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Les enjeux stratégiques actuels de la Russie en Méditerranée: analyse retrospective et prospective
Paix et Sécurité Internationales – Journal of International Law and International Relations, n° 8, pp. 451-466, 2020
Universidad de Cádiz

Notas

Paix et Sécurité Internationales – Journal of International Law and International Relations
Universidad de Cádiz, España
ISSN-e: 2341-0868
Périodicité: Anual
n° 8, 2020

Résumé: .

Mots clés: Russie, la géostratégie, la Méditerranée, la flotte russe.

Resumen: : Desde 2015, el año de la intervención militar rusa en Siria, el Mediterráneo, y especialmente el Mediterráneo oriental, está en el centro de la política exterior de Rusia. Este último lleva años buscando otorgarse el estatus de una gran potencia internacional en oposición a Occidente. Este artículo pretende examinar los motivos de la retirada unilateral de la flota rusa del Mediterráneo tras la desintegración de la URSS, los desafíos de su regreso y los intereses que Moscú defiende en la región.

Palabras clave: Rusia, geoestrategia, Mediterráneo, flota rusa.

Abstract: : Since 2015, the year of Russian military intervention in Syria, the Mediterranean, especially the eastern Mediterranean, is at the heart of Russian foreign policy, which seeks to give itself the status of a great power in opposition to the West. This article intends to set out to examine the reasons for the unilateral withdrawal of the Russian fleet from the Mediterranean after the dissolution of the Soviet Union, the challenges related of its return and the interests that Moscow defends in the region.

Keywords: Russia, geostrategy, Mediterranean Sea, Russian fleet.

I. INTRODUCTION

Faisant référence à l’influence de la localisation géographique d’un État sur les choix de sa politique, Napoléon nous enseigne « qu’un État fait la politique de sa géographie ». L’appropriation de ce postulat permet à tout analyste de la géopolitique russe de bien saisir les fondements de la politique étrangère du Kremlin pour qui le désenclavement géographique de la Russie passe par la recherche d’un accès aux mers chaudes parmi lesquelles la Méditerranée représente un espace essentiel nécessaire à la défense de ses intérêts politiques, économiques et stratégiques.

Structurée à travers le temps, la perception géostratégique russe à l’égard de la Méditerrané s’est construite autour d’un certain nombre de constantes parmi lesquelles figure ce sentiment permanent d’insécurité qui fait de la Russie une « forteresse assiégée ». Dès lors, l’accès à l’espace méditerranéen apparaît comme un effort de désenclavement entrepris par Moscou depuis les trois derniers siècles. A travers son adhésion à la convention de Montreux du 20 juillet 19362 l’Union soviétique à permis à sa flotte de s’affranchir de la contrainte des Détroits turcs du Bosphore et des Dardanelles et de circuler librement entre la mer Noir et la Méditerranée et vice-versa.

Plus tard, après le début de la guerre froide, Moscou avait réussi à acquérir des bases navales aussi bien en Albanie, en Égypte, en Syrie qu’en Libye. En 1987, l’URSS disposait en Méditerranée d’une force navale de 43 navires lui permettant de s’opposer à la pression occidentale sur son flanc sud et de faire face à la VI° flotte américaine, ainsi qu’au dispositif naval de l’OTAN.

Ce sont les unités de cette force navale, dénommée «Eskadra», qui, depuis Sébastopol, assuraient, garantissaient et pérennisaient les intérêts de l’URSS en Méditerranée.3

Le 31 décembre 1991, la disparition soudaine et inattendue de l’URSS s’apparente à un séisme de la vie internationale, dont Francis Fukuyama n’a pas hésité à affirmer qu’elle marquait «la fin de l’histoire ».4 De par ses conséquences géostratégiques, cette disparition a affaibli la nouvelle Fédération de Russie sur la scène internationale suite à sa décision unilatérale de retirer sa flotte de la zone méditerranéenne.

