’établissement de la vérité biologique de l’enfant, d’après ce qui découle de l’art. 39, alinéa 2 et 3 de la Constitution espagnole (ci-après, Cts. ES). Toute personne a le droit de connaître ses origines biologiques, mais on ne peut laisser de côté les autres intérêts en jeu, car la recherche de paternité ne peut se réduire à un droit exclusif de l’enfant, au détriment de l’initiative des parents. Quant au droit marocain, la signification du favor filii est identifiée comme le favor legitimatis, d’après lequel la protection juridique de l’enfant dépend du caractère légitime de la filiation. La société marocaine s’appuie sur certains principes inacceptables du point de vue occidental actuel. Ainsi, la primauté du statut islamique sur tout autre, imposant la prédominance de l’homme et l’inégalité des enfants illégitimes, assure uniquement le favor legitimatis pour sauvegarder la famille légitime et garantir la procréation dans le cadre légal du mariage et des relations légitimes conjugales.
La recherche de « l’intérêt de l’enfant » est plus compliquée encore dans les situations de filiation hispano-marocaines, précisément en raison du fossé existant entre les deux systèmes juridiques. Cela n’entraînerait pas d’autres conséquences que celles observées en droit comparé, si ce n’était parce que la réalité sociologique actuelle, tant espagnole que marocaine, ne les mettait pas en relation. C’est justement dans cette disparité de conceptions que se trouve l’origine des problèmes que les questions autour de la filiation suscitent dans le cadre des relations hispano-marocaines. C’est pourquoi il est utile, pour comprendre cette institution, de faire un rapprochement entre le droit matériel, et le DIPr. des systèmes juridiques espagnol et marocain, afin d’essayer de rechercher les points communs qu’ont ces différentes règles de droit, et ainsi rendre possible une certaine continuité en matière de filiation entre ces deux pays. Notre dessein est d’établir un nouveau régime de compréhension mutuelle qui permette qu’un lien de filiation constaté dans l’un de ces deux pays soit reconnu dans l’autre, rompant ainsi avec le stéréotype « Le Maroc,… un pays si près mais si loin ! ».
II. EFFETS DE LA PATERNITÉ LÉGITIME
1. LA « QUESTION PRÉALABLE » DU MARIAGE DES PARENTS EN DROIT MAROCAIN
Le droit espagnol fait la différence entre la filiation matrimoniale et non-matrimoniale, une qualification qui diffère de ce que propose le droit marocain, régi quant à lui par le principe du favor legitimatis selon lequel la protection juridique de l’enfant dépend du caractère légitime de la filiation. Certes le mariage musulman des parents (enfants al firach) est le principal mode d’établissement légitime de la filiation, pourtant il en existe d’autres, comme nous l’examinerons par la suite. Ce mode d’établissement trouve sa source dans l’art. 152 de la Moudawana qui dispose que la filiation légitime (paternelle) découle de la vie maritale. Ces enfants nés de cette vie conjugale sont dénommés « enfants du lit » ou al firach, selon l’art, 154 du Code de la famille marocain (dorénavant, CFM).
Certains procédés permettent également d’établir la paternité légitime, tels que l’acte de reconnaissance de paternité (istilhak des arts 160 à 162 CFM) ou comme le prévoit l’art.155 CFM, la reconnaissance suite à des rapports sexuels par erreur ou Choubha. Cependant, les arts 16 et 156 du CFM ajoutent deux nouveaux modes d’établissement de la filiation légitime, qui échappent à la rigueur de la conception en la matière et qui font preuve d’une grande ouverture de la part du législateur marocain. Le premier, établi à l’art. 16 CFM, prétend résoudre les cas des enfants nés de parents qui n’ont pas pu valider leur mariage, ou encore lorsque celui-ci a été contracté à l’étranger selon les règles de droit local, mais qui sont considérés comme nuls d’après la règlementation du pays d’origine. L’introduction en droit de la famille marocain des règles de DIPr., constitue en la matière une véritable révolution car désormais, la reconnaissance des mariages de ressortissants marocains, contractés à l’étranger conformément à la règle locus regit actum, seront reconnus, évitant ainsi les situations juridiques boiteuses. Pour reconnaître ces mariages, plusieurs conditions doivent néanmoins être remplies: le consentement et la capacité valables des époux –conformément à leur droit national–, l’absence
d’empêchements légaux2, la dot3, ainsi que la présence, s’il y a lieu, du tuteur matrimonial (wali)4. La présence de deux témoins musulmans lors de la conclusion du mariage est également expressément mentionnée. Selon la loi nº 102/15 modifiant l’article 16 de la loi nº 70/43 portant Code de la Famille5, l’article 16 (quatrième alinéa) dispose que « L’action en reconnaissance de mariage est recevable pendant une période transitoire maximum de quinze ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi », Par conséquent, il est possible actuellement de continuer à reconnaître les mariages célébrés en dehors du Maroc.
D’autre part, le second mode d’établissement de la filiation prévu à l’art.156 CFM sert à établir la filiation légitime de l’enfant né pendant la période des fiançailles officielles. Cette possibilité est née d’un assouplissement du concept de « rapports sexuels par erreur » (Choubha). Pour ce faire, il est nécessaire de remplir une série de conditions qui devront être vérifiées par le juge, telle que la preuve que les fiançailles sont bien officielles et reconnues par les deux familles, que ce soit par témoignages ou par photos de la célébration en question.
En Espagne, l’autorité consulaire marocaine envisage depuis quelques temps la possibilité d’inscrire les enfants de parents non-mariés, pourvu que ces derniers s‘engagent (moyennant la signature d’un document) à célébrer leur mariage dans les plus brefs délais. Par le biais de cet engagement, le consul se protège face à la loi et –ce qui est plus important– il préserve ainsi un
aspect fondamental : les droits du mineur. Nous saluons ce type de décisions consulaires courageuses et humaines.Pour les autorités marocaines, il doit inévitablement y avoir mariage ou, du moins, une promesse de célébration de mariage pour que la filiation paternelle puisse être établie.
2. EFFETS « PERVERS » DE LA PATERNITÉ LÉGITIME MAROCAINE EN ESPAGNE
Pour le droit marocain, quand un enfant de parents marocains est inscrit en tant qu’enfant légitime, la wilaya, ou représentation légale, est assumée par le père (exceptionnellement par la mère), conformément à l’art. 231 du CFM. La wilaya du père sur ses enfants découle de la loi (ex lege) par le fait même de la naissance et ce, jusqu’à leur majorité (18 ans). La conception des relations qu’établissent le père et la mère envers leurs enfants présente des particularités, en droit marocain, ainsi que des différences par rapport à ce que prevoit le droit espagnol. Au Maroc, c’est toujours le père qui a le pouvoir de décision quant aux domaines relatifs à la personne (art. 233 CFM) et aux biens de l’enfant mineur (art. 236 CFM). La personne qui a la hadana (ou droit de garde) -généralement la mère- ne peut décider ni de la formation, ni de l’instruction que l’enfant va recevoir puisqu’il s’agit d’un des pouvoirs qui correspond au père en tant que tuteur légal. Soulignons ici la différence des rôles qu’ont l’homme et la femme quant à l’éducation et la garde des enfants. D’une certaine manière, ces institutions et leurs conséquences sont transférées sur notre territoire, puisque seul le père est habilité à consentir à l’obtention des documents d’identité concernant l’enfant (le passeport marocain, par exemple). L’absence du père ou son refus de réaliser cette démarche entraîne un effet pervers du système puisque la mère ne peut remplacer le père que s’il y a abandon de ce dernier ou lorsqu’apparaissent des situations urgentes, tel qu’il en découle des arts 231.2, 236, et 238 du CFM. Ce dernier précepte utilise l’expression « par suite d’absence », que l’on peut interpréter comme absence pour cause de décès ou par absence de domicile connu. Quant à l’expression « pour tout autre motif » stipulé à l’art. 238 du CFM, il faudrait l’interpréter de manière plus souple pour reconnaître que la mère puisse représenter ses enfants mineurs lorsque le père ne veut pas
assumer ladite représentation.
Au demeurant, la difficulté de compréhension du système de filiation marocain se retrouve dans les dossiers d’attribution de la nationalité espagnole, à valeur de simple présomption, en ce qui concerne les enfants nés en Espagne.
À maintes reprises, la DGRN a déclaré que, même s’il n’y a pas eu mariage des parents, l’enfant né de parents marocains n’est pas espagnol en vertu du droit du sol, étant donné que la nationalité marocaine est transmise par le père en vertu du droit du sang6. Mais cette affirmation, isolée du contexte juridique, suppose que l’on présume que la déclaration de paternité effectuée devant l’officier d’état civil espagnol sera considérée comme valide au Maroc. Nous devons nuancer ce propos car, en cas de reconnaissance de la filiation paternelle non-matrimoniale réalisée en dehors du Maroc -à la différence de ce qui se passe avec les mariages célébrés en dehors du pays- la règle locus regit actum ne produit pas d’effet et se limite à ce qui est établi à l’art. 160.3 CFM. Une solution pourrait être alors la possibilité qui est offerte de déclarer volontairement la paternité devant un adoul consulaire marocain selon ce qui est prévu à l’art. 16 de la Moudawana, à savoir que, même si le mariage des parents n’a pas été contracté, il y a un engagement préalable du lien conjugal qui aura lieu ultérieurement. Ladite inscription sur le registre de l’état civil consulaire permettrait d’établir la filiation légitime, ainsi que la nationalité de l’enfant né en Espagne, et cela résoudrait de la sorte la question de l’attribution de la nationalité marocaine de cet enfant. Si cela ne s’avérait pas faisable, en raison du refus de certains consuls à accepter cette déclaration, la filiation maternelle transmettra subsidiairement tous ses effets juridiques à l’enfant, y compris l’attribution de la nationalité de la mère (cf. art. 6 CFM).
III. OBSTACLES À LA RÉCLAMATION OU CONTESTATION DE LA FILIATION HISPANO-MAROCAINE
1. LE JUGE ESPAGNOL ET LES PROCÉDURES DE FILIATION
Une fois introduite la demande de filiation auprès de l’autorité espagnole compétente et avant d’aborder le fond du problème, il est opportun de délimiter les aspects concernant les procédures judiciaires de détermination ou de contestation de la filiation qui ne sont pas strictement considérées comme des affaires procédurales, ni comme des questions comprises dans la loi régulatrice du fond. En effet, la réglementation procédurale espagnole exige une preuve fiable devant le juge espagnol pour que celui-ci admette la demande de filiation (art. 767.1 LEC), ou la participation du procureur dans
lesdites procédures (art. 749 LEC), exigences qui relèvent du domaine de la lex fori regit proessum.
