Artigos
Résumé: Dans cet article s’interrogeant sur les méthodologies de recherche en didactique, après une introduction resituant ce questionnement dans l’histoire de ce champ de recherche, et les méthodologies au sein des praxéologies de recherche, je m’intéresse dans un premier temps à l’ingénierie didactique, une méthodologie emblématique de la volonté des didacticiens d’élaborer des méthodes de recherche répondant à leurs besoins spécifiques. Je rappelle ses caractéristiques et montre aussi son évolution au contact de différentes théories. Dans un second temps, j’examine les relations entre ingénierie didactique et design-based research, en incluant le cas de l’ingénierie didactique coopérative. J’envisage ensuite diverses évolutions méthodologiques liées à l’évolution des problématiques et théories didactiques et à celle des moyens technologiques de la recherche, avant d’aborder dans une dernière section ces questions méthodologiques sous l’angle des rapports entre recherche et action didactique. Mots clefs : Didactique des mathématiques, Méthodologie de recherche, Praxéologie de recherche, Ingénierie didactique, Design-based research, Ingénierie didactique coopérative.
Abstract: In this article questioning research methodologies in mathematics education, after an introduction that situates this questioning in the history of this field of research, and the methodologies within research praxeologies, I first consider didactic engineering, a methodology that is emblematic of the willingness of didacticians to develop research methods meeting their specific needs. I recall its characteristics and also show its evolution in the contact with different theories. Secondly, I examine the relationship between didactic engineering and design-based research, including the case of cooperative didactic engineering. I then consider various methodological evolutions linked to the evolution of research problematics and theories and to the evolution of technological means of research, before addressing, in a last section, these methodological questions from the point of view of the relationship between research and didactic action.
Keywords: Didactics of mathematics, Mathematics education, Research methodology, Research praxeology, Didactic engineering, Design-based research, Cooperative didactic engineering.
Resumen: En este artículo cuestionando las metodologías de investigación en didáctica de las matemáticas, después de una introducción que resitúa este cuestionamiento en la historia de este campo de investigación, y las metodologías dentro de las praxeologías de investigación, me intereso en primer lugar a la ingeniería didáctica, una metodología emblemática de la voluntad de los didactas de desarrollar métodos de investigación que respondan a sus necesidades específicas. Recuerdo sus características y también muestro su evolución en el contacto con diferentes teorías. En segundo lugar, examino la relación entre la ingeniería didáctica y la investigación basada en el diseño, incluyendo el caso de la ingeniería didáctica cooperativa. A continuación, considero diversas evoluciones metodológicas vinculadas a la evolución de las problemáticas y teorías didácticas y a la evolución de los medios tecnológicos de investigación, antes de abordar en una última sección estas cuestiones metodológicas desde la perspectiva de la relación entre la investigación y la acción didáctica.
Palabras clave: Didáctica de las matemáticas, Metodología de investigación, Praxeología de investigación, Ingeniería didáctica, Investigación basada en el diseño, Ingeniería didáctica cooperativa.
Méthodologies de recherche en didactique : Où en sommes-nous ?
Conçues comme phénoménotechnique au sens de Bachelard comme l’écrivait Chevallard dans le texte cité de 1982, les ingénieries didactiques ont été un moteur essentiel du développement de la recherche en didactique des mathématiques en France, un moteur essentiel de sa dynamique praxéologique. Ce rôle est indéniable quand on considère le développement de la théorie des situations. Même si, dans l’analyse rétrospective qu’il propose dans (Brousseau, Brousseau & Warfield, 2014), Brousseau souligne l’origine composite des concepts de la TSD et le rôle joué dans leur explicitation par la mise en place du DEA de didactique des mathématiques à Bordeaux et donc de cours de didactique des mathématiques, les ingénieries didactiques développées dans le cadre du COREM (Centre d’observation et de recherche sur l’enseignement des mathématiques) et expérimentées à l’école Michelet ont joué un rôle fondamental. De même, l’ingénierie didactique de Douady expérimentée à l’école de Montrouge est inséparable du développement de son élaboration théorique en termes de dialectique outil-objet et de jeux de cadres. Personnellement, mon travail théorique sur la notion de conception s’est nourri de l’ingénierie didactique développée conjointement avec Robinet pour identifier les conceptions du cercle susceptibles d’être mises en œuvre par des élèves de primaire (Artigue & Robinet, 1982), et ce sont les données de cette même ingénierie didactique qui, ré-exploitées quelques années plus tard, ont nourri mon travail sur la reproductibilité des situations didactiques (Artigue, 1986, 2018).
Doit-on parler de méthodologie de la recherche didactique ou de méthodologies de cette recherche ? Si l’on se réfère à la définition de méthodologie comme ensemble des méthodes d’un champ de recherche, il serait normal d’utiliser le singulier. Le pluriel est néanmoins souvent préféré pour souligner la diversité existant dans un champ donné et ordonner cette diversité, par exemple dans le champ de l’éducation, avec la distinction entre méthodologies qualitatives et quantitatives. Pour cette raison, et comme c’est généralement le cas en didactique des mathématiques, j’utiliserai ici le pluriel.
Chaque domaine de recherche développe ses propres pratiques. Si l’on se situe dans le cadre de la théorie anthropologique du didactique (TAD dans la suite), on modélisera ces pratiques en termes de praxéologies de recherche (Artigue, Bosch & Gascón, 2011 ; Artigue & Bosch, 2014) constituées d’un bloc pratique structuré par des questions de recherche et des techniques utilisées pour leur étude, et d’un bloc théorique structuré autour de discours technologiques qui expliquent et justifient ces techniques d’étude et de théories qui soutiennent ces discours technologiques. Dans son usage courant, et en accord avec son étymologie, le mot méthodologie désigne plus qu’une méthode ou même un ensemble de méthodes ; il renvoie à la fois à cette méthode ou cet ensemble de méthodes et au discours qui la (les) décrit, explique et justifie. Une méthodologie se situe donc à la connexion entre bloc pratique et bloc théorique des praxéologies de recherche et elle participe de leurs relations dialectiques. Elle est un ingrédient essentiel de la dynamique des praxéologies de recherche, et dans ce texte j’essaierai de le montrer et d’en tirer les conséquences.
La recherche en didactique des mathématiques n’a pas émergé dans un vide scientifique. Elle a, de ce fait, dans ses débuts, assez naturellement, emprunté aux champs scientifiques établis dont elle était la plus proche, notamment la psychologie, qu’il s’agisse des méthodes de la psychologie clinique piagétienne ou celles de la psychologie expérimentale. Ceci a d’ailleurs contribué à assurer la reconnaissance des travaux menés dans ce nouveau champ comme travaux scientifiques. Mais, relativement tôt, cette recherche a éprouvé le besoin de développer son propre environnement méthodologique, adapté à la spécificité de ses problématiques. Ce fut le cas en France, par exemple, avec le développement de l’ingénierie didactique, mais il existe bien sûr d’autres exemples, comme par exemple la forme de design-based research qui s’est développée dans le cadre théorique de la Realistic mathematics education à l’Institut Freudenthal aux Pays-Bas (Bakker & van Eerde, 2014 ; van den Heuvel-Panhuizen, 2019). Au fil du développement du champ, la didactique s’est ainsi affranchie, plus ou moins facilement suivant les contextes, d’une conception de la scientificité fondée sur l’utilisation de méthodes expérimentales basées sur la comparaison statistique entre pré-tests et post-tests pour des groupes témoins et expérimentaux. Des approches nouvelles, largement qualitatives, ont émergé, souvent inspirées de celles utilisées plus largement dans le champ de l’éducation. L’ouvrage Approaches to Qualitative Research in Mathematics Education (Bikner-Ashsbahs, Knipping & Presmeg, 2014) présente ainsi une dizaine d’approches utilisées aujourd’hui dans cette recherche, accompagnées de leurs fondements théoriques et d’exemples de réalisation. Prises dans la dynamique des praxéologies de recherche, ces méthodologies ont évolué et continuent d’évoluer, au fil de l’évolution théorique du champ, de celle des problématiques en son sein, des connaissances et de l’expérience accumulée, mais aussi au fil de celle des moyens techniques à la disposition des chercheurs.
Néanmoins, en ce début de siècle, la pression pour lier la scientificité des résultats obtenus en didactique des mathématiques, comme plus généralement dans le champ de l’éducation, à des méthodes expérimentales strictes et à l’utilisation d’échantillons randomisés, se fait de plus en plus forte, nécessitant un regain de vigilance. Une evidence-based education inspirée de l’evidence-based medecine est vue par diverses instances scientifiques comme politiques comme la seule garante de résultats scientifiquement solides. La France, par exemple, n’échappe plus à cette tendance qui a émergé d’abord aux États-Unis comme en témoigne un rapport récent du CSE (Conseil scientifique de l’éducation), unanimement dénoncé par les sociétés savantes et associations de chercheurs en sciences humaines et sociales.
Dans le même temps, les efforts faits pour réduire le fossé entre théorie et pratique, pour implémenter les résultats des recherches didactiques au-delà des seuls environnements expérimentaux limités où ils ont été généralement obtenus, pour s’attaquer au problème du changement d’échelle, posent des problèmes méthodologiques qui nécessitent, pour être résolus, de dépasser les approches qualitatives usuelles, et de les combiner avec des approches quantitatives, dans des méthodologies mixtes. Ce type de combinaison n’est d’ailleurs pas nouveau, et la recherche didactique a même conduit à l’émergence d’approches quantitatives nouvelles comme c’est le cas avec l’analyse implicative, initiée par Régis Gras et au développement de laquelle ont contribué depuis de multiples chercheurs (Gras, Regnier & Guillet, 2009). La réflexion méthodologique est donc, plus que jamais, à l’ordre du jour.