Au terme de sept années d’absence, Evgueni Primakov,5 nommé en 1998 par Boris Eltsine au poste de ministre des Affaires étrangères, avait annoncé cette même année la volonté de son pays de renouer avec le Méditerranée et le Moyen-Orient. Vingt ans après, l’espace méditerranéen demeure au cœur de la politique étrangère de la Russe qui cherche à se donner un statut de grande puissance en opposition à l’Occident. Un tel objectif, nous invite à nous interroger sur les raisons du retrait unilatéral de la flotte russe de la Méditerranée, sur les enjeux de son retour, sur les intérêts que Moscou défend dans la région et sur les moyens qu’elle mobilise pour y parvenir.

II. LA FLOTTE RUSSE EN MÉDITERRANÉE : HISTOIRE D’UN RETRAIT UNILATÉRAL

Tout au long de son histoire contemporaine, l’outil par lequel le Kremlin garantissait ses intérêts en Méditerranée été sa flotte de la mer Noire. Après l’éclatement de l’URSS en 1991, cette flotte a fait l’objet d’un lourd litige entre la nouvelle Fédération de Russie et l’Ukraine, nouvellement indépendante, au sujet de la répartition des navires et des installations maritimes situés en Crimée et sur le littoral ukrainien, particulièrement l’arsenal de Sébastopol et la base navale d’Odessa.

Il s’agit d’un litige qui a pour origine la signature par le président ukrainien, Leonid Kravtchouk, le 5 avril 1992, d’un décret portant sur « les mesures urgentes à prendre pour édifier les forces armées de l’Ukraine », lequel texte stipule que l’ensemble des unités et infrastructures de la flotte soviétique de la mer Noire passe sous la juridiction de Kiev.6

Avec la dénonciation vigoureuse de ce décret par Moscou, la question du devenir de la flotte de la mer Noire entraînera des tensions entre les deux pays. Entre 1992 et 1995 les négociations n’ont abouti qu’à la résolution de la seule question des armes nucléaires stratégiques qui ont été transférées, sous la pression de la communauté internationale, de l’Ukraine à la Russie7, désignée héritière officielle de la défunte URSS.

Pour le Kremlin, ce litige comporte des enjeux sécuritaires lourds de conséquences : sécurité des côtes russes en mer Noire, statut, prestige et garantie des intérêts de la Russie en Méditerranée….Dès lors, la nécessité de préserver cet outil de souveraineté8 devient une cause nationale pour une Russie à la recherche de la reconstitution de sa grandeur.

Ce n’est qu’en mai 1997 que ce litige sera réglé par une série de traités portant sur les conditions du partage de la flotte9 et sur les clauses de la présence de l’armée russe sur le sol ukrainien10. Tout en réaffirmant la souveraineté de Kiev sur la péninsule de la Crimée, ces traités permettaient à la Russie de conserver les bases navales et aériennes existantes dans le port de Sébastopol jusqu’en

Après avoir procédé au partage, à part égale, des navires et infrastructures portuaires de l’ancienne flotte soviétique de la mer Noire, la Russie a effectué une opération de rachat d’un certain nombre de navires aux Ukrainiens pour un montant de 526 millions de dollars, opération qui lui a permis de disposer au final de 82 % du potentiel total de cette flotte. Une fois l’opération de partage achevée et la base de Sébastopol maintenue dans le giron de la Russie, la scène méditerranéenne a été progressivement réinvestie par Mosc

2017. Cette date a été reportée par un nouveau bail jusqu’à 2042, moyennant le versement par l’armée russe à la ville de Sébastopol d’une rente annuelle de 100 millions de dollars.

Après avoir procédé au partage, à part égale, des navires et infrastructures portuaires de l’ancienne flotte soviétique de la mer Noire, la Russie a effectué une opération de rachat d’un certain nombre de navires aux Ukrainiens pour un montant de 526 millions de dollars, opération qui lui a permis de disposer au final de 82 % du potentiel total de cette flotte. Une fois l’opération de partage achevée et la base de Sébastopol maintenue dans le giron de la Russie, la scène méditerranéenne a été progressivement réinvestie par Moscou compte tenu des enjeux politique, économique et militaire qu’elle recèle.