La version actuelle de la règle de conflits espagnole en matière de filiation7, reconnait la résidence habituelle de l’enfant comme premier critère de rattachement, laissant à un second plan le critère de la nationalité de l‘enfant. Le changement effectué en ce sens a un objectif très clair, à savoir, faire connecter le point de rattachement du Droit applicable avec les nouveaux fors d’attribution de compétence prévus à l’alinéa d) de l‘art. 22 quáter de la LOPJ8 (fórum-ius).
Particulièrement, l’art. 9.4 CC résout le problème de la réglementation applicable à la réclamation ou contestation de la filiation dans les relations hispano-marocaines. Si la lex causae était marocaine en tant que loi de la résidence habituelle, ou même, de la nationalité de l’enfant, il nous faut affirmer que le CFM a vocation à être appliqué aux ressortissants marocains qui se trouvent en Espagne, indépendamment du critère de la résidence, ou d’autres éventuelles nationalités. Le texte réglementaire est strict et n’admet pas la possibilité d’une double nationalité, la nationalité marocaine primant automatiquement sur les autres s’il y a conflit de nationalité. Néanmoins, les dispositions du CFM ne seront pas toujours appliquées en dehors du Maroc, puisque le DIPr. de la famille des systèmes aconfessionnels et confessionnels s’inspirent de logiques juridiques différentes. Dans un système confessionnel, la nationalité permet de donner une portée extraterritoriale au ius religionis. Par contre, dans un système laïc, comme le système espagnol, la compétence internationale des tribunaux et le droit applicable au litige dépendent de rattachements juridiques qui peuvent être fondés sur la nationalité, le domicile ou la résidence habituelle, voire même sur l’autonomie de la volonté. Les règles de conflits contenues en DIPr. espagnol, en tant que système aconfessionnel, ouvrent la porte au droit étranger et donc, aux règles religieuses dont ce droit est empreint. Il est vrai que ce n’est pas le simple fait d’être musulman qui entraîne automatiquement l’application, hors du Maroc, du statut personnel et familial en vigueur dans ledit pays, mais plutôt le fait que c’est ce que le DIPr. marocain préconise.
Si le juge espagnol doit appliquer la loi marocaine pour constater la filiation légitime, le CFM admet le recours aux moyens de preuves traditionnels du droit musulman (arts 155.1, 156.2 et 158 CFM)9. Il s’agit, concrètement, des moyens suivants : le témoignage de deux adouls, la preuve fondée sur un témoignage de ouï-dire, l’aveu du père certifié par acte authentique, ou par document privé, et l’expertise de médecins spécialisés (cf. art. 158 CFM). Par ailleurs, même si cela n’est pas expressément stipulé dans le CFM, sont également acceptés d’autres moyens de preuves stipulés par la Charia, tels que le témoignage de douze hommes (preuve laffi), ou le serment d’anathème ou l’ian. En principe, et dans la mesure où ces moyens sont susceptibles d’être qualifiés de preuves testimoniales ou documentaires, il ne devrait pas y avoir d‘obstacle, en Espagne, à l’acceptation de ces moyens de preuves. Le test ADN est toutefois plus problématique. La position de la jurisprudence marocaine, relative à l’admission de preuves établies par des médecins experts, test ADN y compris, n’est pas claire10. La Cour suprême marocaine, dans certains de ses arrêts, rejette l’utilisation du test ADN, invoquant les règles de droit transitoire pour continuer à appliquer la Moudawana antérieure qui n’incluait pas ce type
de preuves11. Cependant, il existe un courant jurisprudentiel qui admet le recours au test ADN12, mais uniquement lorsqu’il s’agit de confirmer une présomption d’al firach (matrimoniale) s’il y a conflit entre les conjoints sur la date exacte de la grossesse ou de la naissance de l’enfant, ou la possibilité qu’il y ait eu des rapports sexuels conjugaux selon ce qui est prévu aux arts 16 et 153 du CFM. Le test ADN existe évidemment, mais il n’est d’aucune utilité actuellement pour établir la filiation biologique en dehors de ce qui est établi légalement dans le CFM (par exemple, si les parents n’ont pas contracté de mariage13).
Ces derniers temps, on assiste à un changement de position de la jurisprudence de la CS marocaine pour les cas où le mari nierait la paternité de l’enfant lorsque celui-ci est né avant la fin du délai de six mois qui commence à courir après la célébration du mariage. La Cour suprême applique dernièrement deux « arguments» pour admettre les preuves de la filiation :
1) la reconnaissance de paternité par le père se basant sur le rite malikite, en vérifiant par diverses preuves que celui-ci a toujours reconnu cette paternité jusqu’au moment du divorce avec la mère ; 2) les vraies relations conjugales légales, étant donné que le vrai consentement matrimonial s’est produit avant l’inscription du mariage, puisque l’inscription de l’acte de mariage n’est pas une condition essentielle de l’acte14. Ainsi, on en déduit que l’enfant né est légitime, puisque la naissance a eu lieu dans le délai légal (dans les six mois
qui suivent le consentement matrimonial)15. Nous saluons l’ouverture offerte par la CS marocaine qui rejette les positions dogmatiques antérieures portant atteinte à l’intérêt de l’enfant, permettant désormais de supprimer un certain nombre de situations juridiques boiteuses existant en matière de filiation entre les deux pays.
En ce qui concerne les procédures judiciaires introduites pour prouver le lien de filiation avec le père lors de grossesses survenues pendant la période des fiançailles (cf. dernier alinéa de l’art. 156 CFM), même lorsque rien n’est expressément mentionné dans ladite règle, rien n’empêche d’effectuerun test ADN si l’autorité judiciaire l’estime nécessaire.
En définitive, lorsque la procédure introduite auprès des tribunaux espagnols se réfère à l’une des situations où la jurisprudence marocaine admet l’utilisation du test ADN, il n’y aura aucun problème à appliquer la législation marocaine relative aux moyens de preuve, en tant que loi régulatrice du fond. La difficulté apparaît lorsqu’ il s’agit d’une action en recherche de paternité naturelle, où le juge espagnol rejetterait l’application de la règle marocaine relative aux moyens de preuves, la loi marocaine étant contraire à l’ordre public international espagnol (arts. 39.2 Cst.ES et 767.2 LEC).
2. LES JUGES MAROCAINS ET L’INFLUENCE DU CRITÈRE DE RATTACHEMENT RELIGIEUX ET DU CRITÈRE DE LA NATIONALITÉ DU FOR
Dans la règlementation marocaine, le ius religionis imprègne le droit de la famille. Plusieurs statuts personnels de la famille coexistent donc : pour les musulmans, le Code basé sur le droit islamique sera applicable, tandis que
pour les juifs, c’est le statut personnel issu du droit hébraïque16qui fera office de loi. Il est établi, en sus, une règlementation spécifique pour les étrangers résidant dans le pays qui ne professent ni la religion musulmane, ni la religion juive. Cette dernière règlementation est régie par le Dahir du 12 août 1913 sur la condition civile des français et des étrangers qui vivent au Maroc (dorénavant, DCC)17.
L’art. 2 du CFM18 présente une règle de conflit unilatérale très confuse, et cette complexité a des conséquences directes sur le DPPr. marocain. En effet, la promulgation du Code de la Famille de 2004 a eu les répercussions suivantes : a) d’un point de vue personnel, le Maroc admet des solutions diverses quant à la régulation de ce secteur, en fonction des confessions religieuses admises dans la Moudawana. Tel qu’il est établi à l’alinéa 2 de l’art. 2 CFM les ressortissants marocains de confession juive se soumettent au statut personnel hébraïque marocain19. Pour le reste de la population, une règle de conflit unilatérale ample et complexe est appliquée (cf. art. 2 al. 2 du CFM). Ceci implique l’application de la Moudawana pour tous les marocains20, qu’ils aient, de srucroît ou non, une autre nationalité21. Comme nous le verrons
par la suite, ce texte réglementaire est également applicable aux musulmans, indépendamment de leur nationalité, ainsi qu’aux réfugiés et apatrides22, conformément à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le Statut des réfugiés23; b) d’un point de vue matériel, le Code de la famille de 2004 est appliqué à toute relation familiale entre deux personnes à condition que l’une d’elles soit de nationalité marocaine, ou entre deux marocains à condition que l’un d’eux soit musulman. Cette dernière référence conforte dans le système du DIPr. marocain le privilège de religion musulmane qui existait déjà dans la législation précédente24, au point de faire primer le critère de la foi religieuse sur le critère de rattachement à la nationalité, au domicile ou à la résidence habituelle des personnes impliquées. Ceci est en adéquation avec l’ordre public marocain, mais d’après le courant majoritaire de la doctrine, cela représente un obstacle important dans les relations juridiques entre le Maroc et les pays de l’Europe.
Il est indiscutable qu’en droit interne, il existe une pluralité juridique axée sur la condition religieuse de la personne26. En l’absence d’une communauté autochtone chrétienne reconnue et organisée -comme c’est le cas dans certains pays du Moyen-Orient27- seuls deux statuts sont officiellement proclamés : le CFM applicable aux musulmans indépendamment de leur nationalité28, et le statut d’hébraïque local, applicable aux juifs29. Le reste de la population marocaine qui n‘appartient à aucune de ces deux religions devra également se référer à la Moudawana (cf. art. 2 du texte en vigueur). Les interdictions applicablesdans ces cas là, notamment en ce qui concernent la polygamie, la répudiation ou l’empêchement matrimonial pour célébrer le mariage pour cause d’allaitement, exposés à l’art. 2 al. 2 du Code de nationalité marocaines
(CNM) du 6 septembre 195830, n’ont plus cours depuis l’entrée en vigueur du nouveau droit de la famille. De fait, l‘art. 2 du CFM inclut ces ressortissants marocains sans restriction aucune, position que l’actuel Code de la nationalité marocaine du 5 avril 2007 a réaffirmée31.
Suite à tout ce que nous venons d’exposer, nous nous posons la question suivante: un marocain qui n’est ni musulman, ni juif, peut-il être concerné par la règlementation sur la polygamie, la répudiation ou lempêchement du mariage pour cause d‘allaitement? La doctrine marocaine débat également sur la question32. De notre point de vue, il n’y a pas lieu d‘admettre une interprétation qui imposerait lesdites interdictions aux marocains ne professant pas l’une des grandes religions présentes au Maroc. Pour avoir une réponse précise à cette question, il faudra s’en remettre au courant interprétatif que la jurisprudence la jurisprudence marocaine est en train de mettre en place.
Quant à la régulation conflictuelle, elle est divisée en deux grandes catégories : La première, implicite dans le Dahir du 12 août 1913 sur la condition civile des français et des étrangers dans le Protectorat français au Maroc33, dispose que c’est la réglementation de l’Etat de la nationalité de la personne qui devra être appliquée34. La seconde, de son côté, est
jurisprudentielle35 , et conduit à l’application du CFM pour régir les relations des étrangers musulmans36. Cette solution ne fait pas de différence entre situation interne et internationale, de telle sorte que les juges marocains appliquent les règles contenues dans la Moudawana pour tous les différends présentés devant la justice que ce soit par des marocains musulmans ou par des étrangers musulmans37.