Dans ce texte, je souhaiterais partager mon expérience et mes questionnements dans ce domaine pour nourrir la réflexion à laquelle veut contribuer ce numéro spécial. Dans un premier temps, je rappellerai les ambitions et fondements de l’ingénierie didactique qui, au sein de la tradition didactique française, a été emblématique de cette volonté de développer des méthodologies répondant aux besoins spécifiques de la recherche didactique. Je montrerai aussi que cette méthodologie est en fait un objet pris dans une dynamique, celle des praxéologies de recherche qu’elle instrumente et qui l’influencent en retour. Il est par ailleurs courant aujourd’hui de considérer l’ingénierie didactique comme un membre de la famille des méthodologies de design-based research dont l’usage s’est développé en éducation mathématique depuis le début de ce siècle. J’évoquerai donc ensuite cette famille et ses rapports avec l’ingénierie didactique. J’aborderai ensuite, plus brièvement, d’autres évolutions méthodologiques liées à l’évolution des problématiques, théories et moyens techniques de la recherche. Et je terminerai en abordant la question des rapports entre recherche et action didactique, revenant à l’émergence de l’ingénierie didactique et soulignant les défis méthodologiques que pose l’établissement de rapports plus satisfaisants, et plus généralement le domaine encore en émergence de l’implementation research.
L’ingénierie didactique comme réponse aux besoins méthodologiques de la didactique des mathématiques
1.Les fondations de l’ingénierie didactique
Il y a une dizaine d’années, en 2009, l’ingénierie didactique a été le thème central de l’École d’été de didactique des mathématiques en France et une occasion particulière pour revenir sur l’histoire de cette méthodologie, vieille d’une trentaine d’années. Dans l’exposé d’introduction de cette école (Artigue, 2011a), revenant à la deuxième École d’été, celle de 1982, où ce thème avait été pour la première fois travaillé collectivement, j’avais bien souligné, revenant au texte manuscrit rédigé à l’époque par Chevallard (Chevallard, 1982), que cette méthode de recherche avait effectivement émergé du besoin ressenti par la communauté didactique française de ne pas s’enfermer dans des pratiques de laboratoire mais de développer des méthodes d’étude adaptées à son domaine propre, de prendre le système didactique de la classe comme terrain privilégié. Ceci était en parfaite cohérence avec la vision systémique de la théorie des situations didactiques (TSD) et la conception de la didactique comme épistémologie expérimentale qui la sous-tend (Brousseau, 1998). Les praxéologies de recherche associées à l’ingénierie didactique se sont effectivement fortement appuyées sur la TSD, alors cadre théorique dominant de la didactique des mathématiques en France, en la combinant néanmoins très vite avec d’autres constructions théoriques comme par exemple celle de Douady en termes de dialectique outil-objet et jeux de cadres (Douady, 1986). La méthodologie d’ingénierie didactique est ainsi devenue, dès les années 80, une méthodologie emblématique de la tradition française de didactique des mathématiques et son usage s’est ensuite répandu dans d’autres didactiques, comme celle des activités physiques et sportives (Terrisse, 2002).
A l’École d’été de 1989, l’ingénierie didactique est de nouveau un thème d’étude. Elle fait cette fois l’objet d’un cours dont j’ai la charge et le texte qui en résulte (Artigue, 1989), publié dans la revue Recherches en Didactique des Mathématiques, va marquer une étape dans son institutionnalisation comme méthodologie de recherche. L’ingénierie didactique y est précisément décrite avec ses deux caractéristiques essentielles :
•elle est basée sur des réalisations didactiques dans les classes, c’est-à-dire sur la conception, la réalisation, l’observation et l’analyse de séquences d’enseignement,
•sa validation est interne, fondée sur la confrontation entre analyse a priori et analyse a posteriori,
et sa structuration en quatre phases : celle des analyses préalables, celle de la conception et de l’analyse a priori de l’ingénierie, celle de l’expérimentation et du recueil de données, enfin, celle de l’analyse a posteriori et de la validation.
Cette description est illustrée par divers exemples, dont les ingénieries emblématiques de Brousseau et de Douady pour l’extension du champ des nombres à l’école primaire. Ils permettent de mettre en lumière l’ancrage de cette méthodologie dans la TSD mais aussi la diversité déjà existante dans les travaux d’ingénierie didactique.
Le travail mené à cette école d’été va permettre de disposer d’une référence partagée pour l’ingénierie didactique qui sera utilisée dans la formation des chercheurs, et qui soutiendra la diffusion de cette méthodologie de recherche et son usage au-delà de sa communauté d’origine. C’est sans doute pourquoi l’on m’attribue régulièrement mais à tort, la paternité de cette méthodologie, alors que j’ai simplement assuré la mise en forme de l’expérience collective d’une communauté. On peut y voir, a posteriori, l’expression de l’importance de la mise en mots et décontextualisation des connaissances dans le processus de transformation de connaissances en savoirs, valable bien sûr également pour le champ didactique.
Les présentations de l’ingénierie didactique comme méthodologie de recherche qui se succèderont au fil des années ne seront pas substantiellement différentes (voir par exemple, Artigue, 2002, 2014 ; Barquero & Bosch, 2015), et c’est encore le cas pour la dernière en date, celle de l’Encyclopedia of Mathematics Education (Artigue, 2020), même si les formulations ont un peu évolué depuis 1990. L’ingénierie didactique y est introduite avec ses quatre phases dénommées : preliminary analysis ; design and a priori analysis ; realization, observation, and data collection ; a posteriori analysis and validation. Puis ces quatre phases sont précisément décrites. Il est indiqué que les analyses préliminaires incluent usuellement trois dimensions : analyse épistémologique du contenu mathématique en jeu, une analyse des conditions et contraintes institutionnelles, une analyse de ce que la recherche didactique offre pour soutenir le design. La description de la phase de design et d’analyse a priori souligne l’influence sur cette phase de l’ancrage fondateur dans la TSD. Certains points qui restaient implicites dans le texte de 1989 sont cependant explicités, car ils ont été source de questions récurrentes ou de malentendus. Par exemple, le fait que l’analyse a priori concerne un sujet générique et épistémique est explicité, et il est précisé que:
the actual realization will involve students with their personal specificities and history, but the goal of the a priori analysis is not to anticipate all these personal behaviors; it is to build a reference with which classroom realizations will be contrasted in the a posteriori analysis (ibidem, p. 204).
Concernant la phase de réalisation, il est mentionné que cette phase peut amener à des modifications du design in itinere, notamment lorsque l’ingénierie est d’une taille substantielle et que ces modifications et leurs raisons seront bien sûr intégrées à l’analyse a posteriori. Concernant l’analyse a posteriori et sa confrontation à l’analyse a priori, il est précisé que :
there are always differences between the reference provided by the a priori analysis and the contingence analyzed in the a posteriori analysis. The validation of the hypotheses underlying the design does not thus impose perfect match between the two analyses (ibidem, p. 204).
On en comprend d’ailleurs d’autant plus la raison que l’on a compris la vraie fonction de l’analyse a priori et le fait qu’elle concerne un sujet épistémique et générique. Concernant la validation, enfin, il est précisé qu’elle peut nécessiter le recueil de données complémentaires à celles collectées pendant l’observation, notamment pour évaluer les effets en termes d’apprentissage, et s’appuyer sur des analyses statistiques, comme l’ont montré dès le début les travaux de Brousseau et de ses collègues. Ce qui est essentiel c’est que la validation est interne, et non pensée en termes de comparaison externe entre groupes expérimental et contrôle.
Il y a donc une continuité évidente avec le texte de 1990, mais je souligne aussi que ceci est la description de la méthodologie, dans sa forme la plus classique, quand elle est associée à la conception d’une suite de séances de classe, pour répondre à des questions de recherche concernant des apprentissages mathématiques précis. Il est clair, et les actes de l’École d’été de 2009 le montrent bien (Margolinas et al., 2011), qu’au fil des décennies les didacticiens ont élargi son champ d’action à d’autres questionnements et d’autres contextes : la formation des enseignants, des formes d’enseignement plus ouvertes de type projet, des questionnements plus transversaux comme ceux concernant la modélisation, voire même des activités mathématiques informelles hors institution scolaire. Dans chacun de ces nouveaux contextes, il y a à repenser notamment ce que l’on entend par analyse a priori et ce qu’il est raisonnable de chercher à contrôler ou non dans les scénarios développés.
Conçues comme phénoménotechnique au sens de Bachelard comme l’écrivait Chevallard dans le texte cité de 1982, les ingénieries didactiques ont été un moteur essentiel du développement de la recherche en didactique des mathématiques en France, un moteur essentiel de sa dynamique praxéologique. Ce rôle est indéniable quand on considère le développement de la théorie des situations. Même si, dans l’analyse rétrospective qu’il propose dans (Brousseau, Brousseau & Warfield, 2014), Brousseau souligne l’origine composite des concepts de la TSD et le rôle joué dans leur explicitation par la mise en place du DEA de didactique des mathématiques à Bordeaux et donc de cours de didactique des mathématiques, les ingénieries didactiques développées dans le cadre du COREM (Centre d’observation et de recherche sur l’enseignement des mathématiques) et expérimentées à l’école Michelet ont joué un rôle fondamental. De même, l’ingénierie didactique de Douady expérimentée à l’école de Montrouge est inséparable du développement de son élaboration théorique en termes de dialectique outil-objet et de jeux de cadres. Personnellement, mon travail théorique sur la notion de conception s’est nourri de l’ingénierie didactique développée conjointement avec Robinet pour identifier les conceptions du cercle susceptibles d’être mises en œuvre par des élèves de primaire (Artigue & Robinet, 1982), et ce sont les données de cette même ingénierie didactique qui, ré-exploitées quelques années plus tard, ont nourri mon travail sur la reproductibilité des situations didactiques (Artigue, 1986, 2018).