III. LES ENJEUX DU RETOUR DE LA FLOTTE RUSSE EN MÉDITERRANÉE

Le retour de la flotte russe en Méditerranée a été annoncé en 1999 par Vladimir Poutine, alors Premier ministre de Boris Eltsine, en déclarant que la « la Russie avait vocation à entretenir une présence navale permanente dans les eaux méditerranéennes ».11 En 2001, la doctrine maritime russe avait stipulé que Moscou entend prendre toutes les dispositions nécessaires afin d’être en mesure de pérenniser sur le théâtre méditerranéen une présence navale envisagée sur le long terme.12 Depuis la diffusion de cette doctrine, l’activité navale russe s’est accrue significativement en Méditerranée pour atteindre, en 2008, le volume d’un groupe aéronaval formé autour du porte-avions « l’Amiral Kouznetsov ».13 Cette forte activité à fait dire au Commandant de la force navale russe que Moscou n’envisage pas intervenir militairement mais aspire à « assurer la présence de sa flotte comme l’un des éléments cruciaux des forces armées de la Russie dans la région ».14

Déjà en 2007, le quotidien britannique « The Guardian » avait annoncé que le gouvernement russe cherchait à faire étalage des capacités opérationnelles de sa marine, tout en considérant que l’envoi de son porte-avions constitue « le premier pas vers le rétablissement de la présence navale russe dans la région ».15

En 2013, cherchant à dissuader la France et les États-Unis d’intervenir par des frappes aériennes en Syrie, la Russie avait organisé en Méditerranée orientale ses plus importantes manœuvres aéronavales au cours desquelles elle a déployé la plus grande concentration de navires depuis la chute de l’URSS.16 Justifiant l’importance de ce déploiement, l’amiral Viktor Tchirkov, commandant en chef de la marine russe, avait déclaré que l’objectif de cette présence en Méditerranée était d’« éviter la moindre menace aux frontières et à la sécurité de l’État ».17 Pour le quotidien français « le Figaro », l’ampleur de ces manœuvres « manifeste le soutien accordé par Moscou au régime syrien » et montre la détermination de la Russie à ne pas permettre aux pays d’Occident « d’appliquer à la Syrie le scénario libyen ».18 Selon le journal américain « The New York Times », Ces manœuvres de la marine russe constituent une tentative de Moscou de se positionner comme un arbitre décisif dans le règlement du conflit syrien.19

A vrai dire, ayant un but plus politique que militaire, la présence d’une imposante flotte russe permanente en Méditerranée vise surtout à défendre trois catégories d’intérêts : celui relatif à la renaissance de son statut de grande puissance, des intérêts sécuritaires et des intérêts économiques.

IV. LA MÉDITERRANÉE : UN ESPACE POUR LA RENAISSANCE DE LA PUISSANCE RUSSE

Au cours des décennies 1990 et 2000, la montée en puissance de l’interventionnisme américain a développé chez les russes la crainte de voir Washington occuper seule la scène internationale, sans tenir compte des intérêts des autres nations. En effet, les crises du Kosovo de 1999, d’Irak de 2003 et de la Libye de 2011, n’ont laissé à la Russie d’autre choix que l’emploi de son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU. Une telle situation a fait dire à Sergueï Lavrov, au début de l’année 2013, que « Si quelqu’un est résolu à employer la force à tout prix, nous ne pourrons sans doute guère y faire obstacle. Mais que ce quelqu’un en assume l’initiative et s’arrange avec sa conscience ! Il n’y aura, en tout cas, aucun blanc-seing du Conseil de sécurité de l’ONU ».20 Il s’agit là d’une déclaration qui traduit le constat des limites de la puissance russe et exprime un attachement au droit international face à ce que Sergueï Lavrov appelle le « business » du changement de régime.21