En matière de droit de la famille, le DIPr. marocain38 subordonne par conséquent le statut du sujet étranger à la religion qu’il professe39. L‘appartenance du Maroc à la Umma40 détermine que, dans les règles de conflit, le législateur national ne doit tenir compte ni du critère géographique (ius loci), ni de celui de consanguinité (ius sanguinis), mais uniquement des liens religieux (ius religionis) qui constituent le « cordon ombilical » de tout pays
musulman41. L’application de la loi nationale de l’étranger est sacrifiée en faveur de la loi musulmane car l’Islam réunit tous ses fidèles au sein de l’Umma. Par conséquent, le musulman étranger est soumis au droit islamique local42. Par ailleurs, il faut signaler que dans la majorité des litiges présentés devant les autorités marocaines, le CFM constitue la réglementation applicable en matière de droit de la famille, tant pour les nationaux que pour les étrangers de confession islamique, vu la prédominance de la population de confession musulmane43. Toute autre réglementation qui pourrait correspondre à la loi sur la nationalité, du domicile, ou de la résidence habituelle du sujet est rejetée. Cette règle perturbe grandement les relations internationales.
Le législateur marocain a tenté d’harmoniser la réglementation conflictuelle à l’art. 2 CFM44 en matière de rattachement à des ordres juridiques multiples (étatique et religieux), afin de déterminer dans quels cas les dispositions de la Moudawana doivent être appliquées.C’est pourquoi, l’utilisation du critère de la nationalité marocaine de l’une des parties au litige (art. 2.3 CFM) entraîne l’application de cette réglementation lorsque l’un des sujets est un ressortissant marocain45, indépendamment du fait que l’autre sujet soit étranger. Pour sa part, l’art. 2.4 CFM maintient le critère de rattachement religieux de l’individu pour l’application de cette réglementation. N’oublions pas que, dans les ordres juridiques musulmans, le lien religieux est un principe que l’on doit prendre en considération pour attribuer la compétence judiciaire à l’organe correspondant, de même que pour déterminer le droit applicable.
3. PROPOSITION DE LEGE FERENDA : UNE RÈGLE DE CONFLIT ACTUELLE POUR LA FILIATION
Le CFM détermine unilatéralement son domaine d’application moyennant une règle qui offre une large portée à ses dispositions dans les différends relatifs à la personne et à la famille avec un ressortissant étranger. Il s’agit d’une règlementation unique et générale pour toutes les matières que le CFM intègre dans son droit, aucune norme spécifique n’existant pour les
différentes catégories ou relations de famille avec un élément étranger. Par conséquent, le CFM ne possède pas de réglementation conflictuelle pour la filiation ; voilà pourquoi la dissémination du DIPr. marocain et l’influence du privilège religieux se retrouvent dans les litiges internationaux de filiation49.
Face à l’absence de règle de conflit marocaine résolvant cette question, nous essayerons de détailler les réponses que le système juridique offre aux différentes situations internationales qui peuvent se poser dans leur for en matière de de filiation.
En premier lieu, en ce qui concerne les étrangers non-musulmans, le DDC de 1913 ne comporte pas de règle spécifique pour les cas de filiation. Il faut alors s’en remettre à ce qui est prévu à l’article 3 du DCC qui régit la capacité et l’état civil desdits sujets. A une certaine époque, il y eut un courant jurisprudentiel qui proposa d’utiliser le critère de la nationalité de l’enfant pour déterminer le droit applicable à la filiation50. C’est la solution choisie par la CS marocaine le 24 octobre 197551, en admettant la contestation de la paternité naturelle entre étrangers suivant la loi nationale de l’enfant espagnol. Dans cette même ligne se situe la décision de la CS du 29 octobre 197552, relative à la reconnaissance volontaire de la filiation d’un père tchèque nationalisé français, où la loi nationale de l’enfant français a été retenue pour déclarer la relation paterno-filiale conformément à l’art. 339 du Code civil français. Mais l’application de cette décision fit polémique. La possible application d’une loi étrangère qui constatait le lien de filiation en dehors de la légalité en vigueur,
était contestée car contraire à l’ordre public marocain53. Après cette décision, le principe d’application de la loi nationale du père54 fut adopté, mais en interprétant le terme « père » conformément au système marocain, à savoir, lorsque la paternité est légitime.
Malgré la vocation universelle de l’Islam, cette religion n’a jamais essayé d’imposer son modèle aux non-musulmans. Toutefois, la majorité des juges marocains omettent ces orientations et finissent par appliquer le droit du for à tout type de situations, indépendamment de la nationalité ou de la religion des parties. Citons pour exemple, la décision de la CS du 5 mars 200555, où la Haute juridiction marocaine a rejeté l’application de la loi française correspondant à la nationalité des enfants pour appliquer le CFM et déclarer que ceux-ci ne pouvaient hériter du père marocain vu qu’ils étaient nés de rapports sexuels illicites. Il serait souhaitable que les juges marocains adoptent l’interprétation la plus ouverte et appliquent la loi nationale de l’enfant pour toutes questions relatives à la filiation.
Deuxièmement, quant à l’établissement de la filiation d’un étranger de confession juive, celui-ci se soumet à la loi de sa nationalité sans possibilité que lui soit appliquée la loi religieuse, conformément au critère adopté par la CS marocaine56.
Troisièmement, la filiation des apatrides et réfugiés est déterminée par le CFM selon ce qui est établi à l’article 2.3, ce qui peut donner lieu à desrésultats insatisfaisants pour les personnes non-musulmanes. De fait, la décision de la CS marocaine, nº 1136, du 20 avril 198857 a refusé de reconnaître la filiation
en suivant la Moudawana antérieure- sollicitée par un réfugié politique au Maroc qui n’était pas de confession musulmane et qui s´était marié avec la mère de sa fille après la naissance d ecelle-ci, indépendamment du fait que le réfugié avait volontairement reconnu l’enfant. Dans ce cas d’espèce, la présomption de paternité n’a pas été vérifiée, tel que le disposait l’art. 85 de l’ancienne Mudawana.
Quatrièmement, les étrangers musulmans sont soumis au droit local. De ce fait, l’art. 2.4 CFM privilégie le ius religionis58 comme critère de rattachement, faisant en sorte que la loi nationale de ces sujets laisse place à la loi marocaine. Cette pratique, qui n’est pas une règle écrite dans chaque Etat islamique, s’étend à certaines situations privées internationales, tel que le mariage, le divorce ou la filiation59. On applique donc ce que dispose le CFM pour déterminer la filiation si le père est étranger de religion musulmane, rejetant la loi de sa nationalité, comme cela pourrait arriver pour un père espagnol converti à l’Islam. Dans ces circonstances, le juge marocain écarte la réglementation étrangère, invoquant que la relation de filiation entre un père et son enfant musulman dépend obligatoirement du droit coranique60.
Par ailleurs, en ce qui concerne les problèmes de filiation suscités par les couples de nationalités différentes, et dont l’un des conjoints est marocain, face à l’absence de réponse légale, le système marocain s’appliquera à cette personne. Pour résoudre cette question, il est nécessaire de tenir compte à la fois de ce qui est stipulé dans le nouvel art. 2.4 CFM, et de l’article 8 du Code de la nationalité marocaine (dorénavant CNM), qui indique que la détermination de la filiation suit les prescriptions découlant du statut personnel de l’ascendant. Concernant les préceptes sus-énoncés, nous pouvons conclure que l’application du droit local va dépendre du critère de rattachement à la nationalité, ainsi que du privilège de la religion du père, si la filiation paternelle
est réputée légitime. Si la paternité de l’enfant n’est pas établie61, la nationalité marocaine de la mère et la religion de celle-ci seront fondamentales pour appliquer le CFM, contournant ainsi la loi nationale du père non-musulman. La réforme du 5 avril 2007 du CNM élargit les cas d’application du CFM62 car l’objectif est de permettre à l’enfant né de mère marocaine d’acquérir, grâce au lien de filiation, la nationalité marocaine d’origine dès la naissance. Par conséquent, la nationalité marocaine ius sanguinis est attribuée à l’enfant né de mère marocaine, même si celle-ci a contracté mariage avec un étranger musulman ou un homme qui professe une autre religion63. Il faudrait ainsi appliquer le CFM aux questions de filiation tel qu’il est prévu à l’article 2.4 de ce texte. L’application du droit marocain comme on le sait, ne laisserait en aucun cas la possibilité de réclamer la paternité naturelle, même si la loi étrangère du père le permet.
Le système marocain du DIPr. opte pour la priorité de la loi du for et ne tient pas compte du droit national des étrangers, en particulier lorsque ceux-ci ne sont pas musulmans et qu’il s’agit d’appliquer des institutions contraires à son ordre public interne, comme c’est le cas de la filiation naturelle. En fait, la détermination de la filiation dans des cas internationaux illustre, de manière exemplaire, l’importance du lien de la «nationalité», et le « privilège de religion » pour les Etats musulmans, évitant ainsi l’application d’un droit étranger contraire à leurs principes fondamentaux64. Une ouverture internationaliste exige des règles plus appropriées que la simple soumission à la loi du for pour qu’elle ne soit pas contraire à la coordination des divers systèmes. Nous affirmons ainsi que le système de Dipr. marocain apparaît comme un cas isolé en raison de la tradition personnaliste des lois en matière de statut personnel, ce qui rend la coexistence des droits confessionnels (comme le droit marocain) et des droits laïcs (comme le droit espagnol), beaucoup plus compliquée dans
les relations privées internationales65. La forte émigration marocaine vers les États de l’Europe ainsi que l’augmentation des mariages mixtes –y compris des mariages interdits par le droit musulman quand le mari n’est pas de confession islamique- laissent penser que bientôt, il sera nécessaire de créer une réglementation marocaine applicable aux cas de conflits en matière de filiation, et dénuée de toute connotation religieuse, pour mieux s’adapter à la nouvelle réalité migratoire du pays.