2.L’évolution de l’ingénierie didactique : forme et positionnement
Au fil des années 80, comme indiqué précédemment, l’ingénierie didactique s’est imposée comme méthodologie de recherche privilégiée au sein de la tradition didactique française. Cependant, à partir des années 90, l’intérêt croissant porté aux enseignants et à leurs pratiques, d’ailleurs largement motivé par les dénaturations observées dans la diffusion des ingénieries didactiques conçues pour les besoins de la recherche, a conduit au développement d’autres méthodologies, notamment basées sur l’observation naturaliste de ces pratiques. Par ailleurs, la montée en puissance de la TAD a conduit au déploiement d’études des praxéologies institutionnelles basées sur l’étude de ressources curriculaires. Mais, comme le montrent bien les actes de l’École d’été de 2009, et le choix même de ce thème de travail pour l’École, l’ingénierie didactique est restée la méthodologie privilégiée pour explorer les potentialités offertes par des formes didactiques nouvelles, comme celles liées à l’intégration progressive des technologies numériques. En témoignent les recherches menées sur les logiciels de géométrie dynamique, tableurs et les systèmes de calcul symbolique, puis sur les calculatrices et logiciels conjuguant ces différentes technologies. Parallèlement, comme souligné plus haut, le champ d’utilisation de l’ingénierie didactique s’est élargi, s’étendant à la formation des enseignants, aux formes scolaires nouvellement introduites et même à des pratiques mathématiques informelles. A ceci s’ajoutent les effets de la diffusion de cette méthodologie au-delà de la seule tradition didactique française, du fait de collaborations internationales, comme par exemple celles nouées précocement avec Cantoral et Farfán qui allaient fonder l’approche théorique connue aujourd’hui sous le nom de socio-épistémologie (Cantoral, 2016 ; Farfan, 1997), et de thèses en co-tutelle en nombre croissant.
Tout ceci explique que l’ingénierie didactique, comme méthodologie de recherche, ne soit pas restée un objet figé mais un objet vivant, participant à la dynamique de praxéologies de recherche diverses. Sans prétendre à une description exhaustive, j’aimerais pointer dans cette section deux formes prises par l’ingénierie didactique qui résultent de son intégration dans d’autres cadres théoriques que celui où elle a émergé, mais aussi les tensions que cette intégration peut générer.
2.1.La combinaison de la TSD avec des cadres théoriques sémiotiques
Une expérience importante pour moi de ce point de vue a été le co-encadrement avec Ferdinando Arzarello, le père de la théorie APC (Action, Production, Communication) (Arzarello, 2008), de la thèse de Michela Maschietto (Maschietto, 2003). La question posée dans cette thèse était celle de la possibilité d’introduction d’élèves de lycée au jeu local-global fondamental en analyse en s’appuyant sur l’utilisation de calculatrices symboliques et sur un langage infinitésimal, ceci dans le contexte italien. Pour Michela qui avait passé un an à Bordeaux avec Brousseau avant de venir faire son master de didactique à Paris, comme pour moi, pour répondre à cette question, une méthodologie d’ingénierie didactique était naturelle. Bien sûr, la construction de cette ingénierie n’allait pas s’appuyer sur la seule TSD mais intégrer des éléments fondamentaux de la théorie APC, sa sensibilité à la multi-modalité sémiotique et en particulier aux gestes, ainsi qu’aux métaphores qui expriment la source corporelle de concepts mathématiques fondamentaux, en référence aux travaux de Lakoff et Nuñez (2000). Et, effectivement, c’est ce que Michela a fait, navigant entre les deux cultures didactiques qui partageaient une sensibilité égale aux questions épistémologiques, même si elle ne s’exprimait pas exactement dans les mêmes termes. En revanche, comme elle l’a exprimé dans sa contribution à la présentation de la tradition didactique française à ICME-13 (Artigue et al., 2019), cette navigation ne fut pas exempte de tensions. Le point d’achoppement principal fut la notion même d’analyse a priori telle que portée par la TSD, avec la volonté d’optimiser le potentiel a-didactique des situations, d’anticiper les interactions possibles avec le milieu et de prédire les trajectoires qui pouvaient en résulter. Ces tensions étaient en fait prévisibles. Dans une ingénierie didactique cohérente avec la théorie APC, les gestes des élèves exprimant des constructions cognitives en gestation, la façon dont ces gestes vont être repris et exploités par l’enseignant à travers des jeux sémiotiques, sont des ingrédients essentiels de la dynamique cognitive de la classe. Ils échappent au potentiel d’anticipation et de contrôle des trajectoires de l’analyse a priori. C’est aussi en partie le cas pour les métaphores et leur gestion didactique qui, elles aussi, jouent un rôle important comme l’a bien montré cette recherche. Pour résoudre ces tensions, il a fallu repenser ce que l’on entendait par analyse a priori, accepter aussi de prévoir, dans la conception des séances, de ne pas limiter le rôle de l’enseignant à des fonctions de dévolution et d’institutionnalisation, mais intégrer des phases collectives substantielles où jeux sémiotiques et interactions discursives permettraient l’évolution des connaissances dans un jeu conjoint entre élèves et enseignant dont la dynamique restait largement ouverte, respectant en cela la culture didactique italienne. Avec ces adaptations, la méthodologie d’ingénierie didactique s’est révélée tout à fait productive. La thèse, elle aussi en co-tutelle, de Falcade (2006) fournit un autre exemple d’utilisation productive de l’ingénierie didactique combinant au niveau théorique la TSD et une théorie sémiotique, dans ce cas la théorie de médiation sémiotique de Bartolini Bussi et Mariotti (2008).
2.2. Ingénierie didactique et TAD
Au cours de l’École d’été de 2009, une des questions à l’étude avait été celle des relations existantes, possibles, entre les ingénieries didactiques ancrées dans la TSD et les constructions qui avaient émergé en ce début de siècle en termes d’AER (activités d’étude et de recherche) puis de PER (parcours d’étude et de recherche) portées par la TAD et l’opposition introduite par Chevallard entre deux paradigmes scolaires : celui traditionnel de visite des œuvres, qualifié de monumentaliste, et celui de questionnement du monde. C’est dans ce second paradigme qu’était envisagé un futur possible pour l’École, et la conception de PER relevant de ce paradigme, l’étude des conditions et contraintes gouvernant leur écologie possible, était la façon de permettre la progression théorique et pratique dans cette direction. Chevallard avait ainsi proposé dans son cours (Chevallard, 2011) de refonder autour des PER l’ingénierie didactique, en distinguant d’ailleurs entre PER finalisés visant un contenu précis d’enseignement et PER ouverts. Dans ma conférence de clôture (Artigue, 2011b), j’avais pointé les questions et tensions qui me semblaient en résulter.
Dans la dernière décennie, les recherches basées sur les PER se sont multipliées, dans une diversité de contextes et, pour réfléchir aux rapports qui se sont progressivement établis entre ingénierie didactique et TAD, il est intéressant de lire le chapitre co-écrit par Barquero et Bosch (2015) dans l’ouvrage issu de l’Etude ICMI 22 sur le task design in mathematics education. Ce chapitre s’intitule Didactic engineering as a research methodology: from fundamental situations to study and research paths”. Sans nier les différences existantes entre les ingénieries didactiques respectivement portées par la TSD et la TAD, les auteures y soulignent leurs nombreux points de convergence. Les ingénieries didactiques portées par la TSD s’inscrivent, écrivent-elles (p. 260), dans le paradigme de questionnement du monde et la recherche de situations fondamentales qui marque ces ingénieries : « is a way for didactic research to assume its own responsibility in the search for the possible raisons d’être of mathematical contents within the students’ reach, and for the rationale of their teaching at school », ce qui est également fondamental dans la TAD. Mais à la notion de situation fondamentale, et aux dialectiques de l’action, la formulation et de la validation qui organisent la progression des rapports aux objets mathématiques dans la TSD, se substituent, dans la TAD, la notion de praxéologie et le schéma herbartien.
Si le projet d’enseignement et d’apprentissage vise un contenu mathématique précis comme c’est le cas dans les ingénieries didactiques classiques (une praxéologie P dans l’interprétation de la TAD), le processus didactique sera ainsi décrit en termes d’AER structurées en référence aux six moments de l’activité didactique de la TAD, l’ensemble constituant un PER finalisé au sens de (Chevallard, 2011). Mais un processus didactique n’est pas nécessairement guidé par l’identification préalable d’un contenu mathématique à enseigner. Il peut aussi être motivé par le besoin, pour un groupe d’étudiants X de chercher des réponses à une question Q0 dite question génératrice, avec l’aide d’un enseignant ou groupe d’enseignants Y. La succession d’activités d’étude et de recherche qui en découle constitue alors un PER (PER ouvert, au sens de (Chevallard, 2011)). Au cours du processus des questions dérivées Qk émergent ainsi que des réponses provisoires Ak. Usuellement interviennent aussi des réponses externes A , au moins partielles, pré-établies aux Qk ou à des questions proches, accessibles via les différents moyens de communication et diffusion, dénommés media dans la théorie, et divers objets Oi qui, avec ces réponses, vont constituer le milieu expérimental évolutif M où vont être déconstruites et reconstruites les réponses A pour arriver à la réponse finale A . C’est ce dont rend compte le schéma herbartien emblématique de la théorie reproduit ci-après.