Tout en constatant que les interventions menées par les Occidentaux au Kosovo et en Irak n’ont pas contribué à l’instauration de la paix et que l’opération menée par l’OTAN en Libye n’a fait qu’étendre l’instabilité jusqu’au Sahel, Moscou commence donc à manifester sa contestation contre l’ingérence dans les affaires des États souverains et a annoncé ouvertement qu’elle « ne se laissera pas marcher sur les pieds indéfiniment ».22 Pour y arriver, elle décide de faire contrepoids à l’influence occidentale en opérant un retour en force sur la scène méditerranéenne, lequel retour avait été considéré au mois de février 2013 par le même Sergueï Lavrov comme étant « un facteur de stabilité pour la région ».23

En renforçant le potentiel de sa flotte et sa présence dans la région méditerranéenne, la Russie dévoile ainsi une nouvelle doctrine militaire globale

ayant un double objectif : se donner un rang de grande puissance et s’affirmer faceaux États-Unis et à l’OTAN qui apparaissent de plus en plus menaçants.

Lancée le 21 avril 2000, la nouvelle doctrine militaire russe explicite les orientations de la politique étrangère et de sécurité du Kremlin qui est l’expression d’une politique extérieure en rupture avec l’Occident. Tout en revendiquant un surcroît de présence et d’indépendance sur la scène internationale, cette doctrine dénonce «les ingérences dans les affaires intérieures russes, les tentatives d’ignorer les intérêts russes dans la résolution des conflits internationaux et la remise en cause des équilibres régionaux aux frontières de la Russie ».

Depuis cette date, la position de la Russie ne cesse de se durcir face à l’unilatéralisme américain. En avril 2008, se tient à Bucarest le Sommet de l’OTAN dont l’agenda prévoit deux points clés : l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Alliance, ainsi que le déploiement d’un bouclier antimissile à l’Est de l’Europe. En réaction à ce Sommet, tout en craignant un encerclement occidental, la Russie a élaboré un programme de modernisation de sa Marine et un renforcement de la flotte de la mer Noire. Le but étant de disposer d’un outil naval performant capable de contribuer à la déstabilisation de l’influence américaine dans les zones où elle domine comme la Méditerranée ou le Moyen- Orient.

Parmi les actions ayant participé à cette déstabilisation figure l’intervention des forces russe en Syrie. Conduite avec le professionnalisme qui sied aux grandes armées, cette intervention a constitué une occasion pour la Russie de se garantir une place dans les potentielles négociations post-conflit et de compter à nouveau dans le concert des grandes nations.

En 2014, Barack Obama avait provoqué la fureur du Kremlin en qualifiant la Russie de « puissance régionale » en perte d’influence. Dès lors, l’implication russe en Syrie n’est qu’une réponse directe à ces propos. A travers cette implication, la Russie a voulu dire à Obama : on est une puissance globale, qui peut intervenir quand ses intérêts sont en jeu.24

Après avoir contribué à la sauvegarde du régime de son allié syrien et assuré la protection de ses bases à Lattaquié et à Tartous, la Russie a fini par gagner

son pari en Syrie du fait de l’hésitation américaine, de la faiblesse onusienne et des incohérences européennes.25 Aujourd’hui, la Russie entend prendre une part croissante dans le règlement des conflits internationaux et être un acteur majeur au sein du théâtre méditerranéen dans lequel elle entend défendre également des intérêts sécuritaires.