Le droit marocain est caractérisé par son inspiration personnaliste qui lui confère une perspective lege forista, favorisant ainsi l’application de la loi marocaine pour les cas tranchés par les tribunaux de cet Etat. Concrètement, les règles de droit privé élaborées pour les cas internes sont également appliquées aux situations privées internationales. Le législateur du pays voisin comprend, probablement, que la précision de la loi applicable aux cas internationaux constitue un problème de souveraineté et d’intérêt des Etats, produit de l’interventionnisme étatique dans les relations juridiques entre ses ressortissants, sans doute dans le dessein de faire coïncider compétence judiciaire et compétence législative66. Il s’ensuit que la séparation forum-ius n’est pas claire, ce qui est manifeste dans l’attribution de la compétence judiciaire internationale des tribunaux marocains quand l’art. 2 CFM est applicable. Tel est le cas d’un père marocain résidant en Espagne qui conteste le lien de filiation devant les juges marocains, simplement dans le but de ne pas payer de pension alimentaire. Le rattachement à la nationalité du fordu demandeur suffit à justifier la compétence, sans que cela soit réellement le cas, vu que le reste des parties impliquées dans la procédure n’ont pas la nationalité et ne résident pas au Maroc. La coïncidence forum-ius entraîne le risque de favoriser l’augmentation de situations juridiques boiteuses dans les relations internationales, ou d’inviter à la pratique du forum shopping67, sans oublier que le système de compétences judiciaires internationales a des valeurs et des
principes propres qui ne doivent pas être négligés, tels que la tutelle judiciaire effective ou le principe de proximité du juge.
Le système marocain de DIPr. donne plutôt la priorité à la loi du for (voir l’article 2 du CFM), et se montre indifférent envers le droit national des étrangers, plus particulièrement lorsque ceux-ci sont musulmans et qu’il s’agit d’appliquer des institutions contraires à son ordre public interne, comme c’est le cas de la filiation naturelle. De fait, il est possible que, face à la demande d’établissement de la filiation contre un père espagnol résidant au Maroc et converti à l’Islam, les autorités judiciaires marocaines ne permettent pas que la réglementation espagnole soit appliquée pour déterminer la paternité naturelle de l’enfant. Et de ce fait, la détermination de la filiation dans des cas internationaux illustre, de manière exemplaire, l’importance du lien de la
« nationalité » et le privilège de religion pour les Etats musulmans, évitant ainsi l’application d’un droit étranger contraire à leurs principes fondamentaux68.
Dans certains cas, les juges marocains ont résolu des cas internationaux de filiation conformément au droit local, lorsque les parents ne sont ni marocains ni musulmans. Cependant, à notre avis, lesdites situations devraient être régies conformément à la loi nationale de l’enfant, solution qui a déjà été accordée par la CS dans sa décision du 24 octobre 197569 , dans laquelle la contestation du lien de filiation naturel entre étrangers a été acceptée, en vertu de la loi nationale de l’enfant espagnol.
Pour notre part, et dans l’objectif de faciliter la continuité dans l’espace des relations juridiques internationales pour qu’elles soient efficaces au delà des frontières de l’Etat où elles ont été créées,70 nous désirons vivement que le système marocain adopte une règlementation sur les situations conflictuelles en matière de filiation qui réconcilierait ainsi les solutions accordées en droit
musulman avec le monde moderne, tel que cela s’est produit avec la réforme en matière de reconnaissance des mariages de ressortissants marocains contractés à l’étranger71. Dans ce dessein, le législateur marocain pourrait se rattacher à la loi nationale de l’enfant, tel que l’a fait un secteur minoritaire de la jurisprudence, dans le but de favoriser la coordination entre les systèmes de DIPr. Par ailleurs, on pourrait également opter pour les critères de rattachement du « domicile » ou de la « résidence habituelle » qui ne sont pas inconnus de l’ordre marocain puisqu’ils sont inscrits dans la Convention franco-marocaine du 10 aout 1981 règlementant les effets personnels du mariage et sa dissolution, ainsi que les obligations alimentaires ou la garde des enfants72, ou dans les Projets de Conventions belgo-marocains signés le 26 juin 2002 relatifs à la pension alimentaire et au droit de garde, droit de visite et déplacement de mineurs respectivement, (mais qui n’ont pas encore été mis en place). Fondamentalement, la Convention de la Haye du 19 octobre 1996 (dont le Maroc fait partie) est l’instrument international qui détermine le critère de la résidence habituelle du mineur. Celle-ci détermine la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection de l’enfant73. Nous espérons que le législateur marocain arrivera, dans la même ligne que la réforme menée à bien par sa Constitution en 2011, à adopter une attitude d’ouverture pour la réforme du système de résolution de conflits en la matière.
IV. CONTINUITÉ DES JUGEMENTS DE FILIATION DANS LES DEUX PAYS
1. LIMITE DU FORUM-SHOPPING POUR LA RECONNAISSANCE DES DÉCISIONS DE FILIATION
En Espagne, les effets constitutifs ou d’inscription au registre d’une décision judiciaire marocaine relative à la filiation sont soumis au respect de plusieurs conditions prévues à l’art. 23 C.H-M. Celles-ci se réfèrent au contrôle de la compétence judiciaire internationale du tribunal d’origine, aux garanties procédurales, à l’autorité de la chose jugée, au respect de l’ordre
public de l’État requis et à l’absence de contradiction avec une décision prononcée dans l’Etat requis ou une procédure pendante dans ce dernier.
Parmi ces conditions, il n’est pas obligatoire de contrôler le droit applicable par le tribunal de l’Etat d’origine74, ce qui attire tout spécialement l’attention en raison des différences abyssales entre le droit espagnol et le droit marocain en matière de statut personnel. On peut estimer sans aucun doute qu’établir un contrôle de la loi applicable, même en corrigeant l’équivalence de résultat, est un obstacle à la coopération internationale difficilement justifiable aujourd’hui75. En fait, le C.H-M comprend des règles pour le secteur de la reconnaissance et de l’exécution de décisions, ainsi que pour l’assistance juridictionnelle internationale, mais il ne présente pas de critère facilitant aux autorités de l’Etat requis un contrôle de compétence judiciaire internationale. Ceci génère des difficultés de type pratique, obligeant à faire des recherches sur la réglementation interne de l’Etat d’origine face au problème à résoudre. L’élargissement des fors de compétence judiciaire internationaux prévus dans le DIPr. espagnol ainsi que dans le droit privé marocain, et la recherche du for correspondant favorisent les situations de fraude à la loi76. C’est le
cas, par exemple, quand un marocain musulman nationalisé espagnol ou un espagnol converti, résidant tous deux en Espagne, présentent un recours devant l’autorité judiciaire marocaine pour contester la filiation. Selon ce que dispose l’art. 2 du CFM, le ius religionis de la personne prime sur sa loi nationale, applicable à tous les musulmans qui se trouvent au Maroc77. Un serment d’anathème ou li’ân du demandeur suffira pour que la contestation soit admise et dictée par le juge marocain, celui-ci évitant de la sorte toute responsabilité concernant le versement d’une pension alimentaire pour l’enfant. Ce type de situation se retrouve également en cas de demande de contestation de paternité légitime présentée jusqu’à un an après la répudiation, identifiée comme présomption al firach, de sorte que le défendeur ait à assumer les aliments d’un enfant qui n’est pas le sien. Conformément à la réglementation du Maroc sur la compétence judiciaire internationale, le juge peut connaître de la demande de paternité en raison de la nationalité marocaine du demandeur, voire même, lorsque celui-ci est de confession musulmane, indépendamment de sa nationalité. Les « éventuels binationaux » peuvent également faire du forum shopping, en comparant le contenu des droits matériels en présence et les possibilités de succès d’une action intentée en recherche de filiation des autorités d’un Etat national ou d’un autre.
La décision judiciaire qui, le cas échéant, sera prononcée, aura des effets en Espagne, après exequatur, sans que l’autorité espagnole puisse mettre en doute l’« éventuelle compétence exorbitante » que la Cour marocaine s’est attribuée selon sa propre réglementation78. L’existence dans le système marocain de
fors privilégiés (forum actoris) implique une faible proximité du cas avec le tribunal, capable de produire une charge procédurale fort peu raisonnable pour le défendeur, minimisant ses garanties procédurales et limitant son droit à la tutelle judiciaire effective. Cette situation a une incidence directe sur le contrôle de l’ordre public espagnol, selon ce qui est prévu à l’art. 23-4 du C.H-M, et non pas sur la fiscalisation de l’attribution de la compétence du tribunal d’origine.
Les juges espagnols qui interviennent dans la reconnaissance de jugements marocains dans d’éventuels cas frauduleux n’examinent généralement pas les motifs avancés pour assurer un for plus favorable, bien que le juge de l’exequatur puisse faire des investigations sur les faits suspicieux79. Dans ce cas, on fiscaliserait si, dans l’attribution de compétences des tribunaux marocains sollicitée par le demandeur dans ce pays, ont existé des rattachements suffisants, tel que la résidence habituelle. L’amplitude du for des deux ordres juridiques, circonstance qui favorise les fors concurrents, laisse place à ce que tant les tribunaux espagnols que marocains s’attribuent des compétences judiciaires internationales pour connaître d’une même affaire de filiation. De cette manière la personne peut élire le for qui lui convient le mieux en fonction de la loi que le juge applique. La question du forum shopping aurait sans doute pu se résoudre en introduisant des fors attributifs de compétence quand le C.H-M a été élaboré, ce qui aurait réduit les éventuelles fraudes en matière de compétence judicaire internationale.
Il est vrai que ces obstacles peuvent être résolus par la voie conventionnelle, tel que le souligne la Convention franco-marocaine, laquelle, à la différence de la C.H-M80, établit des critères de compétence judiciaire directe, telles que le domicile commun ou, subsidiairement, la nationalité commune81.
2. LE CONTRÔLE DE L’ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL ESPAGNOL FACE À LI’ÂN
En principe, rien ne s’oppose à ce qu’une décision judiciaire marocaine relative à une reconnaissance ou une opposition en paternité ait des effets en Espagne, introduisant dans le for, des valeurs provenant du système marocain, si celles-ci ne sont pas contraires à l’ordre public international espagnol. De fait, l’une des grandes différences entre les secteurs de reconnaissance et du droit applicable, est la plus grande flexibilitéavec laquelle on travaille dans le premier. De cette manière, il est possible d’admettre dans le for des décisions étrangères qui partent de valeurs différentes de celles qui étaient prévues dans ce dernier, permettant parfois d’apporter des solutions qui ne pourraient être adoptées par un tribunal espagnol.
En ce sens, l’article 23.4 C. H-M inclut le contrôle de l’ordre public de la décision soumise à la reconnaissance, ainsi que les examens des «principes du droit international qui seraient applicables dans le même Etat (requis) ». Cette dernière référence est, pour le moins, déconcertante, puisqu’il est difficilement imaginable que lesdits principes soient appliqués dans le simple but d’empêcher la validité d’une résolution étrangère82. Par conséquent, on doit interpréter l’art. 23.4 C.H-M comme une allusion qui est faite au contrôle de l’ordre public international de l’Etat requis en tant que condition de reconnaissance. Il faut ainsi contrôler l’ordre public international du système étatique ou du for83 étant donné que la décision marocaine de filiation qui va produire des effets en Espagne,doit en respecter les valeurs et les droits.