Pour les auteures, cette vision élargie des processus didactiques en termes d’AER et de PER fournit un modèle permettant de décrire une bien plus grande diversité de processus d’enseignement et d’apprentissage que ceux modélisables par la TSD, et les différences se reflètent dans les travaux d’ingénierie didactique associés, même si globalement les mêmes gestes méthodologiques sont reproduits, comme le montre la figure 1.
Figure 1
Phases de l’ingénierie didactique suivant (Barquero & Bosch, 2015)
C’est ce qui est illustré par les deux exemples choisis. Le premier concerne des ingénieries didactiques ancrées dans la TDS et concernant la mesure des grandeurs à l’école primaire, notamment celle emblématique de Brousseau. Le second est la thèse de Barquero (2009) sur la modélisation, la première à s’être appuyée sur la reconstruction proposée par la TAD. Les différences sont évidentes au niveau de la conception et de l’analyse a priori. Le point de départ en est une question génératrice concernant la prédiction de l’évolution d’une population. Un modèle épistémologique de référence (MER) est établi, envisageant la mobilisation de modèles discrets ou continus dont émergent quatre PER dont l’ensemble couvre a priori les principaux contenus d’un cours de mathématiques de première année d’université pour des étudiants en sciences de la nature (voir figure 2).
Figure 2
Structure générale des PER dérivés de l’étude de Q0 (Barquero & Bosch, 2015, p. 265)
Cette première phase, mathématique, est suivie d’une phase didactique qui inclut maintenant des questions concernant la mésogenèse (évolution des milieux expérimentaux), chronogenèse (évolution des questions et des connaissances introduites via les media) et topogenèse (répartition des responsabilités entre étudiants et enseignant), et l’organisation des divers dispositifs associés, nouveaux pour beaucoup d’entre eux. Mais les trajectoires restent bien sûr très ouvertes, les questions dérivées qui vont émerger et orienter les trajectoires, n’étant que partiellement prévisibles, les étudiants ayant le pouvoir d’introduire dans le milieu n’importe quel objet qu’ils trouvent approprié, et devant eux-mêmes créer un milieu pour la validation interne des réponses. De ce fait, l’analyse in vivo du fonctionnement du dispositif joue un rôle très important au-delà de la seule analyse a priori.
Depuis cette thèse, les ingénieries didactiques portées par la TAD se sont multipliées, portées par la même problématique écologique et, pour une description actualisée, le lecteur pourra se référer aux modules associés à Chevallard dans le projet AMOR de l’ICMI et aux documents associés2. Ces travaux ont confirmé l’importance cruciale joué par l’élaboration du MER qui guide la conception et fournit une référence vis à vis de laquelle les trajectoires observées vont pouvoir être situées, du développement d’outils spécifiques comme les arbres de questions/réponses qui aident à faire sens de ces trajectoires et des responsabilités respectivement assurées par les enseignants et les élèves. Elles ont permis d’identifier les nombreuses contraintes qui font aujourd’hui des PER des objets à l’écologie fragile, difficiles à déployer à grande échelle dans les conditions ordinaires d’enseignement. Et, sur un plan théorique, ces travaux ont contribué à l’identification de diverses dialectiques qui aident à comprendre les ressorts de l’apprentissage dans les PER.
D’autres conceptualisations de l’ingénierie didactique ont émergé en ce XXIe siècle, comme celle d’ingénierie didactique coopérative qui a émergé dans le cadre de la TACD (théorie de l’action conjointe en didactique) ou le concept d’ingénierie didactique de deuxième génération associé à la distinction entre d’ingénierie didactique de recherche (IDR) et d’ingénierie didactique de développement (IDD). Avant de les considérer, il me semble nécessaire d’aborder la question plus globale des rapports entre ingénierie didactique et design-based research (DBR dans la suite).
Ingénierie didactique et design-based research (DBR)
1. Design-based research
Dans l’ouvrage sur les méthodologies qualitatives en éducation mathématique déjà mentionné (Bikner-Ahsbahs, Knipping & Presmeg, 2014), Bakker et van Eerde sont les co-auteurs du chapitre dédié à la DBR, une forme de recherche de plus en plus présent e internationalement depuis la fondation en 1999 du Design-Based Research Collective (voir (DBRC, 2003)). Ils définissent cette méthodologie de la façon suivante :
Educational design-based research (DBR) can be characterized as research in which the design of educational materials (e.g. computer tools, learning activities, or a professional development program) is a crucial part of the research. That is, the design of learning environments is interwoven with the testing and developing of a theory. (Bakker et van Eerde, 2014, p. 430)
Si l’on désigne par l’expression recherche d’ingénierie didactique, les recherches qui s’appuient sur la méthodologie d’ingénierie didactique, il ne fait pas de doute qu’il y a une proximité évidente avec la DBR, soulignée par ces auteurs eux-mêmes qui écrivent (p. 432) : “DBR is therefore sometimes characterized as a form of didactical engineering”. Mais le rôle du design y est plus équilibré entre l’objectif de production de ressources pour faire évoluer l’enseignement et celui de production de connaissances, entre recherche fondamentale et développement. J’y reviendrai ultérieurement. Les descriptions de la DBR sont diverses comme souligné par Swan dans son article pour l’Encyclopedia of Mathematics Education (Swan, 2020). Bakker et van Eerde, pour leur part, se réfèrent aux caractéristiques proposées dans Cobb et al. (2003) qui mettent l’accent sur le fait que :
•l’objectif de la DBR est de produire à la fois des théories sur l’apprentissage et les moyens pour soutenir cet apprentissage ;
•il s’agit de théories locales, concernant un domaine particulier, mais qui doivent être assez générales pour pouvoir s’appliquer à différents contextes ;
•la DBR est, par nature, interventioniste et cyclique, et obéit à un processus itératif d’interventions et révisions, dans lequel se combinent composantes prospectives et réflexives ;
•La DBR cherche à comprendre le pourquoi et le comment des apprentissages et ne se situe donc pas dans un paradigme expérimental basé sur la comparaison de groupes contrôle et témoin.
Les différents cycles d’une DBR sont constitués de trois phases : préparation et design, expérience d’enseignement, analyse rétrospective (à distinguer des analyses dites « on the fly » menées au fil de l’expérimentation). Pour Bakker et van Eerde, un instrument méthodologique important est celui d’hypothetical learning trajectory (HLT) introduit par Simon (1995) :
The hypothetical learning trajectory is made up of three components: the learning goal that defines the direction, the learning activities, and the hypothetical learning process — a prediction of how the students’ thinking and understanding will evolve in the context of the learning activities (Simon, 1995, p. 136)
Élaborée pendant la phase de design, en s’appuyant sur les études préparatoires, la HLT sert de guide pour enseignants et chercheurs pendant l’expérimentation qui peut conduire à son ajustement, ainsi que dans l’analyse rétrospective, en aidant à centrer l’attention sur les points cruciaux pour la théorie en émergence.
On ne peut manquer de voir, en dépit des différences, les similarités avec l’ingénierie didactique. Comme la recherche d’ingénierie didactique, la DBR est interventionniste et non naturaliste (des conditions y sont délibérément manipulées pour que le design soit en accord avec la théorie émergente). La description des phases de chaque cycle est proche de celle des phases d’une ingénierie. Le rôle joué par l’HLT est à rapprocher de ceux joués par l’analyse a priori et le modèle épistémologique de référence. En revanche, le processus est a priori plus ouvert : les choix, notamment, sont ajustés au fil du processus d’expérimentation en fonction des observations dans un objectif d’optimisation du design, et surtout ces recherches ont une composante cyclique essentielle, cohérente avec l’ambition de produire des moyens d’enseignement exprimant la théorie locale développée. Les recherches d’ingénierie didactique comportent souvent plusieurs réalisations qui conduisent à des ajustements/enrichissements des analyses a priori ou des MER, des modifications des questions/situations, mais ce n’est en rien une nécessité pour cette méthodologie, qu’elle soit ancrée dans la TSD ou dans la TAD. Ceci est cohérent avec l’ambition phénoménotechnique de cette méthodologie de recherche soulignée dans la section 2. En revanche, cette dimension cyclique et itérative est très présente dans le concept d’ingénierie didactique coopérative développé dans le cadre de la théorie de l’action conjointe en didactique (TACD) (Sensevy, 2011) que nous allons considérer maintenant et qui se revendique d’ailleurs comme une forme de DBR.
2. Ingénierie didactique coopérative (IC)
Tout en affirmant ses liens de filiation avec l’ingénierie didactique, l’IC se situe en effet clairement dans le champ de la DBR. La définition qui en est donnée dans l’Encyclopedia of Mathematics Education (Sensevy & Bloor, 2020) commence en effet par les phrases suivantes (p. 141) :
The Joint Action Theory in Didactics aims at theorizing a specific process of design-based research (Cobb et al., 2003) and design-based implementation research (Fishman et al., 2013), called cooperative engineering (Sensevy et al., 2013; Joffredo-Lebrun et al., 2018), in order to contribute to the elaboration of new forms of schooling. Cooperative engineering (CE) refers to a methodological process in which a collective of teachers and researchers engage in a joint action to codesign, implement and re-implement a teaching sequence on a particular topic.
Au-delà de la combinaison conceptuelle intéressante qu’elle propose entre ingénierie didactique et DBR, l’IC me semble une excellente expression de la façon dont les connaissances acquises sur les pratiques des enseignants au cours des deux dernières décennies, l’influence croissante de perspectives comme celle des communautés de pratiques et communautés de recherche, ont fait évoluer notre conception des rapports entre enseignants et chercheurs dans l’ingénierie didactique. Elles sont généralement à l’œuvre dans les pratiques actuelles d’ingénierie didactique mais sans y être formalisées comme c’est le cas dans l’IC. Les principes de l’ingénierie coopérative (IC dans la suite) sont en effet au nombre de six : principe de symétrie, nécessité de reconnaître les différences, nécessité d’élaborer une vision commune des buts et des moyens, la posture d’ingénieur, la coopération pour produire une œuvre, la coopération pour produire de la connaissance.