1. Des intérêts sécuritaires a l’origine du retour russe en Méditerranée

Au cours d’une tournée diplomatique dans les pays arabes, effectuée en 1996, L’ancien ministre russe des Affaires étrangères Evgueni Primakov avait annoncé que « la Méditerranée fournissait à la Russie un accès direct au Moyen- Orient, une région considérée comme stratégique par Moscou qui voit encore aujourd’hui son flanc méridional comme le plus instable ».26

Cette perception d’instabilité et de vulnérabilité de sa frontière sud s’est amplifiée au lendemain des événements qui ont secoué le monde arabe à partir de 2011, lesquels événements ont été observés avec crainte par les autorités russes.27 Du point de vue du Kremlin, la situation au Moyen-Orient risque fort de faire tâche d’huile en Asie centrale et dans le Caucase, voisinage immédiat de la Russie. Pour le Kremlin, il existe une sorte de continuum entre la problématique de l’instabilité au Moyen-Orient et la sécurité pour elle-même et son voisinage.28

Déjà, dès le début des contestations populaires en Égypte, fin 2010, certains observateurs russes avaient perçu les vagues du « printemps arabe » comme des « grandes révolutions islamiques »29 pouvant menacer la sécurité de leur pays. En développant une telle lecture, les autorités russes ne peuvent donc rester insensibles à toute forme d’islamisation déstabilisante d’un Moyen-

Orient au sud de leur Fédération sur laquelle vivent 20 millions de musulmans30 dont l’évolution identitaire préoccupe Moscou.

Cette préoccupation est d’autant plus forte que la Russie a subi, au cours des quinze dernières années, de nombreuses attaques terroristes perpétrées par des mouvements indépendantistes, tchétchènes, caucasiens ou islamistes radicaux. Parmi ces attaques, cinq ont causé des pertes civiles particulièrement lourdes : la première prise d’otage au théâtre de Moscou du 23 au 26 octobre 2002,31 la seconde prise d’otages de Beslan en Ossétie du Nord du 1 au 3 septembre 2004,32 les attentats-suicide dans le métro de Moscou du 29 mars 2010,33 l’attentat à l’aéroport international de Moscou du 24 janvier 2011,34 ainsi que l’écrasement dans le Sinaï le 31 octobre 2015 du vol 9268 à destination de Saint-Pétersbourg,35 Outre ces événements tragiques, nombreux sont les

« djihadistes » russophones qui opèrent en Irak et en Syrie dont le chiffre s’élève à 5000. Le retour de ces combattants qui ont capitalisé une expérience opérationnelle préoccupe fortement les autorités russes qui craignent une expansion des actions armées au sein des républiques musulmanes du Caucase. Tirant donc les enseignements de sa lutte contre les mouvements radicaux, tout en se présentant comme le leader de la lutte contre le terrorisme, la Russie a pesé de tout son poids sur les rapports de forces au Moyen-Orient en articulant sa diplomatie autour d’un « croissant chiite » s’étendant de l’Iran

à la Syrie en passant par l’Irak ».36 Le but étant la création d’une zone tampon dans l’espace méditerranéen lui permettant d’endiguer la menace terroriste à distance.

Pour concrétiser cet endiguement, il lui était nécessaire d’affirmer une présence militaire dans la région et de démontrer ses capacités. C’est chose faite depuis le 30 septembre 2015, date de l’intervention militaire de son armée contre l’État Islamique. Première dans la région depuis l’époque soviétique, cette intervention militaire est considérée par les experts comme un succès qui a consacré le (ré) ancrage de la Russie en Méditerranée pour défendre et promouvoir également ses intérêts économiques.

2. Des intérêts économiques à défendre et à promouvoir en Méditerranée

En zone méditerranéenne et au Moyen-Orient, la Russie dispose de nombreux intérêts économiques dont les plus importants sont liés aux secteurs sensibles des énergies, de l’armement et du nucléaire civil.

A. La Russie en Méditerranée: des intérêts énergetiques à saisir

Les récentes découvertes de gaz naturel dans les eaux territoriales de l’Égypte, du Liban, de la Syrie et d’Israël viennent confirmer que les fonds de la Méditerranée orientale renferment de riches gisements de gaz naturel dont le volume est estimé, selon un rapport géologique américain réalisé en 2010, à près de 84.000 milliards de mètres cubes. Outre le gaz, les pays de la région recèlent, également, des gisements de pétrole dont l’importance pourrait contribuer à l’amélioration de leur sécurité d’approvisionnement énergétique, tout en diminuant leur dépendance aux importations d’énergie.