L’art. 23.4 C. H-M exige, en particulier, que soit contrôlé l’aspect matériel de l’ordre public international. Dans la pratique, ce contrôle constitue l’une des bases les plus utilisées pour refuser la reconnaissance des décisions marocaines en Espagne, puisque certaines des institutions islamiques sont
susceptibles d’entrer en conflit avec les principes fondamentaux du droit espagnol84.
L’un des problèmes les plus importants dans le cadre des relations hispano-marocaines est, sans aucun doute, celui de l’efficacité, en Espagne, des décisions judiciaires relatives à la contestation en paternité légitime par le biais la réalisation du processus de l´iam par le mari. Sur ce point, d’après l’art. 154 CFM, la filiation paternelle légitime établie par présomption al firach est conditionnée à la date de la naissance de l’enfant (qui doit naître dans les six mois qui suivent la conclusion du mariage, ou au cours de l’ànnée suivant la dissolution du lien conjugal), pourvu qu’il y ait une possibilité réelle ou supposée que les conjoints aient maintenu des rapports sexuels. En fait, en cas de conflits entre le père et la mère quant à la date de la conception ou de la naissance de l’enfant, il est possible que la paternité soit contestée par le procédé du serment d’anathème ou li’ân, dans lequel le mari accuse son épouse d’adultère -ce qui provoque la dissolution judiciaire du mariage- en même temps que cela empèche que l’enfant continue à être juridiquement lié au mari de sa mère.
Apparemment, la reconnaissance d’une décision de contestation de paternité légitime marocaine par le biais de li’àn, peut porter atteinte aux principes fondamentaux et justifie par conséquent le rejet de ladite reconnaissance. Tout d’abord parce que cette institution va à l’encontre des principes de non-discrimination pour raison de sexe puisque seul le mari a la possibilité d’intenter une action en contestation de paternité. En effet, l’homme et la femme ne jouissent pas des mêmes droits, ni des mêmes moyens de preuves pour établir la reconnaissance de paternité correspondante, il y a donc bien dans ce cas, une grave discrimination entre les sexes (article 14 Cst. ES). En outre, la procédure de li’ân peut en arriver à affecter la dignité de la femme (article 10.1 Const.ES). Soulignons par ailleurs que cela peut affecter l’intérêt de l’enfant s’il n’existe pas de garanties suffisantes pour proclamer sa filiation réelle, étant donné que la connaissance de sa propre origine constitue un élément qui fait partie de la dignité de la personne et qui est indispensable au bon équilibre de sa vie (article 10.1 Cst.ES). D’où il résulte qu’il nous faut
considérer li’ân comme une institution musulmane pensée pour l’homme où l’on ne pense ni à la défenderesse, ni à l’enfant, dont la filiation est contestée. Cependant, avant de procéder au rejet automatique de la décision marocaine relative à la contestation de la paternité, il est indispensable d’examiner minutieusement les circonstances concrètes du cas pour adopter des solutions selon des critères de justice matérielle. Et tout cela sans perdre de vue ce qui résulterait de la stricte application des principes fondamentaux
de la reconnaissance des résolutions étrangères.
La Cour suprême marocaine a pris une série de mesures pour pouvoir admettre ce serment d’anathème85, afin d’éviter que l’homme abuse de ce procédé. Concrètement, la Haute Juridiction marocaine insiste sur le moment précis où le mari doit réaliser li’ân, c’est-à-dire le moment où l’homme apprend que sa femme est enceinte, ou lorsqu’il a connaissance de la naissance de l’enfant86. Si le serment est prononcé ultérieurement, la Haute Juridiction marocaine rejette la contestation en paternité car le délai pour présenter li’ân est dépassé. Li’ân peut également être rejeté si le mari a des rapports sexuels après avoir pris connaissance de la grossesse de son épouse ou du fait que l’enfant né n’est pas de lui. Ce rapport sexuel peut être prouvé par aveu du mari, ou par des témoins déclarant que les époux ont partagé des moments intimes, propices à une relation sexuelle87. Par conséquent, pour qu’une décision marocaine en contestation de paternité effectuée par le biais de li’ân surmonte le contrôle de l’ordre public matériel, il est exigé de démontrer que l’enfant a un intérêt légitime dans la reconnaissance de ladite décision judiciaire en vue d’établir son status filii réel. On présume que cet intérêt existe
lorsque c’est l’enfant lui-même -ou son représentant légal s’il est mineur- qui sollicite la reconnaissance en Espagne de la décision marocaine. Néanmoins, il nous faut souligner qu’avec la nouvelle Moudawana, li’ân est toujours en vigueur, mais le juge peut réclamer des examens médicaux spécialisés pour faire constater la date de la conception en cas de conflit de paternité légitime (art. 134 CFM). On considère donc que, dans cette situation, il ne doit pas y avoir de difficulté pour que la décision marocaine de filiation surmonte le contrôle d’ordre public matériel, la paternité étant prouvée par des analyses de médecins spécialistes ou un test ADN.
Il ne devrait pas y avoir non plus, en principe, de problème pour surmonter le contrôle de l’ordre public procédural, vu que l‘épouse dispose de la possibilité de s’opposer à ce que son mari fasse le serment d’anathème. Lorsque cela arrive, et si le mari insiste pour continuer à demander la contestation de sa paternité, le juge peut réclamer une expertise médicale, même si la femme refuse ce procédé88. Toutefois, l‘ important est que l’épouse accusée d’adultère ait le droit de participer à la procédure, et de se défendre. Et si c’est le cas, l’ordre public procédural ne sera pas affecté89. Par conséquent, en ce qui concerne le procédé de li’ân, le contrôle de l’ordre public procédural devient moins rigoureux, acceptant comme unique condition que la femme soit entendue et que ses droits lui soient reconnus.
En définitive, le fait que la femme ou l’enfant, en tant que sujets affectés par une décision de contestation en paternité sur la base d’une procédure de li’ân sollicitent des autorités espagnoles la reconnaissance de ladite décision marocaine, constitue un point favorable pour que l’on ne contrôle pas l’ordre public international de façon excessive90. Par conséquent, si la reconnaissance des décisions marocaines en contestation de paternité est rejetée, un préjudice plus important encore pourrait être infligé à ceux qui se sont vus affectés dans leurs intérêts par la procédure de li’ân au Maroc. S’il en était ainsi, l’enfant né en Espagne serait obligé de se présenter devant les autorités espagnoles
au début d’une nouvelle procédure sur la détermination de la filiation pour faire constater la nouvelle réalité. Nous réclamons une solution de la part des autorités marocaines afin d’éviter des situations boiteuses dans laquelle l’enfant a plus à gagner –quoique cela sera difficile car l’institution de li’ân bénéficie à l’homme- et va à l’encontre des intérêts des femmes et des enfants. Cela ne signifie pas qu‘une décision portant atteinte à l’ordre public international espagnol produira des effets dans le for, mais plutôt qu’il existe une possibilité que cette décision déploie en Espagne certains de ses effets. Soutenir le contraire signifierait élever le formalisme du principe égalitaire au-dessus du résultat matériel qui se produit dans ce cas91. Par conséquent si la reconnaissance des décisions marocaines en contestation de paternité est rejetée, cela pourrait en arriver à créer un préjudice majeur pour ceux qui se
sont déjà vus affectés dans leurs intérêts par le procédé de li’ân au Maroc.
L’importance que revêt, à l’heure actuelle, la coopération judiciaire entre l’Espagne et le Maroc est évidente, de même que le besoin de faciliter, entre les deux pays, la reconnaissance des décisions relatives à la filiation. Pour ce faire, il est fondamental d’assouplir de flexibiliser l’application de l’ordre public international, dans l’objectif de protéger l’épouse et l’enfant: partie la plus faible de la situation juridique en contestation de paternité. Toutefois, dans le cas spécifique li’ân, la marge de manœuvre laissée par la rédaction de l’art. 23.4 premier paragraphe C.H-M, pour passer le contrôle de l’ordre public est positive, étant donné que cela répond aux éventuelles lacunes relatives à la réalité discriminatoire de cette institution ainsi qu’à l’obligation imposée par l’art. 33 C.H-M sur l’information juridique entre les autorités des deux Etats.
3. LES DÉCISIONS JUDICIAIRES ESPAGNOLES RELATIVES À LA PATERNITÉ NATURELLE ET LEURS POSSIBLES VALIDITÉS AU MAROC
L’échange de décisions judiciaires entre L’Espagne et le Maroc en matière de filiation pose de sérieux problèmes dans les cas où les décisions se réfèrent à la paternité naturelle, vu l’impossibilité d’obtenir leur homologation dans le pays voisin. L’abîme existant entre le droit matériel espagnol et marocain sur ce point, empêche l’obtention de ladite homologation, la reconnaissance
s’avérant contraire à l’ordre public international marocain. La volonté de continuité de la filiation dans l’espace constitue l’une des principales raisons de la reconnaissance de la situation générée dans un pays devant les autorités de l’autre Etat, procurant la stabilité et la permanence du statut juridique d’une personne. Il est important, dans ce domaine, d’éviter les situations juridiques boiteuses, surtout lorsque le droit de toute personne a un status filii est en jeu. Le juge espagnol devant lequel la réclamation ou contestation de la relation materno/paterno-filiale est formulée, prendra en considération le binôme harmonie matérielle versus harmonie internationale92. L’autorité judiciaire espagnole s’en tient à la vérité biologique comme une valeur d’ordre public interne, ce qui rompt la continuité de la reconnaissance, optant ainsi pour l’harmonie interne, au détriment de la reconnaissance du jugement espagnol au Maroc, qui répond lui à l’application de l’ordre public international (art. 23.4, premier paragraphe du C.H-M)93. Les autorités des pays islamiques sont particulièrement minutieuses en ce qui concerne la réception limitée des situations consolidées à l’étranger quand la loi nationale de la personne provenant d’un Etat islamique n’a pas été respectée94. En dépit de cela, nous avons observé, dans le pays voisin, une tendance à modifier le statut quo existant en raison de l’augmentation de situations juridiques privées internationales de ses émigrants, surtout relatives au mariage et au divorce, position qui n’a pas été adoptée pour la filiation. Les arts. 14, 15 et 128 du nouveau CFM ont simplifié l’homologation des mariages et des divorces qui ont eu lieu en dehors du Maroc95.