Le principe de symétrie exprime que enseignants et chercheurs sont tous vus comme des praticiens, praticiens à des titres différents mais égaux dans leur capacité à contribuer au design. Ce principe de symétrie va de pair avec le suivant : la reconnaissance et le respect des différences qui résultent des différences de position et d’expérience et ne sauraient être conçues en termes d’opposition entre les uns qui sauraient et les autres qui ne sauraient pas. Le troisième principe, celui de la nécessité d’élaborer une vision commune des buts et des moyens, exprime une nécessité pour que puisse se développer et vivre, au niveau collectif, l’activité conjointe et que tous puissent y participer en tant qu’individus, également, en dépassant les pièges d’une division épistémique du travail. Le principe suivant est celui de la posture d’ingénieur, une posture qui doit être adoptée à la fois par les enseignants et les chercheurs et implique une approche à la fois théorique et pratique des problèmes de la pratique d’enseignement. Encore une fois, il ne s’agit pas de nier les différences entre enseignants et chercheurs mais de les subsumer temporairement et localement dans cette posture d’ingénieur. Le principe suivant, la coopération pour produire une œuvre, exprime que, dans l’IC, c’est l’objet concret, la séquence d’enseignement, qui est la pierre angulaire du processus de recherche. Enfin, le dernier principe, la coopération pour produire de la connaissance, fait référence à la fois à la connaissance qui résulte de l’étude commune qui permet la construction de la séquence d’enseignement, et à la connaissance que produisent cette construction même et les descriptions et analyses associées à ses implémentations.
Pratiquement, l’IC est structurée de manière cyclique, et dans chaque cycle on retrouve les phases usuelles d’études préparatoires, de conception, d’implémentation et d’analyse a posteriori. Ici, néanmoins, dans la première phase, l’accent est mis sur le savoir dont l’enseignement est visé, sans considérations didactiques ; il s’agit de créer, au sein du collectif, une manière commune d’appréhender ce savoir. Dans le second temps, celui de la conception, l’enquête, de savante se fait pratique, avec la production collective d’une séquence d’enseignement, qui peut être considérée comme un système d'hypothèses de travail, partagées et assumées par les professeurs et les chercheurs du collectif. En cohérence avec la TACD, l'action conjointe du professeur et des élèves – et plus spécifiquement les gestes d'enseignement que le professeur devra produire – devrait permettre de familiariser les élèves avec la culture cristallisée » dans le savoir étudié, et leur permettre d'acquérir progressivement les puissances d'agir que ce savoir peut conférer. Dans le troisième temps, celui de l’implémentation, la séquence élaborée est mise en œuvre, souvent par plusieurs professeurs en parallèle, mettant à l’épreuve les hypothèses de travail. Le quatrième temps est, classiquement, celui de l’étude critique a posteriori de la ou des mises en œuvre qui conduira généralement à refaçonner le dispositif pour l'améliorer, et à approfondir ou réviser les hypothèses de travail.
Une particularité intéressante de l’IC est, par ailleurs, la méthode utilisée pour documenter la pratique, donnant un rôle spécifique à des exemples emblématiques, que l’on peut rapprocher de l’idée d’exemple exemplaire (exemplar) de Kuhn (1990) A ces derniers sont associés des systèmes hypermédia hybrides combinant des vidéos de pratiques, des enregistrements audios, et des textes commentant et analysant ces pratiques, dénommés SHTIS en français, pour systèmes hybrides texte-image-son (Blocher, 2018) et PTAHS en anglais pour picture-text-audio hybrid systems. Comme expliqué dans (Sensevy & Bloor, 2020), dans la vision épistémologique qui sous-tend l’IC et donne la priorité au concret de la pratique sur les idées abstraites qui peuvent la décrire (p. 143) :
the epistemology of paradigmatic analogy is also « an epistemology of methodology », in which the progress of knowledge relies on the building, studying and refining of emblematic examples of practice that serves as frames of reference in the scientific inquiry.
La recherche ACE (Arithmétique et compréhension à l’école élémentaire) dont l’objectif était de produire un curriculum pour l’enseignement du domaine numérique sur les deux premières années de l’école élémentaire (CP et CE1) illustre particulièrement bien ce qu’est l’IC et ce qu’elle peut produire, et la façon dont l’élaboration collective de SHTIS peut la fois soutenir le travail de recherche et la dissémination de ses résultats (voir, par exemple, Sensevy et al., 2018 ; Vilette et al., 2017).
Évolutions méthodologiques : problématiques, acquis et moyens de la recherche
Les sections précédentes ont déjà mis en évidence, s’agissant d’ingénierie didactique, des évolutions indéniables. Ces évolutions s’inscrivent dans celle plus globale des praxéologies de recherche en didactique des mathématiques. Il y a d’abord, et c’était visible dans les sections précédentes, l’évolution des problématiques concernant de plus en plus les enseignants, leurs représentations, connaissances et pratiques, en classe mais aussi au-delà de la classe, leur formation initiale et développement professionnel, mais aussi la croissance du questionnement autour de la dimension sémiotique de l’activité mathématique. Mais il y a aussi les multiples questions soulevées par les évaluations internationales et plus globalement les études comparatives, le développement du champ de l’ethno-mathématique et des approches critiques de l’éducation mathématique ; les questions soulevées par les évolutions curriculaires promouvant des approches par compétences, la modélisation et l’interdisciplinarité, les démarches d’investigation (inquiry-based education), par la volonté affichée de faire contribuer l’enseignement des mathématiques à la citoyenneté, sans compter toutes les questions soulevées par l’évolution technologique, ou des bouleversements comme celui que nous vivons actuellement avec la pandémie due au Covid 19 et le passage brutal à des enseignements hybrides ou même souvent totalement à distance, pour des élèves de tous les niveaux scolaires. Toutes ces évolutions impactent les méthodologies de la recherche et, par exemple, les recherches concernant évaluations internationales et projets à grande échelle conduisent généralement au développement de méthodologies mixtes combinant approches qualitatives et quantitatives, et triangulant leurs apports respectifs. L’exemple de l’étude TEDS-Telekom conduite et visant à évaluer l’effet d’une restructuration innovante de la formation des professeurs de Gymnasium en Allemagne intégrant formation mathématique et didactique, décrite dans (Kelle & Buchholtz, 2014) en est un excellent exemple.
L’évolution des méthodologies est aussi liée aux acquis de recherche, théoriques comme empiriques. Dans les sections précédentes, j’ai par exemple pointé l’influence des acquis de la recherche concernant les enseignants et d’approches comme celle des communautés de pratiques sur l’ingénierie didactique, mais aussi l’influence des approches sémiotiques, obligeant à mieux prendre en compte la multimodalité de l’activité sémiotique en mathématique, et celle des travaux relevant du champ de l’embodied cognition. Et j’ai aussi montré comment la TAD a transformé la méthodologie d’ingénierie didactique, dans le cadre du paradigme de questionnement du monde. S’agissant des enseignants, un autre exemple est fourni par l’approche documentaire du didactique initiée par Gueudet et Trouche, il y a un peu plus d’une décennie, et à laquelle contribuent aujourd’hui une multiplicité de chercheurs (Trouche, Gueudet & Pepin, 2019). L’extension de l’étude des pratiques des enseignants à leur travail documentaire qui se déroule principalement hors classe a créé des besoins méthodologiques nouveaux et c’est ainsi qu’a été développée une méthodologie spécifique dite d’investigation réflexive basée sur les quatre principes suivants (Gueudet & Trouche, 2010, p. 61) :
• principe de durée longue du suivi. Il s’agit d’étudier l’activité et le développement professionnel des professeurs, et donc de saisir des éléments de stabilité, et des évolutions, du travail documentaire dans la durée ;
• principe de suivi en tout lieu. […] Il nous semble indispensable de considérer, autant que faire se peut, directement le travail du professeur, hors classe et en classe ;
• principe de recueil étendu des ressources matérielles utilisées et produites dans le travail documentaire ;
• principe de suivi réflexif du travail documentaire. Il s’agit, d’une part, d’associer étroitement l’enseignant au recueil de données, dans la visée pragmatique de recueil étendu et de suivi en tout lieu […] Il s’agit aussi, d’autre part, de mette en place des dispositifs méthodologiques suscitant la réflexivité.
Ces évolutions méthodologiques liées à celle des problématiques et des approches théoriques, se combinent avec celle des moyens techniques de la recherche, avec la possibilité par exemple de capturer les gestes dans toute leur finesse, les mouvements oculaires, voire même, dans certains environnements, les pulsations cardiaques pour étudier les émotions, comme c’est le cas par exemple à l’ICCR (International center for classroom research) de l’University of Melbourne.3 L’usage de ces moyens techniques, de plus en plus sophistiqués, et plus généralement celui des vidéos qui s’est généralisé, conduisent au recueil d’une multitude de données microscopiques et la question méthodologique de leur codage, traitement, ainsi que celle, délicate, de la remontée à des niveaux plus macroscopiques d’interprétation et d’expression de résultats, se pose ainsi dans des termes partiellement renouvelés. Et l’on peut se demander aujourd’hui comment le développement du champ des big data va influencer les techniques d’analyse des données et, au-delà, les choix faits en termes de recueil de données, et plus généralement les méthodologies de la recherche didactique.