Pour se mettre en bonne position dans ce futur marché potentiel, la Russie entend jouer un rôle majeur, principalement dans l’espace maritime vierge de la Syrie. En effet, dès la fin de 2013, Damas et Moscou ont signé un accord de vingt-cinq ans, marquant le début d’une prospection pétrolière et gazière en eaux syriennes, dont le coût devrait s’élever à 73 millions d’euros.37 C’est à la société russe « Soyuz Nefte Gaz » que revient la mission d’explorer le bassin

du secteur syrien et de déterminer ses réserves avant d’entreprendre leur extraction. Il s’agit là du premier contrat de prospection pétrolière et gazière dans les eaux territoriales de la Syrie.

Disposant d’une position géographique permettant l’acheminement du pétrole et du gaz du golfe Persique vers le marché européen, la Syrie avait refusé, en 2009, de signer un contrat avec le Qatar visant la construction d’un gazoduc passant par l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Syrie et la Turquie, en vue de le relier à l’Europe. Ce refus illustre parfaitement la volonté du pouvoir politique syrien à défendre les intérêts de son allié russe.

Cherchant à promouvoir les intérêts d’autres secteurs de l’économie de leur pays, Poutine et Medvedev se sont fait accompagner par les responsables de leurs grandes sociétés industrielles lors de leurs tournées au Moyen-Orient en 2005, 2007 et 2009. Ces tournées ont engendré une nette évolution des exportations russes vers les pays du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient en les faisant passer de 3,9% en 1995 à 7% en 2016, grâce, notamment aux ventes d’armes.

B. La vente d’armes :

secteur clé du commerce extérieur russe en Méditerranée

Selon le rapport publié fin Mars 2018 par l’Institut International de Recherche sur la Paix de Stockholm (SIPRI), au cours de la période 2013- 2018, la Russie est classée deuxième exportateur mondial d’armes avec un taux de 22% derrière les États Unis (34%) et avant la France (6,7%). En moyenne, les ventes d’armes russes ont connu une augmentation annuelle de 11% durant les dernières années.38 Pour SIPRI, durant la même période 2013- 2017, le Moyen-Orient a occupé la troisième place avec un taux de 11% des exportations russes, après l’Asie-Océanie (66%) et l’Afrique (13%).

Aussi diversifiée que performante, l’industrie de l’armement russe est constituée de consortiums et de holding d’État dont « Rosoboronexporte » est l’agence publique qui a le monopole d’État pour la négociation de contrats et l’export d’armes. Dans la stratégie de conquête de marchés de cette agence, les États de la Méditerranée et du Moyen-Orient occupent une bonne place.

Parmi les armes russes qui connaissent aujourd’hui une forte demande d’acquisition de la part des États de la Méditerranée et du Moyen-Orient

figure le missile de défense aérienne de longue portée baptisé S-400. Qualifié d’« incomparable » par les experts militaires, ce système dont la portée avoisine les 400 kilomètres peut s’attaquer à toutes les catégories de cibles aériennes, allant des missiles balistiques aux avions de chasse furtifs, en passant par les drones.39 Ses capacités techniques et opérationnelles dépassent de loin celles du système « Patriot » américain qui a connu une grande notoriété durant les grands conflits armées des décennies 1990 et 2000.

Parmi les clients du S-400 figurent l’Égypte, l’Irak, la Syrie. Les Saoudiens comptent, également parmi les clients les plus intéressés par cette arme. Lors de la visite du Roi Salmane à Moscou, le 5 octobre 2017, un protocole d’accord fut signé pour l’achat d’un certain nombre de systèmes d’armes, dont le S-400, assorti d’un transfert de technologie permettant le développement futur d’une industrie saoudienne de défense.