Les systèmes juridiques occidentaux utilisent la qualification fonctionnelle comme moyen pour affronter les institutions inconnues par le for, option qui peut également être valable pour le Maroc. De cette façon, vu qu’il n’existe pas dans le droit marocain de couverture juridique pour la paternité naturelle, une solution possible consisterait à chercher une fonction sociale en dehors du mariage. Il faudrait ainsi chercher une institution qui, dans l’ordre juridique marocain, aurait une fonction équivalente ou qui soit la plus proche possible de la filiation naturelle établie à l’étranger. Il s’agit, en somme, de recourir à la « transposition d’institutions », technique basée sur le principe d’ « équivalence d’institutions », dont le but principal est de transposer une institution étrangère dans une autre institution connue par le for, dans le dessein de garantir la continuité et la reconnaissance, dans ce for, de la première institution. À cet effet, pour arriver à l’équivalence désirée, il est indispensable que l’institution étrangère, tout comme celle du for, aient correspondance la plus proche possible.
Cependant, il nous faut être réalistes : les autorités marocaines se montrent très peu enclin, dans le domaine du droit de la famille, à admettre des institutions inconnues de l’ordre musulman, et qui touche à l’ordre public marocain96. Preuve en est la décision de la CS nº 658, du 30 décembre 200497, qui n’a pas validé le jugement français qui contestait la filiation matrimoniale, pourtant confirmée par test ADN. De même, il a été impossible de transposer la filiation adoptive, telle qu’elle est connue dans les ordres occidentaux, à une autre institution marocaine, comme la kafala ou le tanzil.
Il est vrai qu‘il persiste au Maroc une certaine inefficacité des décisions judiciaires espagnoles relatives à la paternité naturelle, puisque les autorités marocaines la considèrent contraire à l’ordre public marocain. Il sera sans doute peu probable que des juges marocains, à court ou à moyen terme, en arrivent à changer de position et admettent des formules comme celles que nous proposons. Prenons pour exemple l’arrêt de la CS nº. 147, du 26 avril 200498, se référant à une demande d’exequatur au Maroc d’un jugement
français concernant un divorce entre ressortissants marocains où une pension alimentaire avait été accordée à la fille adoptive. Les juges marocains ont accepté partiellement l’exequatur. Concrètement, ils n’ont homologué que la partie relative au divorce mais pas la partie du prononcé concernant les aliments pour la fille, considérant l’adoption comme contraire à l’ordre public marocain.
Les décisions espagnoles sur la paternité naturelle n’ont aucune efficacité au Maroc, cependant, il est possible de saisir la justice pour responsabilité extracontractuelle contre une personne qui a commis un acte en dehors de la loi99. Par conséquent, et selon l’explication que donne le guide pratique de l’article 148 CFM, l’enfant né de relations sexuelles illicites pourrait réclamer à son père des dommages psychiques causés par cet acte illicite, conformément à la possibilité d’une demande d’indemnisation sur la base de la responsabilité civile. La décision espagnole peut valider les faits qui y sont prouvés, même avant d’être soumise à l’exequatur, possibilité que prévoit l’art. 418 du Code marocain des obligations et contrats du 13 septembre 1913100. Par conséquent, nous pouvons nous demander si une décision espagnole de paternité non matrimoniale pourrait être reconnue avec effet probatoire par le tribunal marocain dans le processus de responsabilité que nous venons de mentionner. La décision espagnole servirait de preuve aux juges marocains pour déterminer certains faits relatifs à la cause de la naissance et aux relations complexes entre parties au litige. En somme, il s’agirait de la part des autorités marocaines de considérer l’effet probatoire de l’exécution émise par les tribunaux espagnols comme tout autre document public étranger.
Mais conformément à la rigidité de la position de la justice marocaine, la proposition s’avère négative101.
Pour conclure, les jugements et arrêts rendus par les organes juridictionnels espagnols sur l‘établissement de paternité non matrimoniale ne sont pas susceptibles aujourd’hui de produire effet au Maroc, que ce soit pour un effet de la chose jugée matérielle, un effet constitutif ou d’inscription au registre, ni même un effet probatoire. il faut également oublier la possibilité de pouvoir obtenir au Maroc la reconnaissance partielle d’une décision qui contienne un double prononcé sur la déclaration de paternité naturelle, reconnaissance de paternité et sur les aliments102. Accepter une reconnaissance partielle impliquerait sans aucun doute (une tolérance) de l’effet atténué de l’ordre public international marocain. Mais actuellement, ledit effet atténué n’est pas admis; il est donc impossible d’obtenir au Maroc la reconnaissance de ce type de décisions judiciaires puisque l’institution de la filiation naturelle n’est pas compatible avec l’ordre public de ce pays. Il nous faudra attendre que les juges marocains finissent par admettre des positions plus flexibles en matière de filiation tel que cela est arrivé dans d’autres secteurs103. Dans cet objectif,
certaines minorités de fatuas ou de décisions de jurisconsultes musulmans104 se référant à l’enfant né en dehors du mariage revêtent une énorme importance. Ces prononcés ouvrent de nouvelles solutions pour que ces enfants puissent être reconnus par leur père. Néanmoins, jusqu’à ce que cela n´arrive, nous continuerons à voir apparaître des situations juridiques boiteuses en matière d’établissement du lien de filiation dans les relations entre l’Espagne et le Maroc.
Les références
Cf. les résolutions de la DGRN (1º) du 10.06.2013 ou du 21.09.2012.
ntroduite par la Loi 26/2015, du 28 juillet 2015 portant modification du système de protection de l‘enfance et de l‘adolescence
Précepte introduit par la Loi organique 7/2015, du 21 juillet modifiant la Loi Organique 6/1985, du 1er juillet, du Pouvoir judiciaire
Le CFM et l’ancienne Moudawana utilisent la version en arabe pour désigner les moyens de preuve relatifs à la filiation par le terme « moyens de la Charia », c’est-à-dire, les moyens traditionnels du droit musulman. Il n’est donc pas possible d’invoquer le droit positif d’inspiration moderne, comme les moyens qui figurent dans le CPCM (code de procédure civile marocain).
Dans l‘arrêt de la CS marocaine nº 31 du 18.01.2006 (Revue Al Qasr, 2006, nº 14, p.159, en árabe et traduction personnelle), le mari nie avoir eu des relations sexuelles avec son épouse une fois que celle-ci a abandonné le domicile conjugal. Il a interposé li’ân contre la femme pour l’accuser d’adultère et, de plus, il a demandé à l’autorité judiciaire de pouvoir avoir recours à des analyses réalisées par des médecins spécialisés afin de prouver qu’il n’était pas le géniteur de l’enfant. Les juges se sont opposés à cette expertise médicale car ce moyen n’était pas prévu par le fiqh traditionnel. De cette manière, on affirme que la présomption de paternité al firach peut uniquement être assurée par la voie du serment d’anathème ou li’ân. Cette interprétation jurisprudentielle de l’art. 153 CFM est restrictive, vu que le législateur a clairement prévu l’utilisation des expertises de médecins spécialisés comme preuve, ou des tests ADN pour établir ou contester la filiation, s’adaptant de la sorte au progrès de la génétique. Cependant, les juges sont encore réticents à l’utilisation de ces moyens de preuve, tel que le démontre la décision de la CS marocaine du 16.07. 2008 (inédite et fournie par le juge Bouhya. A.) où il est décidé de recourir à son pouvoir d’appréciation et non pas au test ADN.
Décision nº 658, du 30.12.2004,
cf. concrètement, la décision de la CS marocaine du 09.03.2005, Revue de la Cour Suprême, nº 63, p. 372 et Revue de la Justice de la Famille, nº 1, juillet, 2005, p. 91 s. (en arabe, traduction personnelle); décision de la CS marocaine du 16.07.2008 (inédite et fournie par le juge Bouhya) où la CS n’a pas recouru au test ADN, utilisant son proprepouvoir d’appréciation sur la base de preuves apportées pour que la contestation de paternité présentée par le mari ne soit pas acceptée.
Statut personnel : droit commun – capacité, mariage, filiation »
Tel qu’il est confirmé dans l’arrêt de la CS marocaine du 13.09.2006 (inédit et fourni par le juge Bouhya). Cette résolution démontre que l’acte de mariage a uniquement pour but la preuve de son efficacité. Ainsi, lorsque cela n’a pu se faire au moment adéquat, la cour, dans une action de reconnaissance de mariage, admettra tous les moyens de preuve, comme la déclaration des témoins ayant prêté serment.
Dans la décision de la CS marocaine nº 35, du 10.01. 2007 (inédit et fourni par le juge Bouhya), le père nie la paternité et le juge aux affaires notariales confirme ledit rejet en se basant uniquement sur la date de l’acte du mariage et celle de la naissance de l’enfant, laquelle s’est produite dans un délai inférieur à six mois après la célébration du mariage. La mère a présenté un recours, argumentant que ledit juge avait ignoré les autres preuves, comme le fait que le père avait inscrit l’enfant à l’état civil; que dans la procédure de divorce et de nafaqa entre les conjoints, le père n’a pas contesté la paternité et qu’il a réalisé des transferts économiques correspondant à la pension alimentaire de l’enfant. Ces preuves ont été déterminantes pour que la CS finisse par reconnaître le lien entre le père et l’enfant en s’appuyant sur le fait que la relation matrimoniale consensuelle existait bien avant l’acte de mariage, c’est à dire, en interprétant de manière ample le lien conjugal basé sur le rite malékite. Dans ce même sens, dans son arrêt nº 553, du 27 septembre 2006 (inédit et fourni par le juge Bouhya), la Cour suprême s’est basée sur le rite malékite pour déclarer que la paternité était prouvée, bien que l’enfant soit né avant le délai de six mois.
Cf. ZAGOURI, A., Du mariage en droit hébraïque, Paris,
Dans l’ordre juridique marocain, il existe plusieurs lois spécifiques qui régulent (dans certains paragraphes) l’état civil, le mariage et le divorce des étrangers, comme le Dahir nº 1-02-239 du 25 rejeb 1423, du 03.10.2002, contenant la promulgation de la loi nº 37/99 relative à l’état civil; le Décret nº 2-99-665 du 2 chaabane 1423, du 09.10.2002 pour l’application de la loi nº 37/99 relative à l’état civil; le Dahir nº 1-60-020 du 6 ramadan 1379, du 04.03.1960 relative à la forme de célébration des mariages entre les hommes marocains et les étrangères, ainsi que les femmes marocaines et les étrangers
Le droit sur le statut personnel hébraïque n’a pas été réglementé et renvoie aux textes du Talmud et à la jurisprudence des rabbins
L’expression «tous les marocains» mentionnée à l’article 2 CFM doit être interprétée en accord avec l’art. 3.1 du Code de la nationalité marocaine en vigueur. Cf. le commentaire de l’art. 2 CFM
sur la condition civile des français et des étrangers au Maroc prévoyait que les réfugiés et apatrides étaient soumis au droit français, solution contraire à ce qu’établit actuellement l’art. 2 du CFM.