Il n’est pas question dans ce texte de s’attaquer de façon approfondie à ces évolutions méthodologiques. Je me bornerai à compléter ce qui précède par quelques exemples issus de mes recherches récentes.
1. Networking et capitalisation
Le premier exemple concerne le travail sur le networking de théories auquel j’ai participé à partir de 2005 et qui a donné lieu à l’ouvrage Networking of theories as a research practice (Bikner-Ahsbahs & Prediger, 2014). L’objet de la recherche était de contribuer à limiter la fragmentation théorique du champ en identifiant des stratégies de connexions possibles entre cadres théoriques et en explorant leur potentiel. Cette recherche pouvait ainsi être qualifiée de méta-didactique. Elle a nécessité une réelle créativité méthodologique qui est bien décrite dans l’ouvrage cité. Rétrospectivement, comme nous l’avons analysé avec Marianna Bosch (Artigue & Bosch, 2014) en utilisant le concept de praxéologie de recherche, le choix que les cinq groupes de chercheurs engagés, représentant chacun une théorie, ont fait de partir d’un objet commun : une vidéo proposée par l’un d’eux, et de demander à chaque groupe de l’analyser avec ses propres outils théoriques, en pointant ce que la vidéo et les documents l’accompagnant permettaient et ne permettaient pas, a été particulièrement pertinent. Des stratégies a priori plus directes, comme celle consistant à identifier dans chaque théorie des concepts clefs et à essayer d’établir des liens entre les cartes conceptuelles résultantes, se sont en revanche révélées décevantes. Ces constats méthodologiques montrent bien à quel point les théories ne peuvent être isolées des praxéologies qu’elles nourrissent et qui les nourrissent en retour.
Je ne peux rentrer dans le détail des techniques que nous avons développées sur plus de cinq années pour établir des connexions entre les cinq théories, exploitant pour la plupart la vidéo initiale et un épisode complémentaire, mais un artefact méthodologique essentiel a été la hiérarchie des stratégies de networking qui a été élaborée (voir figure 3). Elle a guidé et permis de structurer les recherches et leurs résultats, et les recherches en retour ont contribué à en faire sens.
Figure 3
Echelle de strategies de networking (Bikner-Ahsbahs & Prediger, 2014, p. 119)
D’un point de vue méthodologique, cette recherche de longue haleine, est à rapprocher de celle effectuée dans le cadre du projet européen ReMath (2005 à 2009) qui, elle, visait à capitaliser les connaissances didactiques élaborées concernant le potentiel sémiotique des artefacts dynamiques numériques (DDA, pour digital dynamic artefact) et à les exprimer sous une forme largement compréhensible, dégagée le plus possible du discours technique de telle ou telle approche théorique. Là encore, la capitalisation a nécessité la création et combinaison de multiples artéfacts méthodologiques décrits de façon détaillée dans les multiples rapports et le numéro spécial de Educational Studies in Mathematics consacré à ce projet (Kynigos & Lagrange, 2014). Là encore, la conception de ces artefacts méthodologiques est inséparable des praxéologies de recherche spécifiques qui ont été élaborées et ont permis de construire comme objets d’étude, le design des six DDA dont la réalisation était prévue dans le projet, ainsi que leur expérimentation dans des contextes réalistes, avec notamment une technique d’expérimentations croisées, le même DDA étant expérimenté à la fois par l’équipe conceptrice et par une autre équipe, d’un autre pays donc autre contexte éducatif et de recherche, et ayant d’autres références théoriques.
2. Le projet international Lexicon
Le projet international Lexicon dans lequel je suis engagé depuis plusieurs années, est un projet lancé par David Clarke de l’University of Melbourne, bien connu pour son rôle dans le développement d’études comparatives respectueuses des diversités culturelles comme la Learners’ Perspective Study (Clarke, Emanuelsson, Jablonka & Mok, 2006). Cette étude, à laquelle contribuent dix pays (Allemagne, Australie, Chili, Chine, Corée, Finlande, France, Japon, République Tchèque, USA) et, dans chacun, une équipe mixte d’enseignants expérimentés et de chercheurs, a pour objectif d’identifier le lexique pédagogico-didactique « raisonnablement partagé » par les enseignants de mathématiques de niveau collège de chaque pays, de les comparer, et d’étudier la possibilité d’aller vers un lexique international, respectueux de la diversité qu’ils expriment. A son origine, il y a les limitations créées par une recherche qui utilise, comme moyen de communication international, la langue anglaise comme lingua franca, une langue dans laquelle la richesse terminologique qui existe dans différentes langues et structures ne peut pleinement s’exprimer, avec de plus des traductions qui peuvent être source de malentendus. Ce projet a posé et continue de poser maintenant que la première phase est terminée (Mesiti, Artigue, Hollingsworth, Cao & Clarke, à paraître) de redoutables défis méthodologiques. Il a fallu d’abord arriver à une compréhension commune de ce que nous entendions par lexique pédagogico-didactique. A l’origine, il s’agissait d’ailleurs d’un lexique pédagogique pour les collègues australiens qui voulaient marquer qu’il ne s’agissait pas d’un lexique de termes mathématiques et n’utilisent pas le mot didactique, péjorativement connoté dans leur culture. Ce sont les équipes d’Europe continentale, notamment l’équipe française qui ont demandé l’inclusion du mot didactique. Il fallait aussi se mettre d’accord sur la formalisation de cet objet et son processus d’obtention. Les collègues australiens, s’appuyant sur l’expérience de la Learners’ Perspective Study, ont proposé que, dans chaque pays, une vidéo soit réalisée dans une classe de grade 8 (niveau quatrième en France), avec trois caméras, l’une montrant l’ensemble de la classe, la seconde suivant l’enseignant, la troisième un groupe de deux élèves, l’enseignant et ces deux élèves étant par ailleurs munis de microphones. Les bandes audio correspondantes ont été transcrites, minutées, et traduites en anglais, puis l’équipe australienne s’est chargée du montage et du sous-titrage en anglais des vidéos à partir des traductions (voir figure 4).
Figure 4
Dispositif vidéo et montage
Il a été convenu que chaque équipe recevrait les transcriptions traduites, les montages des vidéos et les documents d’accompagnement associés (plan de la salle, préparation de l’enseignant), et que ces vidéos serviraient de base au travail des équipes. Il s’agissait de décrire ce que l’on observait, d’identifier des épisodes intéressants, et d’identifier le lexique utilisé. Le lexique visé n’était pas celui de chercheurs didacticiens mais celui d’enseignants, et dans tous les cas, même si les équipes étaient mixtes, c’étaient eux qui devaient avoir le dernier mot. En fait, dans la plupart des équipes, le processus d’élaboration d’un premier lexique a été mixte, combinant le visionnement des vidéos et leur codage sur un tableau Excel (voir figure 5), et une réflexion a priori sur le vocabulaire dont des enseignants expérimentés disposaient pour décrire une séance de classe.
Figure 5
Exemple de premier codage pour la leçon française
Régulièrement, au fil des rencontres annuelles et des échanges, les problèmes méthodologiques ont été discutés, les perspectives harmonisées et des décisions prises, engageant toutes les équipes. Par exemple, après la phase des validations locales, il a été convenu que chaque équipe organiserait une évaluation nationale en ligne de son lexique. Le questionnaire (éventuellement décliné en plusieurs variantes pour que le travail demandé reste raisonnable) devait proposer les termes accompagnés de leur définition/description, des exemples et non-exemples associés et demander à situer les degrés de familiarité, d’usage avec les collègues et de fréquence d’emploi s’agissant des pratiques sur des échelles de Likert à cinq niveaux. Des items devaient aussi proposer des termes et demander de produire des définitions ou, à l’inverse, proposer des définitions et demander quel(s) terme(s) elles évoquaient. Les participants étaient aussi invités à proposer de nouveaux termes s’ils le jugeaient bon, ainsi que des modifications des définitions et exemples. Chaque équipe devait essayer de diffuser son (ses) questionnaire(s) le plus largement possible en utilisant différents canaux et il a été convenu que, sauf exception, tout terme qui ne serait pas familier à 2/3 des enseignants répondant au questionnaire serait écarté du lexique. L’ouvrage à paraître, pour chaque pays, fournit le lexique dans la langue originelle, avec pour chaque terme, une traduction approximative ou mot à mot en anglais, une définition/description, un ou quelques exemples et non-exemples fournissant des instanciations et aidant à éviter les confusions. Il fournit aussi dans un autre chapitre une présentation détaillée de la méthodologie précise suivie et des analyses locales menées. La lecture de ces chapitres ainsi que celle du chapitre d’introduction montrent bien la complexité méthodologique de cette entreprise et les variantes observées en dépit des régulations communes, des variantes qui reflètent bien la diversité des cultures, et des conditions et contraintes de la recherche. Aujourd’hui que la première phase est terminée, la comparaison des lexiques et surtout le mouvement vers l’internationalisation posent de nouveaux défis méthodologiques redoutables. Pour les affronter, l’expérience acquise dans une décennie de recherches de networking me semble particulièrement utile.