Les Turcs, à leur tour, viennent de signer un accord de 2,5 milliards de dollars, au grand dam des États-Unis qui ont menacé Ankara de sanctions, lesquelles menaces ont amené le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu à répondre que « les négociations sur le S-400 sont terminées. C’est marché conclu ».40

Autre pays qui importe 59% de ses armes de la Russie, l’Algérie. Selon les propos de l’ambassadeur russe à Alger, rapportés par le site d’information russe Sputnik,41 Alger achète « la moitié des armes russes exportées vers l’Afrique ». Au cours des dernières années, l’armée algérienne a acquis de la Russie diverses catégories d’équipements de défense de nouvelle génération, tels que les systèmes de défense antiaérienne et antimissile, les avions de combat, les sous- marin, les chars, et bientôt les hélicoptères «tueurs de chars». Selon le dernier rapport de SIPRI,42 l’Algérie reste aujourd’hui le plus grand importateur d’armes en Afrique avec 46% des importations d’armes sur la période 2012- 2016.

Outre les intérêts économiques liés aux secteurs de l’énergie et des armes que la Russie cherche à défendre et à promouvoir en Méditerranée et au Moyen-Orient, d’autres branches de leur industrie font, également, partie de ces intérêts parmi lesquelles figure l’industrie nucléaire civile dont la vente de ses produits aux pays de la région connait une expansion significative.

C. Le nucléaire civil russe : un marché en expansion en Méditerranée

La Russie occupe depuis longtemps une place majeure au sein du marché mondial du nucléaire civil. Un des fleurons de l’industrie nationale, l’énergie nucléaire a été reconnue comme un secteur stratégique au sein de l’économie russe et bénéficie de tout le soutien du gouvernement et, notamment, l’accès aux fonds souverains d’investissement.

Sous l’impulsion du Kremlin, la société nucléaire nationale Rosatom a développé une stratégie d’exportation visant l’accroissement du nombre de contrats pour des réacteurs, afin qu’ils représentent 40 % des exportations nucléaires du pays en 2022.43 Pour se faire, Rosatom cible aujourd’hui les régions méditerranéenne et du Moyen-Orient où les opportunités sont importantes. En déployant des efforts constants de promotion de sa technologie nucléaire, la société russe est arrivé à remporter plusieurs contrats de vente des réacteurs nucléaires aussi bien en Égypte, en Jordanie, en Turquie qu’en Arabie saoudite et cherche, depuis 2017, à saisir d’autres opportunités au Maroc, en Irak, en Algérie et aux Émirats arabes unis. Si les discussions en cours aboutissent à des accords commerciaux, Rosatom pourrait participer à la construction de plus de 16 réacteurs dans les deux régions.44

Nombreux sont les facteurs qui font de la Russie un partenaire crédible pour les pays méditerranéens et moyen-orientaux qui cherchent à développer la technologie nucléaire. Parmi ces facteurs, nous citons, d’abord, la capacité de Rosatom à fournir des solutions nucléaires intégrées qui couvrent l’ensemble du cycle du combustible, en amont et en aval, ensuite, les avantages liés au financement des différentes phases de construction du réacteur45 qui ont été

particulièrement appréciés par les gouvernements jordanien et égyptien, enfin, l’offre faite par Rosatom consiste à construire le réacteur, à l’exploiter puis à vendre ensuite son électricité au réseau national à un prix garanti. Une telle offre a été acceptée par la Turquie et la Jordanie.

Au delà de ces facteurs qui sont susceptibles de favoriser le développement d’un partenariat de long terme entre Moscou et les pays de la Méditerranée et du Moyen-Orient, il reste à préciser qu’en 2016 la valeur globale des ventes russes est d’environ 110 milliards de dollars. Le marché du Moyen-Orient est de 61 milliards de dollars (54%) déboursés par les clients essentiels qui sont l’Iran, la Turquie, la Jordanie, l’Égypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis.