L’application de cette Convention a été adoptée dans le Dahir nº 1-57-271 du 26.08.1957 (B.O. nº 2341, du 06.09.1957). Quant aux apatrides, la référence à la Convention de Genève s’avère confuse, vu que cette situation est réglementée dans la Convention de New York du 28.09.1954, que le Maroc n’a pas signé. Cependant, le guide pratique du CFM explique que cela n’empêche pas de considérer les principes prévus dans ladite Convention pour sauvegarder les intérêts des apatrides, disponible sous http://ejustice.justice.gov.ma/justice/ console/Uploads/Doc/guidecodefamille.pdf.; Guide pratique du Code de la Famille (3ième éd., éditée par l’Association de Diffusion de l’Information Juridique et Judiciaire, Rabat, 2005, p. 27). Cf. également QUIÑONES ESCÁMEZ, A. «La réception du nouveau code de la famille marocain (Moudawana, 2004) en Europe»
Voir à ce sujet DEPREZ, J., «Environnement social et Droit international privé. Le droit international privé marocain entre la fidélité à l´Umma et l´appartenance à la communauté internationale», Droit et environnement sociale au Magreb, Casablanca, Fondation du Roi Abdul Aziz Al Saoud pour les études islamiques et les sciences humaine
«Le nouveau Code de la Famille»
«Maroc. Pluralisme des statuts personnels. Conflits interpersonnels»
«Las minorías en el DIPr.; algunos aspectos específicos de la situación en Israel»
«Le pluralisme des statuts personnels au Liban. Son régime, ses limites»
«Maroc. Pluralisme des statuts personnels…»
La conception qui domine dans toute législation du DIPr. inspirée du droit islamique, est fondée sur la doctrine qui réserve pour tout musulman l’application des lois coraniques, indépendamment de son domicile. Le critère de réciprocité est applicable pour les étrangers non-musulmans en terre de l’Islam, ces derniers seront donc jugés par leurs propres autorités, sauf s’ils se soumettent volontairement à la juridiction religieuse
«Maroc. Pluralisme des statuts personnels…»
par lequel est promulguée la loi nº 62-06 qui modifie et complète le Dahir nº1-58-250 relatif à la CNM de 1958.
qui démontrent que les réserves concernant les marocains non musulmans et non juifs sont annulées par l’art. 2 CFM en vigueur. Par contre SEREHANE F., affirme que ces exceptions doivent être maintenues [«Le nouveau code de la famille», Gazette du Palais. Chronique Judiciaire, nº 247-248, 3-4.09.2004, pp. 2792-2805, spéc. p. 2792 (note 8)].
Un secteur de la doctrine considère le Dahir de 913 comme le code de DIPr. marocain. Cf. SAREHANE, F. & LAHLOU-RACHDI, N., «Maroc. Conflits de lois…»
«La conflictividad de las leyes en el Derecho internacional especial marroquí y el derecho internacional especial español; aplicación a los vínculos familiares, al matrimonio mixto y a la nacionalidad»
renons pour exemple la décision de la CS du 05.07.1974, RJPEM, nº 13-14, 1983, pp. 132- 136 (en arabe et traduction personnelle) qui penche pour l’application du droit marocain face à demande d’ouverture d’un héritage au Maroc d’un étranger musulman, refusant de prendre en considération la loi nationale du de cujus.
L’ordre applicable au statut personnel des étrangers musulmans sera le droit marocain musulman (Moudawana) et ceci indépendamment de leur nationalité. D’après ce qu’expliquent SAREHANE, F. & LALOU-RACHDI, N., il s’agit d’une solution de nature jurisprudentielle, qui sera plus tard reprise dans le Dahir du 2404.1959 modifiant le Dahir du 04.04.1956 relatif à l’organisation judiciaire au fonctionnement des Tribunaux musulmans («Maroc. Conflits de lois...», loc. cit., p. 12). En ce sens, cf. SAREHANE, F. & LAHLOU-RCHIDI, N., «Réflexions sur quelques règles de conflit de lois à l´épreuve de la pratique», Le droit international privé dans les pays maghrébins. Les conflits de lois: le statut personne
La base de cette réponse se trouve dans une jurisprudence constante. À titre d’exemple, cf. la décision de la CS marocaine nº 250, du 05.06.1974, RJPEM, nº 13-14, 1983, p. 132 (en arabe et traduction personnelle). Concrètement, dans cette affaire appelée Eugène Girel, l’Etat marocain a été autorisé à toucher une succession conséquente laissée par un citoyen français converti à l’Islam, privant ainsi de leurs droits les héritiers légitimes et non musulmans sur la base de l’application du droit du for, rejetant la loi nationale française du de cujus. Cette décision peut être consultée dans NAJM, M.C., Principes directeurs du droit international privé et conflit de civilisations…, cit., p. 191. Avec l’actuel CFM, ce type de décision serait plus problématique, quoiqu’en vérité l’interdiction de la transmission de droits successoraux entre musulmans et non musulmans est encore appliquée. Voir en ce sens, la résolution de la CS marocaine du 09.03.2005 relative à la détermination de la filiation conformément la Mudawana d’un citoyen français de religion musulmane (inédite et facilitée par le prof. Loukili. M.) En général, sur ce thème, cf. FOBLETS, M.C.& CARLIER, J. Y. Le code marocain de la famille…, cit., pp. 8-9 et la bibliographie citée.
Sur les caractéristiques du système du DIPr. marocain, cf. MOULAY, A., «Les grandes lignes du droit international privé marocain en matière de statut personnel», RDE, 1991, nº. 7, pp. 7-54, p. 10. L’évolution du système de DIPr. au Maroc est passé par diverses étapes liées à l’histoire politique de ce pays. Depuis l’islamisation du Maroc, la condition d’étranger en terre de l’Islam se base sur le droit musulman. Et dans l’Islam classique on distinguait la juridiction des musulmans et celles des non musulmans. Dans cette dernière catégorie, on faisait également la différence entre les personnes de confession judéo-chrétienne qui habitaient dans les territoires conquis par l’Islam et la communauté non musulmane qui se trouvait occasionnellement sur ces terres de confession musulmane. Sur le sujet, cf. CARDAHI, C., «La conception et la pratique du DIPr. dans l´Islam», Recueil des Cours, 1937-II, pp. 507- 550, spéc. pp. 516-530. Le DIPr. Marocain régulé avant et après l’Indépendance peut être consulté dans BOUREY, M., «Le DIPr. du Maroc indépendant»,
Dans l’ordre marocain, le rattachement de la nationalité est la règle de rattachement traditionnelle, il en était ainsi établi dans le Dahir du 12.08.1913 sur la condition civile des français et des étrangers dans le Protectorat français du Maroc. Cette réglementation contient le système conflictuel applicable aux personnes (art. 3), au mariage (arts 8 et 11) au divorce (art. 9), aux régimes matrimoniaux (arts. 14 et 15), aux successions et testaments (art. 18). En cas de conflit de deux ordres réclamés selon chaque nationalité des personnes concernées dans une même institution, il faudra avoir recours à une analyse casuistique de la jurisprudence afin de trouver une solution unitaire et unique. Cf. RODRÍGUEZ BENOT, A.,
C’est-à-dire à la communauté des musulmans. Le concept Umma, à travers la notion de «mère» (umm), transmet toutes les valeurs religieuses, qui anticipent le royaume de Dieu sur la terre. Sur le thème de la Umma Cf. MAÍLO SALGADO, F., Diccionario de Derecho islámico…, cit., pp. 428-430. Sur l’appartenance du Maroc à cette union, cf. MOULAY RCHID, A., «Quelles solutions pour le statut personnel des émigrés marocain en Europe?», Le droit international privé dans les pays maghrébins. Les conflits de lois: le statut personnel, Casablanca, Cahiers des Droits Maghrébins, 1995, nº 1, vol. 1, pp. 109-135, spéc. p. 115; DÉPREZ, J., «Environnement social et Droit international privé.
L’expression « cordon ombilical » employée par ELWAN, O., «L´Islam et les systèmes de conflits de lois», Le statut personnel des musulmans. Droit comparé et droit international privé, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 313-342, spéc. p. 315. L’auteure se réfère à l’importance du lien religieux dans les règles de conflits des pays musulmans.
our le DIPr. Marocain, cf. DEPREZ, J., «Bilan de vingt-cinq années de droit international privé au Maroc», RJPEM, 1981, nº 10, pp. 125-151; id., «Droit international privé et conflits de civilisations…», loc. cit., pp. 19-372; id., «Le droit international privé marocain à travers les livres»
«L´influence de la religión dans le droit international privé des pays musulmans»
ne partie de la doctrine critique le privilège de la religion dans les relations internationales. L’Islam est égalitaire entre les religions, mais la doctrine classique islamique (jurisconsultes) n’admet pas qu’une partie musulmane se soumette à une autre loi, non-musulmane, dans le domaine des relations mixtes. Il est certain que cette règle du fikh islamique surgit à une époque de guerre de religions, où il n’y avait pas lieu de chercher une harmonisation des solutions. Mais ce privilège de religion est contraire aux principes et objectifs du dIPr. comparé, et il est, en sus, inéquitable pour la partie non-musulmane. Dans le DIPr. des pays occidentaux, les règles de rattachement se cherchent sur des critères objectifs (comme le domicile commun, la résidence commune…) ou sur le principe de « l’intérêt de l’enfant ». Par ailleurs, le critère de religion est contraire aux principes de l’esprit saint de la religion islamique qui défend l’égalité et la justice. Dans ce nouveau contexte, il est suggéré de laisser de côté le rattachement basé sur la religion, qui répond à une étape historique, car il est dangereux pour les relations avec les autres Etats et cela empêche toute harmonisation entre les ordres juridiques, résultant contraire aux principes et objectifs du DIPR.
«L´influence de la religion dans le droit international...»
Voir la décision de la CS marocaine
A titre d’exemple, la décision de la CS marocaine du 05.06.1974, dans l’affaire Eugène Girel a autorisé l‘Etat marocain à prendre possession d’une succession importante laissée par un ressortissant français converti à l’Islam au préjudice de ses héritiers, sur la base du fait qu’aucun d’entre eux n’était musulman, évitant ainsi l’application de la réglementation française du de cujus. Cette décision peut être consultée dans NAJM, Principes directeurs du droit international privé et conflit de civilisations…, cit., p. 191. Avec l’actuel CFM, ce type de décision serait plus problématique, bien qu’il soit certain que l’on continue à maintenir la prohibition de transmission de droits héréditaires entre musulmans et non musulmans.
en ce sens, voir la décision de la CS marocaine nº 119, du 02.01.2007, (en arabe, traduction personnelle) fournie par le prof. Loukili. L’affaire correspond à la liquidation de la succession d’un juif tunisien au Maroc. La CS affirme que le droit local juif ne peut être appliqué à la liquidation d’un héritage mais la réglementation tunisienne correspondant à la nationalité du de cujus. De cette manière, le privilège de la religion du sujet est uniquement pris en compte pour les étrangers musulmans résidant ou domiciliés au Maroc.