Les exemples personnels qui précèdent concernent des recherches mobilisant une multiplicité d’acteurs, vivant dans différents contextes. Les méthodologies développées utilisent une diversité d’approches et de techniques, certaines déjà familières aux chercheurs engagés, d’autres créées ad hoc pour les besoins de la recherche. Leur utilisation engage l’élaboration d’artefacts méthodologiques variés qui instrumentent le travail à différents niveaux : organisation du recueil de données, sélection, codage, analyse, et montrent que la recherche nécessite une réelle créativité méthodologique. Ceci n’est pas propre à ce type de recherches. La plupart des recherches, et c’est bien visible par exemple quand on analyse des thèses de didactique, mobilisent une diversité de méthodes, même quand elles se revendiquent de telle ou telle méthodologie. C’est aussi le cas pour les recherches d’ingénierie didactique. Il suffit de penser au travail méthodologique qu’engagent les seules études préliminaires, dans leurs différentes dimensions. Ce que ces exemples montrent aussi, c’est que la recherche didactique n’est pas une aventure personnelle. Répondre aux défis que pose le développement de nos connaissances didactiques et en faire des savoirs utiles au plus grand nombre suppose la collaboration de chercheurs d’horizons divers, de chercheurs et d’enseignants, et même de bien d’autres acteurs, et ceci a bien sûr des conséquences méthodologiques. J’y reviendrai dans la dernière section qui envisage les questions méthodologiques sous l’angle des rapports entre recherche et action.
De la recherche à l’action : quelques réflexions
Envisageant ces rapports, il me semble important de revenir à l’origine de cette méthodologie et de l’appellation même d’ingénierie. C’est Brousseau qui, le premier, a introduit ce terme, après une invitation à l’Université du Québec à Montréal où il avait rencontré des universitaires qui se présentaient comme ingénieurs didacticiens. Comme il l’a écrit bien plus tard (Brousseau, 2013, p. 4), sa contribution a été : de dessiner, projeter et commencé à créer une science propre, qui se ferait la garante des concepts théoriques originaux nécessaires à l’ingénierie et de les soumettre aux exigences d’une science mûre enrichie de ses rapports scientifiques d’égal à égal avec les autres approches de l’enseignement.
A priori, le concept d’ingénierie didactique pouvait se développer dans deux directions, celle d’une recherche fondée sur l’intervention didactique ou celle d’une intervention fondée sur la recherche didactique. C’est dans la première direction qu’elle s’est développée, peut-être parce que, comme le pensait Brousseau, l’état de la science didactique rendait la seconde option encore impossible. Mais, ceci n’a pas empêché que subsiste une tension entre ces deux directions car, fondamentalement, ce que vise la recherche didactique, c’est bien de contribuer, par les connaissances et ressources diverses qu’elle produit, à améliorer un enseignement et apprentissage des mathématiques qui restent profondément insatisfaisants pour trop d’élèves et d’enseignants. Déjà dans mon cours à l’École d’été de 1989, j’avais pointé le problème posé par la diffusion insuffisamment contrôlée des ingénieries didactiques conçues par les chercheurs et les dénaturations qui s’ensuivaient. Et vingt ans plus tard, dans mon exposé d’introduction à celle de 2009, je soulignais que la situation ne s’était guère améliorée, alors même que dans d’autres communautés, par exemple celle de la DBR, les chercheurs travaillaient sur ces questions. Il me semble que c’est à résoudre ces tensions que contribue un concept comme celui d’ingénierie didactique collaborative présenté ci-dessus. C’est aussi pour travailler cette tension qu’à cette même l’École d’été de 2009, Perrin-Glorian a introduit la distinction entre IDR (ingénierie didactique de recherche) et IDD (ingénierie didactique de développement) et introduit l’idée l’ingénierie didactique de deuxième génération dans la perspective de développer des ressources pour l’enseignement et pour la formation des enseignants (Perrin-Glorian, 2011). Comparant les niveaux de contrôle théorique que l’IDR et l’IDD engagent, elle souligne que même si, dans les deux cas, l’analyse des mathématiques en jeu, des connaissances des élèves, la définition des situations et des milieux associés, sont sous contrôle théorique, beaucoup plus de flexibilité est nécessaire dans les IDD pour préparer l’adaptation à une diversité de contextes. La diminution du contrôle est encore plus forte s’agissant du rôle des enseignants et à ceci s’ajoute le fait que le jeu sur les contraintes institutionnelles est beaucoup plus difficile que dans les IDR, ceci amenant à accepter certaines concessions. D’où l’hypothèse qu’avant d’envisager l’implémentation de ressources issues d’IDR dans des classes ordinaires, il est nécessaire d’organiser des niveaux intermédiaires, chacun avec ses questionnements et objectifs propres, et au moins les deux niveaux suivants Au premier niveau, explique-t-elle (p. 68), l’objectif est de tester la validité théorique des situations (leur capacité à produire les connaissances attendues) et de dégager les choix fondamentaux de l’ingénierie, séparant ce qui est essentiel, incontournable en référence au savoir visé de ce qui relève du contexte choisi et pourrait être modifié, adapté. La réalisation associée a lieu dans un environnement protégé sous le contrôle des chercheurs comme dans une IDR. Au deuxième niveau, il s’agit d’étudier l’adaptabilité des situations validées à l’enseignement ordinaire, en négociant l’ingénierie avec des enseignants qui n’ont pas été associés à sa conception. Ces négociations, les transformations auxquelles elles conduisent, leur impact sur l’ingénierie et ses résultats, deviennent l’objet d’étude pour déterminer ce qui doit être préservé et pourquoi, et quelles formes de contrôle pourraient être maintenues. Comme le souligne Perrin-Glorian, l’existence même de ce second niveau impacte la totalité du travail d’ingénie rie didactique et transforme en une vision dialectique celle, généralement descendante, des processus de dissémination :Le problème n’est plus le contrôle et la diffusion des produits d’ingénierie issus des recherches mais de déterminer les variables fondamentales au regard des savoirs en jeu qui commandent l’ingénierie dont on veut faire une ressource pour l’enseignement ordinaire et d’étudier les conditions de leur diffusion (et non la diffusion du détail de l’ingénierie) (ibidem, p. 69).
C’est l’ensemble du processus qu’elle désigne par ingénierie didactique de deuxième génération. Pour moi, ces considérations résonnent avec ce que nous ont appris les recherches menées sur l’usage des ressources curriculaires par les enseignants. Elles nous montrent clairement que, comme l’exprime Rabardel, la conception se prolonge dans l’usage et qu’il faut donc anticiper dans la conception même le travail de design qui sera celui de l’enseignant.
Dans le texte cité, Perrin-Glorian illustre son approche par une recherche en cours sur la symétrie orthogonale à l’IUFM Nord-Pas de Calais à la transition entre école primaire et collège, ce qui constitue actuellement en France le cycle 3. Depuis, avec divers collègues, chercheurs comme enseignants, elle a poursuivi ces travaux sur l’enseignement de la géométrie. En est issu tout récemment l’ouvrage (Mathé, Barrier & Perrin-Glorian, 2020) qui couvre l’enseignement de la géométrie élémentaire sur le temps long de l’enseignement primaire et du collège.
Dans (Artigue, 2014), concluant la présentation de l’ingénierie didactique de seconde génération, je soulignais que la réflexion développée par Perrin-Glorian montrait bien que la transition entre recherche et développement nécessitait de nouvelles formes de recherche. Bien sûr, des chercheurs y travaillaient déjà, fournissant un important travail méthodologique et théorique, par exemple Cobb et Jackson aux USA qui, dans le cadre de l’étude MIST et une approche de DBR, avaient développé une theory of action for system-wide instructional improvement (Cobb & Jackson, 2011 ; Henrick, Cobb & Jackson, 2014), mais de tels travaux étaient assez exceptionnels dans l’ensemble de la recherche didactique. Ils le restent encore aujourd’hui mais il me semble que la conscience de leur nécessité et sa prise en charge, ont progressé, en même temps que la volonté commune de réduire le fossé existant entre la recherche et l’action. En témoignent par exemple les recherches menées dans le cadre de divers projets européens visant à soutenir le développement de pratiques d’enseignement et d’apprentissage basées sur les démarches d’investigation (voir par exemple le numéro de ZDM basé sur les travaux menés dans le cadre du projet PRIMAS (Maass, Artigue, Doorman, Krainer & Ruthven, 2013), la création au congrès européen CERME 10 en 2017 d’un nouveau groupe thématique, le TWG 23 intitulé Implementation of research findings in mathematics education, dont les travaux se sont prolongés à CERME 11, ou la création en cours d’une nouvelle revue intitulée Implementation and Replication Studies in Mathematics Education.
Dans les travaux présentés dans le TWG 23 (Dooley & Gueudet, 2017 ; Jankvist, van den Heuvel-Panhuizen, & Veldhuis, 2019), on constate, et cela était prévisible, une forte prédominance des approches en termes de DBR. Elles se combinent sur le plan théorique avec les apports de champs scientifiques comme ceux de la santé où les recherches d’implémentation ont une plus longue histoire. Il ne fait pas de doute que ces recherches d’implémentation qui nécessairement engagent une multiplicité d’acteurs et d’institutions, si elles se développent effectivement, comme je le souhaite personnellement, vont poser de réels défis méthodologiques et nécessiter une réelle créativité dans ce domaine. J’ai pu personnellement en prendre la mesure, cette dernière décennie, à travers les différents projets européens auxquels j’ai participé.
Pour conclure
Dans ce texte, j’ai essayé de partager mon expérience et mes réflexions sur les méthodologies de la recherche didactique. La place que j’ai accordée à l’ingénierie didactique sous ses multiples formes et à la design-based research plus généralement, reflètent sans aucun doute le rôle qu’a joué cette méthodologie dans ma vie personnelle de chercheuse, l’importance que j’attache aux efforts faits collectivement par ma communauté didactique pour construire des outils méthodologiques répondant à ses besoins propres et à sa vision de ce champ de recherche, et également aux efforts faits pour penser de façon plus efficace les rapports entre théorie et pratique. D’autres sans doute auraient fait des choix différents. Malgré ce choix et les limitations qu’il induit, ne donnant à voir qu’une petite partie des méthodologies utilisées aujourd’hui en didactique, j’espère que ces quelques réflexions seront utiles au lecteur, et en particulier aux plus jeunes d’entre eux, qui ne connaissent pas cette histoire méthodologique et les logiques et événements qui l’ont portée. J’espère avoir réussi à montrer que ces questions méthodologiques sont mieux comprises quand elles sont resituées dans celle des praxéologies de recherche dans lesquelles elles se sont inscrites, et aussi avoir mis en lumière la créativité méthodologique que requiert le travail de recherche en didactique. En didactique, on a tendance attribuer beaucoup de valeur aux constructions théoriques. Il serait sans doute sain de savoir bien reconnaître également la valeur du travail méthodologique et sa créativité.