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la convention de Montreux est un accord international multilatéral qui détermine l’exercice de la libre circulation dans les détroits des Dardanelles et du Bosphore, ainsi que dans la Mer Noire.

E, est le plus célèbre des élèves (et plus tard professeur) de l’Institut d’études orientales de l’Académie des sciences de Moscou. Il est surnommé par certains le « Kissinger russe » ou « Laurence d’Arabie soviétique » du fait de sa parfaite connaissance du monde arabo-musulman.

Le 5 décembre 1994, l’Ukraine, la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni signent le « Memorandum de Budapest » : l’Ukraine promet de transférer ses missiles nucléaires en Russie pour leur démantèlement et de signer le Traité de non prolifération. En échange, la Russie et les deux pays occidentaux signataires s’engagent à ne pas menacer ou utiliser la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de l’Ukraine

La sortie des unités de la flotte de la mer Noire durant le conflit géorgien constitue la première mission opérationnelle de combat menée par cette flotte depuis la fin de la guerre froide.

Le partage de la flotte soviétique de la mer Noire en 1991 constitue une originalité historique dans le sens où une telle configuration ne s’est jamais présentée auparavant dans un contexte aussi particulier.

Avec ces traités, les deux États signent le 31 mai 1997, un traité d’amitié, de coopération et de partenariat, qui est en fait un traité de politique générale.

The West and Russia in the Mediterranean: Towards a Renewed Rivalry ?

On peut lire dans la doctrine maritime russe que l’objectif de long terme de la politique maritime nationale dans la région méditerranéenne consiste à assurer une présence navale suffisante de la Fédération de Russie.

Un groupe aéronaval, est articulé autour d’un porte-avions et de plusieurs navires de renseignement, de combat naval et de soutien logistique.

La Russie augmentera sa présence dans les régions stratégiques de l’océan mondial

Russia sends missile cruiser to Mediterranean as Syria tension mounts

Russia warns west over “illegal” Syria intervention

La Russie au Moyen-Orient : une bataille de principes ?

Nous ne sommes pas dans le commerce du changement de régime », déclaration du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov au quotidien russe

La nouvelle doctrine militaire de la Russie », in Revue militaire canadienne,

Le président américain a qualifié de «puissance régionale» la Russie, à l’occasion d’un sommet sur le nucléaire organisé à La Haye, in lexpress.fr, publié le 26 mars 2014.

La Russie et la région méditerranéenne », 16 octobre 2009

Une cinquantaine de terroristes tchétchènes prennent en otage 850 spectateurs au théâtre Doubrovka de Moscou. Au quatrième jour de la prise d’otages, les forces spéciales russes donnent l’assaut et tuent les terroristes. On dénombre au moins 128 morts.

Des terroristes séparatistes tchétchènes prennent en otage environ un millier d’enfants et d’adultes dans une école. Après trois jours de siège, une explosion dans l’école provoque un mouvement de panique des enfants, sur lesquels les preneurs d’otage tirent, et les forces spéciales interviennent. Selon le bilan officiel, il y a eu 334 civils tués, dont 186 enfants.

Deux explosions, survenues à 7 h 52 et à 8 h 36 (heure locale), dans deux stations du métro moscovite ont provoqué 39 morts et 102 blessés.

Cet attentat à l’aéroport international Domodedovo de Moscou a fait 35 morts et plus de 180 blessés.

23 minutes après le décollage de la station balnéaire de Charm el-Cheikh , le vol 9268 a perdu le contact pour s’écraser en Sinaï causant la mort des 217 passagers et des sept membres d’équipage. Le jour même du crash, l’État islamique revendique la responsabilité de la catastrophe par la voix de Wilayat Sinaï.

la Russie octroie des prêts à long terme et à faible taux d’intérêt, à payer à partir de la mise en service du réacteur.



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