«Le droit internacional privé marocain entre la fidélité à l´Umma…»
«L´influence de la religion dans le droit international... »
Toutefois le droit hébraïque ne tient pas compte du fait que l’enfant soit né de relations extra-conjugales pour attribuer la nationalité marocaine de son père.
si le père n’est pas musulman, le mariage est considéré comme inexistant. Dans ce cas-là, l’enfant étant illégitime (de père inconnu) prend la nationalité de sa mère, tel que l’indiquent les règles sur la nationalité au Maroc.
«Les tendances doctrinales actuelles en droit international privé»
«Souveraineté territoriale et globalisation des marchés: Le domaine d´application des lois contre les restrictions de la concurrence»
«Sobre la función del Derecho internacional privado…»
«Objeto del DIPr y especialización…
«Reflexiones en torno al objeto y función del Derecho internacional privado»
«De las funciones del Derecho: organización y cambio social»
Voir à ce sujet, LAROCHE-GISSEROT, F., « Le nouveau Code marocain de la famille: innovation ou archaïsme? »
concernant l’utilisation de ce contrôle dans certaines conventions bilatérales souscrites par l’Espagne et la position jurisprudentielle espagnole sur l’exigence dudit contrôle,
«El exequátur de las decisiones dictadas por los Tribunales de Marruecos»
«L´influence de la religión dans le droit international privé des pays musulmans»
Une partie de la doctrine critique le privilège de la religion dans les relations internationales. L’Islam est égalitaire entre les religions, mais la doctrine classique islamique (jurisconsultes) n’admet pas qu’une partie musulmane se soumette à une autre loi, non-musulmane, dans le domaine des relations mixtes. Il est certain que cette règle du fikh islamique surgit à une époque de guerre de religions, où il n’y avait pas lieu de chercher une harmonisation des solutions. Mais ce privilège de religion est contraire aux principes et objectifs du dIPr. comparé, et il est, en sus, inéquitable pour la partie non-musulmane. Dans le DIPr. des pays occidentaux, les règles de rattachement se cherchent sur des critères objectifs (comme le domicile commun, la résidence commune…) ou sur le principe de « l’intérêt de l’enfant ». Par ailleurs, le critère de religion est contraire aux principes de l’esprit saint de la religion islamique qui défend l’égalité et la justice. Dans ce nouveau contexte, il est suggéré de laisser de côté le rattachement basé sur la religion, qui répond à une étape historique, car il est dangereux pour les relations avec les autres Etats et cela empêche toute harmonisation entre les ordres juridiques, résultant contraire aux principes et objectifs
«L´influence de la religion dans le droit international...»,
«Aplicación del nuevo Código de familia marroquí (2004) a supuestos de disolución del matrimonio»
Voir la décision de la CS marocaine nº 19 du 24.01.2007
A titre d’exemple, la décision de la CS marocaine du 05.06.1974, dans l’affaire Eugène Girel a autorisé l‘Etat marocain à prendre possession d’une succession importante laissée par un ressortissant français converti à l’Islam au préjudice de ses héritiers, sur la base du fait qu’aucun d’entre eux n’était musulman, évitant ainsi l’application de la réglementation française du de cujus. Cette décision peut être consultée dans NAJM, Principes directeurs du droit international privé et conflit de civilisations…, cit., p. 191. Avec l’actuel CFM, ce type de décision serait plus problématique, bien qu’il soit certain que l’on continue à maintenir la prohibition de transmission de droits héréditaires entre musulmans et non musulmans.
En ce sens, voir la décision de la CS marocaine nº 119, du 02.01.2007, (en arabe, traduction personnelle) fournie par le prof. Loukili. L’affaire correspond à la liquidation de la succession d’un juif tunisien au Maroc. La CS affirme que le droit local juif ne peut être appliqué à la liquidation d’un héritage mais la réglementation tunisienne correspondant à la nationalité du de cujus. De cette manière, le privilège de la religion du sujet est uniquement pris en compte pour les étrangers musulmans résidant ou domiciliés au Maroc.
«Le droit internacional privé marocain entre la fidélité à l´Umma…»,
«El convenio de cooperación judicial en materia civil, mercantil y administrativa entre España y Marruecos de 30 de mayo de 1997»
Cette même question relative à la fraude s’est également posée concernant l’institution de la répudiation
Les références
Souvenons-nous que pour les étrangers musulmans, le droit marocain musulman (Mudawana) sera toujours l’ordre applicable à leur statut personnel, et ceci indépendamment de leur nationalité. D’après ce qu’expliquent SAREHANE, F. & LAHLOU-RACHDI, N., cela porte sur une solution de nature jurisprudentielle, accueillie plus tard par le Dahir du 24.04.1959, qui a modifié à son tour le Dahir du 04.04.1956 relatif à l’organisation judiciaire et au fonctionnement des tribunaux musulmans («Maroc. Conflits de lois...», cit., p. 12). Plus encore si l’on tient compte du fait que Mahoma affirmait dans la Sunna que «celui qui déclare qu’il n’y a pas d’autre Dieu que Allah et que son prophète est Mahoma, est musulman». Par conséquent, il est presque impossible pour l’autorité marocaine de détecter la fraude du converti.
«La normativa convencional hispano-marroquí sobre reconocimiento...»
Sur l’influence possible des règles conventionnelles dans le contenu de l’ordre public des systèmes de droit étatique ou interne
Dans la jurisprudence espagnole, les problèmes se posent fondamentalement quant à la reconnaissance de la répudiation. Cf. les arrêts de la CS du 14.04.(RJ 1998/3563) et du 23.06.1998 (RJ 1998/5337)
Cf. Les décisions de la CS marocaine, nº 128, du 0507.1971, p. 65; nº 115, du 22.051972, pp. 72; nº 1542, du 24.12.1985, p. 186 et nº 42, du 26.01.1999, p. 314 s. qui peuvent être consultée TAOUFIK, A., Jurisprudencia del TS en materia de estatuto personal y materia inmobiliaria, 1ère éd., Casablanca, Al-Maktaba Al-Ganuniya, 2002 (en arabe, traduction personnelle). Cf. également les décisions de la CS marocaine nº 56, du 29.12. 1970 et nº 254, du 18.05.(inédits et en arabe) facilités par le prof. Moulay. Dans ce même sens, les décisions de la CS marocaine nº145, du 03.02.1987 et nº 1802, du 05.12.1989, qui peuvent être consultées dans BENNIS, K., Diccionario del estatuto personal y de sucesiones, Rabat, RDMK, 1998, (en arabe, traduction personnelle), pp. 54-55.
la décision de la CS marocaine nº 780, du 13.11.2002, citée par JAUHAR, M., «Prueba y negación de la filiación. Entre la medicina e incógnita», edición especial, jornadas sobre la familia marroquí, entre la doctrina malikí y el derecho positivo,
C’est ce qui s’est passé en France quant aux répudiations, concrètement dans l’arrêt de la Cour de cassation civile du 18.12.1979, Rev. crit. dr. int. pr., 1981-I, pp. 88-90. Dans cette décision, il a été admis qu’une répudiation n’est pas contraire à l’ordre public si cela donne lieu à une procédure où chaque partie fait valoir ses prétentions.
a position des décisions de la CS du 14.04 (RJ 1998/3563) et du 23.07.1998 (RJ 1998/5337) sur la reconnaissance d’une répudiation. Sur ce thème, cf. QUIÑONES ESCÁMEZ, A., Derecho e inmigración... cit., pp. 121-138; MARCHAL ESCALONA, N., «El repudio ante la jurisprudencia del Tribunal Supremo»
Contreposition déjà présente dans la STC allemande, du 04.05.1971. materiales de prácticas, Madrid, 1983, p. 79; MIAJA DE LA MUELA, A., «Sobre los principios rectores de las reglas de competencia territorial de los tribunales... »
Pour éviter des situations juridiques boiteuses, la doctrine espagnole insiste sur l’importance de l’application du CFM en matière de divorce pour que la décision espagnole puisse passer favorablement le contrôle de l’ordre public international et, finalement, obtenir la reconnaissance au Maroc.
«Le droit international privé marocain entre la fidélité à l´Umma…
«La réception du nouveau code de la famille marocain (Moudawwana, 2004)…»
sur le concept d’ordre public marocain en matière de statut personnel cf. OUNNIR, A., «La reconnaissance et l´exécution des jugements étrangers au Maroc…»
7 Publiée dans Revue de Jurisprudence de la Cour Suprême, nº 63 (en arabe et traduction personnelle)
le guide pour l’explication du CFM s’inspire d’une résolution de la CS marocaine
«le document ou acte authentique sont réalisés par des fonctionnaires publics habilités dans le lieu désigné à cet effet et en la forme prévue par la loi.»
Un problème d’interrelation entre la réclamation d’aliments et la déclaration de la paternité, dont la solution doit être fondée, soit sur le maintien d’un statut unique en matière de filiation, soit sur la soumission au statut des aliments. Cf. LEQUETTE, Y., «De l´utilitarisme dans le droit international privé conventionnel de la famille», Mélanges en l’honneur de Y. Loussouarn,
la décision de la Cour d’appel de Rabat nº 106, du 17.04.2006 [Revue de la Justice de la Famille, 2006, nº 3, p. 127 s. (en arabe et traduction personnelle)] admet l’exequatur au Maroc d’un jugement belge de divorce par consentement mutuel d’une marocaine musulmane mariée à un non musulman, considérant même que le mariage nul et affirmant que la personne qui déclare que le mari n’était pas musulman dans le but d’invalider le mariage, devra le démontrer. La décision de la Cour d’appel de Casablanca nº 1413, du 23.05. 2007 considère que le mariage de conjoints de nationalité mixte célébré en France avant l’entrée en vigueur du CFM, même si l’un des témoins est une femme musulmanen’est pas un empêchement matrimonial et pas non plus contraire à l’ordre public marocain, par conséquent l’exequatur est admis [Revue de Tribunaux marocain, nº 109, p. 146 s. (en arabe et traduction personnelle)]. La résolution de la Cour d’appel de Casablanca nº 1041, du 18.04.2007 admet également l’efficacité du mariage entre deux marocains devant l’officier de l’état civil de ce pays. (Revue des tribunaux marocain, nº 109, p. 137 s.). Le lien va être considéré comme valide parce qu’il existe consentement entre les parties et qu’aucune clause n’empêche la dot, il y a même présence de témoins musulmans, bien que l’un d’entre eux soit une femme.
Une fatua n’est rien d’autre qu’un prononcé légal émis par un spécialiste en droit islamique sur une question spécifique. Sur une question précise, où la jurisprudence islamique n’est pas claire, et à la requête d’un individu ou juge, l’érudit ou mufti en la matière émet la fatua.