Méthodologies de recherche en didactique des mathématiques : Où en sommes-nous ?
Artigue, M. (1986). Etude de la dynamique d’une situation de classe : une approche de la reproductibilité. Recherches en Didactique des Mathématiques, 7(1), 5-62.
Artigue, M. (1989). Ingénierie didactique. Recherches en Didactique des Mathématiques, 9(3), 281-308.
Artigue, M. (2002). Ingénierie didactique : quel rôle dans la recherche didactique aujourd’hui ? Revue Internationale des Sciences de l’Education, 8, 59-72.
Artigue M. (2011A). L’INGÉNIERIE DIDACTIQUE COMME THÈME D’ÉTUDE. IN C. MARGOLINAS ET AL. (Eds.), En amont et en aval des ingénieries didactiques. XVe école d’été de didactique des mathématiques (pp. 15-26). Grenoble : La Pensée Sauvage Editions.
Artigue M. (2011b). L’ingénierie didactique : un essai de synthèse. In, C. Margolinas et al. (Eds.), En amont et en aval des ingénieries didactiques. XVe école d’été de didactique des mathématiques (pp. 225-237). Grenoble : La Pensée Sauvage Editions.
Artigue, M. (2014). Perspectives on Design Research : The Case of Didactical Engineering. In, A. Bikner-Ahsbahs, C. Knipping & N. Presmeg (Eds), Approaches to Qualitative Research in Mathematics Education (pp. 467-496). New York: Springer.
Artigue, M. (2018). Didáctica de las matemáticas y reproducibilidad, Educación Matemática, 30(2), 9-32.
Artigue, M. (2020). Didactical engineering. In S. Lerman (Ed.), Encyclopedia of Mathematics Education. Second Edition (pp. 202-206). New-York : Springer.
Artigue, M. & Bosch, M. (2014). Reflection on Networking through the praxeological lens. In, A. Bikner-Ahsbahs & S. Prediger (Eds.), Networking of Theories as a Research Practice in Mathematics Education (pp. 249-266). New York : Springer.
Artigue, M., Bosch, M., & Gascón, J. (2011). La TAD face au problème de l’interaction entre cadres théoriques en didactique des mathématiques. In M. Bosch et al. (Eds.), Un panorama de la TAD. Actes du troisième congrès de la TAD (pp. 33-56). Barcelona: Centre de Recerca Matemática.
Artigue, M. et al. (2019). The French didactic tradition. In Werner, B., Artigue, M., Mariotti, M. A., Strä er, R., & Van den Heuvel-Panhuizen, M. (Eds.), European Traditions in Didactics of Mathematics (pp. 11-56). New-York : Springer Open.
Artigue, M., & Perrin, M.J. (1991). Didactic engineering, research and development tool : some theoretical problems linked to this duality. For the Learning, 11(1), 13-18.
Artigue, M., & Robinet, J. (1982). Conceptions du cercle chez des enfants de l’école élémentaire. Recherches en Didactique des Mathématiques, 3(1), 5-64.
Arzarello, F. (2008). Mathematical landscapes and their inhabitants: Perceptions, languages, theories. En E. Emborg, y M. Niss (Eds.), Proceedings of the 10th International Congress of Mathematics Education (pp. 158-181). Copenhaguen : Roskilde University.
Bakker, A., & van Eerde, D. (2014). An introduction to design-based research with an example from statistics education. In A. Bikner-Ahsbahs, C. Knipping & N. Presmeg (Eds), Approaches to Qualitative Research in Mathematics Education (pp. 429-466). New York : Springer.
Barquero, B. (2009). Ecología de la Modelización Matemática en la enseñanza universitaria de las Matemáticas. Thèse de Doctorat. Universidad Autónoma de Barcelona.
Barquero, B., & Bosch, M. (2015). Didactic engineering as a research methodology: from fundamental situations to study band research paths. In A. Watson & M. Ohtani M (Eds.), Task design in mathematics education (pp. 249–272). New York : Springer.
Bartolini-Bussi, M., & Mariotti, M. A. (2008). Artifacts and signs after a Vygostkian perspective. In L. English, M. Bartolini-Bussi, G. Jones, R. Lesh and D. Tirosh (Eds.), Handbook of international research in mathematics education, second revised edition (pp. 746-805). Mahwah : Lawrence Erlbaum.
Bikner-Ahsbahs, A., Knipping, C., & Presmeg, N. (Eds) (2014). Approaches to Qualitative Research in Mathematics Education. New York : Springer.
Bikner-Ahsbahs, A., & Prediger, S. (2014). Networking of Theories as a Research Practice in Mathematics Education. New York : Springer.
Blocher, J-N. (2018). Comprendre et montrer la transmission du savoir : les systèmes hybrides texte-image-son comme lieux de production et d’écriture de phénomènes. Illustrations en Théorie de l’Action Conjointe en Didactique. Thèse de doctorat. Université de Bretagne Occidentale.
Brousseau, G. (1998). Théorie des situations didactiques. Grenoble : La Pensée Sauvage.
Brousseau, G. (2013). Introduction à l’Ingénierie Didactique. http://guy-brousseau.com/wp-content/uploads/2013/12/Introduction-%C3%A0-ling%C3%A9nierie-didactique3.pdf
Brousseau, G., Brousseau, N., & Warfield, V. (2014). Teaching fractions through situations :
Cantoral, R. (2016). Teoría socioepistemológica de la matemática educativa. Estudios sobre construcción social del conocimiento. Barcelona : Gedisa Editorial.
Chevallard, Y. (1982). Sur l’ingénierie didactique. Préparation de la deuxième ecole d’été de didactique des mathématiques. Preprint. IREM d’Aix Marseille. Accessible à http://yves.chevallard.free.fr
Chevallard, Y. (2011). La notion d’ingénierie didactique, un concept à refonder. Questionnement et éléments de réponse à partir de la TAD. In, C. Margolinas et al. (Eds.), En amont et en aval des ingénieries didactiques. XVe école d’été de didactique des mathématiques (pp. 81-108). Grenoble : La Pensée Sauvage Editions.
Clarke, D., Emanuelson, J., Jablonka, E., & Mok, I.A.C. (Eds.) (2006). Making connections: Comparing mathematics classrooms around the world. Rotterdam : Sense Publishers.
Cobb, P., Confrey, J., diSessa, A., Lehrer, R., & Schauble, L. (2003). Design Experiments in Educational Research. Educational Researcher, 32(1), 9-13.
Cobb, P., & Jackson, K. (2011). Towards an empirically grounded theory of action for improving the quality of mathematics teaching at scale. Mathematics Teacher Education and Development, 13, 6-33.
Design-Based Research Collaborative (2003) Design-based research: An emerging paradigm for educational enquiry. Educational Researcher, 32(1), 5-8.
Dooley, T., & Gueudet, G. (Eds.) (2017). Proceedings of CERME 10. Dublin : DCU Institute of Education et ERME.
Douady, R. (1986). Jeux de cadres et dialectique outil-objet. Recherches en Didactique des Mathématiques, 7(2), 5-32.
Falcade, R. (2006) Théorie des situations, médiation sémiotique et discussions collectives dans des séquences d’enseignement avec Cabri-géomètre pour la construction des notions de fonction et de graphe de fonction. Thèse de doctorat. Université Joseph Fourier, Grenoble et Universita degli studi, Turin.
Farfán Marquez, R. M. (1997). Ingeniería didáctica : Un estudio de la variación y del cambio. México : Grupo Editorial Iberoamérica.
Gras, R., Regnier, J.-C., & Guillet, F. (2009). Analyse statistique implicative : Une méthode d'analyse de données pour la recherche de causalités. Toulouse : Cépaduès Editions.
Gueudet, G., & Trouche, L. (Eds.) (2010). Ressources vives. Le travail documentaire des professeurs, le cas des mathématiques. Bruxelles : De Boeck Editions.
Henrick, E., Cobb, P., & Jackson, K. (2014). EDUCATIONAL DESIGN RESEARCH TO SUPPORT SYSTEM-WIDE INSTRUCTIONAL IMPROVEMENT. In, A. Bikner-Ahsbahs, C. Knipping & N. Presmeg (Eds), Approaches to Qualitative Research in Mathematics Education (pp. 497-530). New York : Springer.
Jankvist, U.T., van den Heuvel-Panhuizen, M., & Veldhuis, M. (Eds.) (2019). Proceedings of CERME 11. Utrecht : Freudenthal Group & Freudenthal Institute, Utrecht University et ERME.
Kelle, H., & Buchholtz, N. (2014). THE COMBINATION OF QUANTITATIVE AND QUALITATIVE RESEARCH METHODS IN MATHEMATICS EDUCATION: A “MIXED METHODS” STUDY ON THE DEVELOPMENT OF THE PROFESSIONAL KNOWLEDGE OF TEACHERS. In A. Bikner-Ahsbahs, C. Knipping & N. Presmeg (Eds), Approaches to Qualitative Research in Mathematics Education (pp. 321-361). New York : Springer.
Kuhn, T. (1990). La tension essentielle : Tradition et changement dans les sciences. Paris :